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Pierre de Ronsard



Thoinet et perrot - Poéme


Poéme / Poémes d'Pierre de Ronsard





C'était en la saison que l'amoureuse
Flore
Faisait pour son ami les fleurettes éclore
Par les prés bigarrés d'autant d'émail de fleurs
Que le grand arc de
Ciel s'émaille de couleurs;
Lorsque les papillons et les blondes avettes,
Les uns chargés au bec, les autres aux cuissettes,
Errent par les jardins, et les petits oiseaux,
Voletant par les bois de rameaux en rameaux,



Amassent la becquée, et parmi la verdure
Ont souci comme nous de leur race future.
Thoinet au mois d'avril passant par
Vendômois,
Me mena voir à
Tours
Marion que j'aimois,
Qui aux noces était d'une sienne cousine;
Et ce
Thoinet aussi allait voir sa
Francine
Qu'Amour en se jouant, d'un trait plein de rigueur,
Lui avait près le
Clain écrite dans le cour.
Nous partîmes tous deux du hameau de
Coustures *,
Nous passâmes
Gâtine et ses hautes verdures,
Nous passâmes
Marré, et vîmes à mi-jour
Du
Pasteur
Phelippot * s'élever la grand-tour,
Qui de
Beaumont la
Ronce honore le village
Comme un pin fait honneur aux arbres d'un bocage.
Ce pasteur qu'on nommait
Phelippot, tout gaillard,
Chez lui nous festoya jusques au soir bien tard.
De là vînmes coucher au gué de
Lengerie,
Sous des saules plantés le long d'une prairie;
Puis, dès le point du jour redoublant le marcher,
Nous vîmes en un bois s'élever le clocher
De saint
Cosme près
Tours s, où la noce gentille
Dans un pré se faisait au beau milieu de l'île.

Francine dansait, de
Thoinet le souci,

Marion ballait, qui fut le mien aussi;
Puis nous mettant tous deux en l'ordre de la danse,
Thoinet tout le premier cette plainte commence : «
Ma
Francine, mon cour, qu'oublier je ne puis,
Bien que pour ton amour oublié je me suis,
Quand dure en cruauté tu passerais les ourses
Et les torrents d'hiver débordés de leurs course»,
Et quand tu porterais, en lieu d'humaine chair,
Au fond de l'estomac pour un cour un rocher,
Quand tu aurais sucé le lait d'une lionne,
Quand tu serais, cruelle, une bête félonne,
Ton cour serait pourtant de mes pleurs adouci,

Et ce pauvre
Thoinet tu prendrais à merci.

Je suis, s'il t'en souvient,
Thoinet qui dès jeunesse

Te voyant sur le
Clain t'appella sa maîtresse,

Qui musette et flageol à ses lèvres usa

Pour te donner plaisir, mais cela m'abusa,

Car te pensant fléchir comme une femme humaine,

Je trouvai ta poitrine et ton oreille pleine,

Hélas! qui l'eût pensé! de cent mille glaçons!

Lesquels ne t'ont permis d'écouter mes chansons.

Et toutefois le temps, qui les prés de leurs herbes

Dépouille d'an en an, et les champs de leurs gerbes,

Ne m'a point dépouillé le souvenir du jour

Ni du mois où je mis en tes yeux mon amour,

Ni ne fera jamais, voire eussé-je avalée

L'onde qui court là-bas sous l'obscure vallée.

C'était au mois d'avril,
Francine, il m'en souvient,

Quand tout arbre florit, quand la terre devient

De vieillesse en jouvence, et l'étrange arondelle

Fait contre un soliveau sa maison naturelle;

Quand la limace au dos qui porte sa maison,

Laisse un trac * sur les fleurs ; quand la blonde toison

Va couvrant la chenille, et quand parmi les prées

Volent les papillons aux ailes diaprées,

Lorsque fol je te vis, et depuis je n'ai pu

Rien voir après tes yeux que tout ne m'ait déplu

Six ans sont jà passés, toutefois dans l'oreille

J'entends encor' le son de ta voix nonpareille,

Qui me gagna le cour, et me souvient encor

De ta vermeille bouche et de tes cheveux d'or,

De ta main, de tes yeux, et si le temps qui passe

A depuis dérobé quelque peu de leur grâce,

Hélas! je ne suis moins de leurs grâces ravi

Que je fus sur le
Clain, le jour que je te vi

Surpasser en beauté toutes les pastourelles

Que les jeunes pasteurs estimaient les plus belles.

Car je n'ai pas égard à cela que tu es,

Mais à ce que tu fus, tant les amoureux traits

Te gravèrent en moi, voire de telle sorte

Que telle que tu fus telle au sang je te porte.

