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André Delons - DE CERTAINS SOLEILS FIXES


Poésie / Poémes d'René Daumal





(extraiT)



Un mythe n'est pas une fiction. Sur le terrain de notre espérance commune la plus infranchissable - vous ne passerez pas et déjà vous riez -, nous tenons tout particulièrement à échapper au danger des équivoques poétiques dont le temps présent continue à faire ses régals. Un mythe n'est pas une fiction, ce n'est pas davantage une métaphore, ni une paraphrase de notre indigence terrestre, ni une faute de français audacieuse. Je dirais, immédiatement que c'est une image, que c'est l'Image, si des malentendus informes et dont nous connaissons trop l'arsenal ne montraient aussitôt le nez (car l'image, ce n'est pas non plus un petit garçon désobéissant qui s'en va quand on l'appelle, le saute-ruisseau de la poésie moderne qui fait partir aux bons endroits et suivant la bonne recette les feux d'artifice agréables de son vocabulaire nouveau-né). Ne perdons pas de temps ici. Un mythe est un objet, et quand nous disons objet aucune définition arbitraire comme aucune des simili-tendances des littératures qui nous entourent ne nous empêcheront de voir clair. On ne nous fera pas tomber dans le panneau bleuâtre que tendent, au clair de lune, les amateurs de mystère, et surtout, ah surtout les clients du merveilleux. Toiles peintes, faux-semblants, goûts bons et mauvais, miracles qui sait, catholiques un jour peut-être, tous les trucs qui relèvent du mot d'ordre : « Évade-toiça-fait-du-bien», pauvres petites poussées de fièvre dans un univers ouaté dont cependant, et même au sein de son plus heureux délire la main caresse le contour avec douceur, j'aime mieux, cent fois mieux, ceux qui ne «vibrent» point.

Une fois pour toutes donc, un mythe est un objet, c'est-à-dire une réalité qu'il s'agit d'atteindre, vers quoi tendent, souvent malgré eux et à travers eux (voir plus haut le mot fatalité) les esprits qui reconnaissent en lui le signe même qui les fait agir (véritable magie de l'être et bien propre à confondre la liberté humainE), soit l'identité qui les unit à lui au milieu du désordre où ils bougent, soit la forme substantielle d'un désir dont ils n'étreignent que l'ombre dans un univers relatif (c'est pourquoi je lâcherai l'ombre pour la proie toujourS), soit le lieu même de leur repos, ou la face d'une vérité qui les engendre. Le mythe n'est ni une apparence, ni une couleur: il est substantiel au-delà des formes, matériel au-delà de la matière".

Il est probable, c'est-à-dire infiniment certain, que le mythe se manifeste à un esprit comme l'Annonciateur d'un être total auquel il est voué à s'unir. Il prend donc quelquefois les traits d'un symbole. Telles, les paroles suivantes: «Tout le visible adhère à de l'invisible, tout l'audible à l'inaudible, tout le sensible à du non-sensible. Sans doute tout ce qui peut être pensé adhère-t-il de même à ce qui ne peut pas être pensé»*.

Ce qui ne peut être pensé, c'est la pensée même, sans doute est-ce l'amour encore. D'autres fois, il signifie la fascination perpétuelle et lancinante que projette dans la vie d'un homme le monde imaginaire, le monde-second où il se débat par l'esprit. Il est alors le signe absolu de sa clairvoyance, sa toute profonde maladie, et souvent son assassin. Voulez-vous écouter: «Je fus enseveli pendant des milliers d'années dans des cercueils de pierre, parmi des momies et des sphynx, en des chambres étroites, au cour de pyramides éternelles. Des crocodiles m'infligèrent leurs baisers cancéreux ; mêlé à d'indicibles choses limoneuses, je restai étendu au milieu des roseaux dans la boue du Nil... Tout cela, bien d'autres choses que je ne saurais dire ou que je n'ai pas le loisir d'expliquer, il faut que le lecteur s'en imprègne s'il veut comprendre l'horreur inimaginable que faisaient peser sur moi ces... tortures mythologiques»". Mais aux quatre coins du monde les mythes traduisent toujours en langage de sang cet appel. C'est sous l'enseigne du perroquet vivant, qui dit «J'ai soif»,

«CET ÊTRE MYSTIQUE ET REDOUTABLE» que Nerval fut trouvé mort. Et personne* ne m'empêchera d'affirmer que c'est blessé à mort par le Corbeau qu'Edgar Allan Poe fut trouvé un matin d'octobre 1840 inanimé sur un banc près du pont port de Baltimore.

