Pontus de Tyard |
J'avois tousjours pensé que d'amour et d'honneur, Les deux seulles ardeurs qui me bruslent le cueur, Se pouvoit allumer une si belle flame Que plus belle clarté ne luisoit dedans l'Ame: Mais je ne me pouvois en l'Esprit imprimer Comme ensemble on devoit ces deux feux allumer : Car combien que ' d'Amour beauté soit la matière, Et qu'en l'honneur entier la beauté soit entière, Il ne me sembloit point qu'une mesme beauté Deust servir à l'Amour et à l'honnesteté. Je disois : ma beauté d'honneur est en moy-mesme, Mais non pas la beauté, laquelle il faut que j'aime : Car la seule beauté de moy-mesme estimer Ne serait seulement que mon honneur aimer, Et il faut que l'Amante hors de soy face queste De la beauté, qu'Amour luy donne pous conqueste : Donq' l'ardeur de l'honneur en moy seulle aura lieu? Donques doy-je fuir l'ardeur de l'autre Dieu? Helas ! beauté d'Amour, te choisiray je aux hommes ! Ha, non : je cognois trop le siècle auquel nous sommes. L'homme aime la beauté et de l'honneur se rit, Plus la beauté luy plait, plustost l'honneur périt. Ainsi du seul honneur chèrement curieuse Libre je desdaignois toute flame amoureuse, Quand de ma liberté Amour trop offensé Un aguet me tendit subtilement pensé. Il t'enrichit l'Esprit: il te sucre la bouche Et le parler disert: En tes yeux il se couche, En tes cheveux il lace un noud non jamais veu, Dont il m'estreint à toy : il fait ardoir ' un feu - Helas qui me croira ! - de si nouvelle flame Que femme il m'énamoure, helas! d'une autre femme. Jamais plus mollement Amour n'avoit glissé Dedans un autre cueur: car l'honneur non blessé Retenoit sa beauté nullement entamée, Et l'Amant jouissoit de la beauté aimée En un mesme suject, ô quel contentement! Si - légère - il t'eust pieu n'aimer légèrement: Mais le cruel Amour m'ayant au vif blessée S'est tout poussé dans moy, et vuide il t'a laissée Autant vuide d'Amour, vuide d'affection, Comme il remplit mon cueur de triste passion Et de juste despit, qu'il faut que je te prie, Ingrate, et que de moy ta liberté se rie. Où est ta foy promise et tes sermens prestez? Où sont de tes discours les beaux mots inventez? Comme d'une Python feinte et persuasive Qui m'as sceu enchaîner par l'oreille, captive! Helas! que j'ay en vain espanché mes discours! Que j'ay fuy en vain tous les autres Amours! Qu'en vain seule je t'ay - dédaigneuse - choisie Pour l'unique plaisir de ma plus douce vie! Qu'en vain j'avois pensé que le temps advenir Nous devroit pour miracle en longs siècles tenir: Et que d'un seul exemple, en la françoise histoire, Nostre Amour serviroit d'éternelle mémoire, Pour prouver que l'Amour de femme à femme épris Sur les masles Amours emporteroit le pris. Un Damon à Pythie, un Aenée à Achate, Un Hercule à Nestor, Cherephon à Socrate, Un Hoppie à Dimante ont seurement monstre, Que l'Amour d'homme à homme entier s'est rencontré : De l'Amour d'homme à femme est la preuve si ample Qu'il ne m'est jà besoin d'en alléguer exemple: Mais d'une femme à femme, il ne se trouve encore Souz l'empire d'Amour un si riche thresor, Et ne se peut trouver, ô trop et trop légère, Puis qu'à ma foy la tienne est faite mensongère. Car jamais purité ne fust plus grande au Ciel, Plus grande ardeur au feu, plus grand douceur au miel, Plus grand bonté ne fust au reste de nature Qu'en mon cueur, où l'Amour a pris sa nourriture. Mais plus qu'un Roc marin ton cueur a de durté, Plus qu'un Scythe barbare il a de cruauté : Et l'Ourse Caliston ne voit point tant de glace Que tu en as au seing : Ny la muable face Du Nocturne Morphé n'a de formes autant Qu'a de pensers divers ton esprit inconstant. Helas ! que le despit loing de moye me transporte ! Ouvre à l'Amour, ingrate ! Ouvre à l'Amour la porte : Souffre que le doux trait, qui nos cueurs a percé, R'entame de nouveau le tien trop peu blessé, Recerche en tes discours l'affection passée : Resserre le doux noud dont estoit enlacée L'affection commune et à toy et à moy, Et rejoignons ces mains qui jurèrent la foy : La foy dans mon esprit tellement asseurée, Qu'elle ne sera point par la mort parjurée. Mais si nouvel Amour t'embrase une autre ardeur, Je supply, Contr'Amour, Contr'Amour Dieu vengeur! Qu'avant que la douleur dedans mon cueur enclose Me puisse transformer, et me faire autre chose Que ce qu'ores ' je suis, soit que ma triste voix Reste seule de moy errante par ce bois, Ou soit qu'en peu de temps ma larmoyante peine Me distille en un fleuve, ou m'escoule en fonteine, Et pendant que je dy et aux Cerfs et aux Dains, Seule en ce bois touffu, ingrate, tes dédains, Tu puisses, d'un suject indigne consumée, Aimer languissamment, et n'estre point aimée! |
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Pontus de Tyard (1521 - 1605) |
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Portrait de Pontus de Tyard | |||||||||