Dès l'heure que le cour de l'oil tu me perças,

Pour en savoir la fin je fis tourner le
Sas *l

Par une
Janeton, qui au bourg de
Crotelles

Soit du bien soit du mal disait toutes nouvelles.

Après qu'elle eut trois fois craché dedans son sein,

Trois fois éternué, elle prit du levain.

Le retâte en ses doigts, et en fit une image

Qui te semblait de port, de taille et de visage.

Puis tournoyant trois fois, et trois fois marmonnant,

De sa gertière * alla tout mon col enfournant,

Et me dit :
Je ne tiens si fort de ma gertière

Ton col, que ta vie est de malheur héritière,

Captive de
Francine, et seulement la mort

Dénouera le lien qui te serre si fort.

Et n'espère jamais de vouloir entreprendre

D'échauffer un glaçon qui te doit mettre en cendre.

Las ! je ne la crus pas, et pour vouloir adonc

En être plus certain, je fis couper le jonc

La veille de saint
Jean; mais je vis sur la place

Le mien, signe d'Amour, croître plus d'une brasse,-

Le tien demeurer court, signe que tu n'avais

Souci de ma langueur, et que tu ne m'aimais,

Et que ton amitié qui n'est point assurée,

Ainsi que le jonc court, est courte demeurée.

Je mis pour t'essayer encores d'avant-hier

Dans le creux de ma main des feuilles de coudrier :

Mais en tapant dessus, nul son ne me rendirent,

Et flaques sans sonner sur la main me fanircnt,

Vrai signe que je suis en ton amour moqué,

Puisqu'en frappant dessus elles n'ont point craqué,

Pour montrer par effet que ton cour ne craqueté

Ainsi que fait le mien d'une flamme secrète.
O ma belle
Francine, ô ma fidre, et pourquoi.
En dansant, de tes mains ne me prends-tu le doi?
Pourquoi, lasse du bal, entre ces fleurs couchée,
N'ai-je sur ton giron ou la tête penchée,
Ou mes yeux sur les tiens, ou ma bouche dessus
Tes deux tetins de neige et d'ivoire conçus?
Te- semb!ai-je trop vieil ? encor la barbe tendre
Ne fait que commencer sur ma joue à s'étendre,
Et ta bouche qui passe en beauté le coural,
S'elle veut me baiser, ne se fera point mal.
Mais, ajnsi qu'un lézard se cache sous l'herbette,
Sous ma blonde toison cacheras ta languette;
Puis en la retirant, tu tireras à toi
Mon cour, pour te baiser, qui sortira de moi.
Uclas! prends donc mon cour, avecques cette paire
De ramiers que je t'offre; ils sont venus de l'aire
De ce gentil ramier dont je t'avais parlé :
Margot m'en a tenu plus d'une heure accolé.
Les pensant emporter pour les mettre en sa cage.
Mats ce n'est pas pour elle, et demain davantage
Je t'en rapporterai, avecques un pinson
Qui déjà sait par cour une belle chanson
Que je fis l'autre jour dessous une aubépine.
Dont le commencement est
Thoinet et
Francine. liai cruelle, demeure, et tes yeux amoureux
Ne détourne de moi; hàl je suis malheureux!
Car )e connais mon mal, et si connais encore
La puissance d'Amour, qui le sang me dévore.
Sa puissance est cruelle, et n'a point d'autre jeu,
Sinon de rebrûler nos cours à petit feu.
Ou de les englacer, comme ayant pris son être
D'une glace ou d'un feu ou d'un rocher champêtre.
Ilà! que ne sius-je abeille, ou papillon! j'irais
Maugrc toi te baiser, et puis je m'assirais



Sur tes tétins, afin de sucer de ma bouche
Cette humeur qui te fait contre moi si farouche.
O belle au doux regard,
Francine au beau sourcil,
Baise-moi je te prie, et m'embrasses ainsi
Qu'un arbre est embrassé d'une vigne bien forte.
Souvent un vain baiser quelque plaisir apporte.
Je meurs! tu me feras dépecer ce bouquet
Que j'ai cueilli pour toi, de thym et de muguet,
Et de la rouge fleur qu'on nomme
Cassandrette,
Et de la blanche fleur qu'on appelle
Olivette,
A qui
Bellotl donna et la vie et le nom.
Et de celle qui prend de ton nom son surnom.
Las! où fuis-tu de moi? hàl ma fière ennemie.
Je m'en vais dépouiller jaquette et souquenie *,
Et m'en courrai tout nu au haut de ce rocher,
Où tu vois ce garçon à la ligne pêcher,
Afin de me lancer à corps perdu dans
Loire
Pour laver mon souci, ou afin de tant boire
D'écumes et de flots, que la flamme d'aimer
Par l'eau, contraire au feu, se puisse consumer. »
Ainsi disait
Thoinet, qui se pâma sur l'herbe,
Presque transi de voir sa dame si superbe.
Qui riait de son mal, sans daigner seulement
D"un seul petit clin d'oil apaiser son tourment.
J'ouvrais déjà la lèvre après
Thoinet, pour dire
De combien
Marion m'était encore pire.
Quand j'avise sa mère en hâte gagner l'eau
Et sa fille emmener avec elle au bateau,
Qui se jouant sur l'onde, attendait cette charge,
Lié contre le tronc d'un saule au faite large.
Jâ les rames tiraient le bateau bien pansu,
Lt la voile en enflant son grand repli bossu
Emportait le plaisir qui mon cour tient en peine,
Quand je m'assis au bord de la première arène,
Et voyant le bateau qui s'ennuyait de moi,