Je nomme maintenant le Soleil Noir, l'innommable, pétri des éclats de la mer rouge, fascination sur laquelle je ne puis insister ici même une seconde. Je nomme les superstitions, qui, par dizaines de mille ont étranglé ceux qu'elles commandaient, pour des fins non-terrestres. Objet à quoi finalement on s'identifie, c'est-à-dire absolument sujet lui-même, tel est le mythe, que des traditions fort anciennes et que nous faisons nôtres, ont porté jusqu'ici.



...Il y avait un enfant qui sortait chaque jour

Et le premier objet qu'il rencontrait il devenait cet objet

Et cet objet devenait une part de lui pour tout le jour ou une partie du jour Ou pour nombre d'années ou d'immenses cycles d'années".

Le mythe, objet-sujet rayonnant. D'autres fois encore, le mythe participe d'une pure pensée, et ne s'en détache visiblement que pour former une prédiction. Tels réapparaissent les vers écrits en 1680 par un mystique turc, Niazi Misri :

... L'intégralité des pensées que j'ai éprouvées ressusciteront pour ces Assises

Où tout sera de nouveau comme à la venue du Printemps.

Jour où seront mises à nu les consciences. Jour où chaque pensée revêtira une forme

Que de plantes alors et d'animaux y feront notre étonne-ment!.



Et voici le temps de la réalité hors du monde. Dans l'espace où nous sommes, souvent accablés par le cycle quotidien de petits désastres, les illuminations sensibles et secrètes, impondérables et irrécusables que tracent devant nous les mythes propres à nos destinées, nous permettront toujours d'avancer vers ce qu'ils nous tendent, préformé. Ce sont les seuls signaux concrets que je veuille reconnaître, ce sont les seules images. Nous finirons bien par les rejoindre et par avancer, en elles, à travers les destructions et les résurrections précises, beaucoup plus loin que la mort, faut-il le dire, jusqu'à l'oubli même d'être morts. Et nous ne vous livrerons pas nos secrets mais eux vous livreront à nous. Et j'ajoute qu'aucune confusion n'est possible, qu'aucune contradiction n'est pensable à l'heure où les divers appels qui nous sont propres s'emparent enfin de nos têtes. L'illumination panique qui saigne alors de cour à cour, dans ces cours de crétins, de vieillards, de faux-vivants, d'enfants-orages, le péril «d'être» encore là où on «n'est» plus, le face-à-face foudroyant, le cou sans fin tiré par la lumière du Veilleur, et par-dessus tout la hantise perpétuelle du barrage, le piétinement d'écorces terrestres, l'effort de crevaison devant le même ciel fermé à double tour, et pour l'ouvrir, c'est-à-dire pour le briser, seules clefs bien nettes et bien précises, seules clefs suffisamment coupantes et suffisamment dessinées, les mythes.

Passer sous les échelles porte malheur. C'est pourquoi, un jour que je l'en avertissais, Pierre Audard passa délibérément sous une file d'échafaudages. Il savait ce qu'il faisait. Pour qui le connaît, il ne peut faire de doute qu'il n'ait voulu marcher là sous son signe, le reconnaître et se livrer à lui. Pour ma part, je ne vois pas ce qui m'interdirait d'abattre ici mon jeu : je suis voué à une image dont je n'ai plus rien d'humain à attendre.

Ceci concerne la voûte du crâne ; le sang, le rire et la terreur. Quand le temps sera venu, au jour où confluera toute vie dans une branchie unique battant sur la mer, bien loin après la destruction de nos personnages, je suppose enfin qu'un grand vent inévitable aura déversé, en guise de péroraison absurde, dans je ne sais quelle mer des Sargasses, toutes les faces brûlantes du mythe, passées au rang d'ordures végétales, concrétisées par cette « matière des songes » dont nous sommes aujourd'hui faits, et par qui nous serons défaits pour toujours. D'ici là... Jetons les métaphores et usons du langage: un orage oui nest pas du

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René Daumal
(1908 - 1944)
 
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