Pierre Le Moyne |
Lettre L'Artifice à l'entrée avecque l'Imposture Loge dans un château d'étrange archite£ture. Là, de la cime au fondement, Tout porte à faux, tout se dément. En vain la face en est éclatante et pompeuse, Son éclat éblouit, et sa pompe est trompeuse. Partout le feint s'y voit, pour le vrai supposé; Pierres, marbres, métaux, tout est là déguisé; Et tout ce qui se fait ailleurs par la nature Est là l'effet de la peinture. Les hôtes de ce logement, Raffinés en déguisement, Autant de fois y changent de visage Qu'ils y changent de personnage; Et les grands comme les petits, Toujours masqués et toujours travestis, Dans le plus sérieux des hautes affaires, Comédiens jurés, perpétuels faussaires, Depuis le front jusques au cour Ne sont que plâtre et que couleur. Ainsi publiquement on y fait marchandise De masques plus menteurs qu'il n'en vient de Venise; On y tient de pleins cabinets De fausse bienveillance et de plus faux bienfaits; Et comme tout s'y dit, tout s'y voit en figure, La voix même a là sa teinture; Et jusques au moindre regard Rien ne s'y fait qu'avecque fard. Les professeurs en alchimie Tiennent là leur académie; La nation des bateleurs, La communauté des mouleurs ', Les vendeurs de pommade et les faiseurs de plâtre, Les tailleurs d'habits de théâtre Et tous les corps des charlatans Habitèrent là tout le temps. Pour vous faire fuir ce lieu de tromperie, Il vous suffira, Télerie, D'apprendre que la bonne foi Du véritable honneur fait le plus pur aloi; Que le plus doux concert, la plus juste harmonie Est celle de la langue avec l'esprit unie; Que de la souveraine et divine beauté, Le premier trait nous vient avec la vérité; Que le mensonge est une tache Que nulle pommade ne cache; Et que la piperie est de l'art des valets Et des joueurs de gobelets. La folle Vanité, d'enflure toujours pleine, Toujours vide de sens, loge après dans la plaine. Le vent règne en toute saison Haut et bas dans cette maison. Mille girouettes dorées, À tourner toujours préparées, D'un bruit aigre et confus qui suit leur mouvement Font retentir le bâtiment. Il ne s'y voit ni base, ni colonne Qui ne soit creuse et ne résonne. Tous les marbres, pour peu qu'on y porte la main, Se font ouïr comme ailleurs fait l'airain. Il n'est pas jusqu'aux troncs, il n'est pas jusqu'aux roches Qui n'y soient ou tambours, ou cloches ; Le plus bas souffle y devient haute voix; L'herbe est langue aux jardins, la feuille Test aux bois; Et les salons, les chambres, les portiques, En paroles, non moins qu'en couleurs, magnifiques, Par l'importun babil de leurs divers échos En chassent bien loin le repos. Tandis que tant de bruits les têtes étourdissent, De fumées à longs traits les cerveaux se remplissent; Elles se font avecque de l'encens Tantôt plus fort, tantôt plus doux aux sens ; On ne voit là que cassolettes Pleines d'esprits d'oillets, d'extraits de violettes ; On n'y voit que sachets farcis De gomme d'Arabie et de poudres de prix; Matières à nourrir les fumeuses migraines Des têtes vuides et malsaines. Il s'y voit des jardins qui semblent des tableaux Tant le vert en est gai, tant les fruits en sont beaux; Mais tout ce fruit, toute cette verdure N'est que tromperie et enflure; La montre du vert décevant Se change sous le premier vent, Et le fruit imposteur, aussitôt qu'on y touche, Devient cendre en la main, et soufre dans la bouche. Vous êtes appelée à cette éternité Où chaque âme a sa cour, comme sa royauté, Où les moindres lueurs, dont les saints se couronnent, Effacent le soleil, et les astres étonnent'. Tournez donc là vos soins, portez là votre cour, Ne perdez pas pour l'ombre d'une fleur, Pour l'imposture d'un atome, La jouissance d'un royaume. Surtout, pour vous garder sans attache à la Cour, Ayez toujours les yeux sur votre dernier jour; Souvenez-vous que dans ce court espace Où l'image du monde passe, L'herbe qu'une heure fait fleurir, Une autre heure la fait mourir. Le nuage doré qu'un vent propice élève, Un autre vent l'obscurcit et le crève; Et le vaisseau contre un roc échoué, Après avoir sur les vagues joué, Devient lui-même de l'orage Le jouet après son naufrage. Ainsi par la raison et la foi gouvernée, Et dans les droits sentiers de la vertu menée, Suivant toujours le plan que je viens de tracer, Vous pourrez sans péril et sûrement passer De l'ombre et des couleurs d'une Cour temporelle Aux solides grandeurs d'une Cour éternelle. |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Pierre Le Moyne (1602 - 1672) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Pierre Le Moyne | |||||||||