Parlant à
Marion, je chantai ce convoi.

«
Bateau qui par les flots ma chère vie emportes,

Des vents en ta faveur les haleines soient mortes.

Et le banc périlleux qui se trouve parmi

Les eaux, ne t'enveloppe en son sable endormi
I

Que l'air, le vent et l'eau favorisent ma
Dame,

Et que nul flot bossu ne détourbe sa rame.

En guise d'un étang sans vague, paresseux

Aille le cours de
Loire, et son limon crasseux

Pour ce jourd'hui se change en gravelle menue,

Pleine de maint rubis et mainte perle élue.

Que les bords soient semés de mille belles fleurs,

Représentant sur l'eau mille belles couleurs,

Et le troupeau
Nymphal des gentilles
Naïades

Alentour du vaisseau fasse mille gambades,

Les unes balayant des paumes de leurs mains

Les flots devant la barque, et les autres leurs seins

Découvrent à fleur d'eau, et d'une main ouvrière

Conduisent le bateau du long de la rivière.

L'azuré martinet puisse voler devant

Avecques la mouette, et le plongeon ', suivant

Son malheureux destin, pour le jourd'hui ne songe

En sa belle
Hespérie, et dans l'eau ne se plonge,

Et le héron criard, qui la tempête fuit,

Haut pendu dedans l'air ne fasse point de bruit.

Ains tout gentil oiseau qui va cherchant sa proie

Par les flots poissonneux, bienheureux te convoie,

Pour sûrement venir avec ta charge au port,


Marion verra, peut-être, sur le bord

Un orme des longs bras d'une vigne enlacée,

Et la voyant ainsi doucement embrassée,

De son pauvre
Perrot se pourra souvenir,

Et voudra sur le bord embrassé le tenir.

On dit au temps passé que quelques-uns changèrent

En rivière leur forme, et eux-mêmes nagèrent

Au flot qui de leur rang goutte à goutte saillait,

Quand leur corps transformé en eau se distillait.

Que ne puis-je muer ma ressemblance humaine

En la forme de l'eau qui cette barque emmène

J'irais en murmurant sous le fond du vaisseau,

J'irais tout alentour, et mon amoureuse eau

Baiserait or' sa main, ore sa bouche franche,

La suivant jusqu'au port de la
Chapelle blanche;

Puis laissant mon canal pour jouir de mon veuil,

Par le trac de ses pas j'irais jusqu'à
Bourgeuil,

Et là, dessous un pin, couché sur la verdure,

Je voudrais revêtir ma première figure.

Se trouve point quelque herbe en ce rivage ici

Qui ait le goût si fort qu'elle me puisse ainsi

Muer, comme fut
Glauque l, en aquatique monstre,

Qui homme ne poisson, homme et poisson se montre?

Je voudrais être
Glauque, et avoir dans mon sein

Les pommes qu'Hippomane élançait de sa main

Pour gagner
Atalante : à fin de te surprendre,

Jes les ruerais sur l'eau, et te ferais apprendre

Que l'or n'a seulement sur la terre pouvoir,

Mais qu'il peut desur l'eau des femmes décevoir.

Or cela ne peut être, et ce qui se peut faire.

Je le veux achever afin de te complaire :

Je veux soigneusement ce coudrier arroser,

Et des chapeaux de fleurs sur ses feuilles poser,

Et avec un poinçon je veux desur l'écorce

Engraver de ton nom les six lettres à force,

Afin que les passants en lisant
Marion,

Fassent honneur à l'arbre entaillé de ton nom.

Je veux faire un beau lit d'une verte jonchée

De parvenche feuillue en contre-bas couchée,

De thym, qui fleure bon, et d'aspic * porte-épi,

D'odorant poliot * contre terre tapi,

De neufard * toujours vert, qui la froideur incite,

Et de jonc qui les bords des rivières habite.

