Pierre Dhainaut |
Autrefois on avait un nom, on parlait à soi-même et l'on se rassurait dans la tempête. Mais vois, tu ne définis rien, ce ne sont que des phrases qui se dispersent. Que tu tiennes, sous les poings, les paupières baissées aussi longtemps que tu le peux, à peine as-tu fixé un souvenir, cela n'a aucune importance, en cette nuit toutes les nuits se pressent : tu n'y es jamais seul, ton corps n'est jamais assez nu pour elles, se tiendrait-il en ce que tu crois un dernier regard. On imagine établir des repères, tracer sa propre route et progresser parmi les ruines : la nuit ne se pénètre pas, ne se parcourt pas davantage. Ce mur sera le bienvenu, ce n'est qu'ainsi que tu progresses, quand tu ne lui réclames ni appui ni répit. Cicatrice ou bien fente, aucune étendue pour les doigts au rythme des figures brisées, reprises, ne restera inerte. Déchiffre-le, cet alphabet de pierre, prépare-toi à ne plus séparer la surface, le secret. Tu as la nuit entière, tu as le battement d'un cour commun à élargir. Le moindre pas t'en persuade, la nuit demeure après, bien après le reflux comme une senteur de varech au ras des flaques innombrables, ne demande qu'à s'étendre. Mieux vaut avancer pour la faire sourdre ici. «Ici » évidemment n'a pas plus de sens que là-bas, ni «avancer». Tu espères pourtant, tu te dis que dans un moment s'incarnera le flot qui te redresse autant qu'il te renverse, qui ne supporte aucun obstacle. Trop d'assurance encore, trop d'orgueil en toi pour être d'accord. Tu associais la nuit et le silence. Maintenant tu écoutes. Tantôt ce bruit massif des lames contre des digues, poursuivant leur travail de sape, de plus en plus bref l'intervalle entre les coups, tantôt ces cris de bêtes que l'on chasse, se précipitant au fond d'une plaine, puis revenant, de plus en plus opaques. Tu ne perçois, en fait, que des échos, ils ne suffisent pas pour t'interdire de rester au-dehors : tu devras lâcher prise dans peu de temps, la rumeur le répète en bas, très bas. Gravats, éboulis, labyrinthe... trop pur, un tel vocabulaire, lui ajouterais-tu vermine ou larves. Rien n'apparaît de ce que tu ressens depuis l'enfance en soulevant des planches pourries, grouillantes, dans les friches humides. Même les roches s'y délitent. Tu as choisi la page, croyais-tu au miracle ? Elle est identique à ce linge dont on prend soin d'effacer plis et ombres pour recouvrir le visage d'un mort. Aucun signe ne résiste, l'encre ne sèche plus, la nuit prolifère. Le contour qui manque, la paume enfin le donnera. La lande est froide en août, la nuit, l'herbe acérée, tu te surprends à désirer qu'elle blesse jusqu'au sang. Ce que tu attendais du jour, le jour le refusa. Tu n'as scruté que les arbres des crêtes. À terre, quand tu te couches, tu n'auras pas assez, des talons à la tête, de tout ton poids pour t'agripper : tu prétends t'éblouir, déjà tu guettes le passage des météores. Contemple, imprègne-toi en contemplant, réconcilie la patience, le tumulte, l'essor et l'enracinement parmi les cailloux, parmi les étoiles. Tu es clos de partout, comme ton lit, ta chambre. Une nuit par l'insomnie se rappelle à toi. Que peux-tu lui offrir, qui la soulage ? Le mot « confiance » au plus fort de l'hiver venait spontanément aux lèvres avec celui de « neige » : dans la mémoire ils continuent de nous précéder jusqu'à l'aube. De syllabe en syllabe, tu serais cet enfant grâce au murmure, tu sentirais se dénouer tes membres, s'écarter les parois, s'unir l'horizon et le rêve, se rafraîchir, s'accroître, se répandre les souffles. |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Pierre Dhainaut (1935 - ?) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Pierre Dhainaut | |||||||||