Je veux jusques au coude avoir l'herbe, et je veux

De roses et de lis couronner mes cheveux.

Je veux qu'on me défonce une pipe
Angevine,

Et en me souvenant de ma toute divine,

De toi, mon doux souci, épuiser jusqu'au fond

Mille fois ce jourd'hui mon gobelet profond,

Et ne partir d'ici jusqu'à tant qu'à la lie

De ce bon vin d'Anjou la liqueur soit faillie.

Melchior
Champenois, et
Guillaume
Manceau,

L'un d'un petit rebec *, l'autre d'un chalumeau,

Me chanteront comment j'eus l'âme dépourvue

De sens et de raison sitôt que je t'eus vue,

Puis chanteront comment pour fléchir ta rigueur

Je t'appelai ma vie et te nommai mon cceur,

Mon oil, mon sang, mon tout! mais ta haute pensée

N'a voulu regarder chose tant abaissée,

Ains en me dédaignant tu aimas autre part

Un qui son amitié chichement te départ.

Voilà comme il te prend pour mépriser ma peine

Et le rustique son de mon tuyau d'aveine.

Us diront que mon teint, vermeil auparavant,

Se perd comme une fleur qui se fanit au vent,

Que mon poil devient blanc, et que la jeune grâce

De mon nouveau printemps de jour en jour s'efface,

El que depuis le mois que l'amour me fit tien,

De jour en jour plus triste et plus vieil je devien.

Puis ils dirons comment les garçons du village

Disent que ta beauté tire déjà sur l'âge,

Et qu'au matin le coq dès la pointe du jour

N'oira plus à ton huis ceux qui te font l'amour.

Bien fol est qui se fie en sa belle jeunesse,

Qui si tôt se dérobe, et si tôt nous délaisse.

La rose à la parfin devient un gratte-cul *,

Et tout avec le temps par le temps est vaincu.

Quel passe-temps prends-tu d'habiter la vallée

De
Bourgueil où jamais la
Muse n'est allée?

Quitte-moi ton
Anjou, et viens en
Vendômois.

Là s'élèvent au ciel les sommets de nos bois,

Là sont mille taillis et mille belles plaines.

Là gargouillent les eaux de cent mille fontaines,

Là sont mille rochers, où
Echon alentour

En résonnant * mes vers ne parle que d'Amour.

Ou bien, si tu ne veux, il me plaît de me rendre

Angevin pour te voir, et ton langage apprendre,

Et pour mieux te fléchir, les hauts vers que j'avois

En ma langue traduit du
Pindare
Grégeois *,

Humble, je veux redire en un chant plus facile

Sur le doux chalumeau du pasteur de
Sicile.

Là, parmi tes sablons
Angevin devenu,

Je veux vivre sans nom comme un pauvre inconnu,

Et dès l'aube du jour avec toi mener paître

Auprès du port
Guiet notre troupeau champêtre,

Puis, sur le chaud du jour, je veux en ton giron

Me coucher sous un chêne, où l'herbe à l'environ

Un beau lit nous fera de mainte fleur diverse,

Pour nous coucher tous deux sous l'ombre à la renverse;

Puis au
Soleil penchant nous conduirons nos boufs

Boire le haut sommet des ruisselets herbeux,

Et les reconduirons au son de la musette,

Puis nous endormirons dessus l'herbe mollette.

Là, sans ambition de plus grands biens avoir,

Contenté seulement de t'aimer et te voir,

Je passerais mon âge, et sur ma sépulture

Les
Angevins mettraient cette brève écriture :

«
Celui qui gît ici, touché de l'aiguillon

Qu'Amour nous laisse au cour, garda comme
Apollon

Les troupeaux de sa dame, et en cette prairie

Mourut en bien aimant une belle
Marie,

Et elle après sa mort mourut aussi d'ennui,

Et sous ce vert tombeau repose avecques lui. »
A peine avais-je dit, quand
Thoinet se dépâme,
Et à soi revenu allait après sa dame.
Mais je le retirai le menant d'autre part
Pour chercher à loger, car il était bien tard.
Nous avions jà passé la sablonneuse rive,
Et le flot qui bruyant contre le pont arrive,
Et jà dessus le pont nous étions parvenus,
Et nous apparaissait le tombeau de
Turnus a,
Quand le pasteur
Janots tout gaillard nous emmène
Dedans son toit couvert de javelles * d'aveine *.

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Pierre de Ronsard
(? - 1585)
 
  Pierre de Ronsard - Portrait  
 
Portrait de Pierre de Ronsard

Biographie

1524
- (10 ou 11 septembre) : naissance au château de la Posson-nière (Couture, Loir-et-Cher).

Orientation bibliographique


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