René Daumal |
Lorsque le plus sage fut mort, l'imbécile, lorsqu'il descendit dans le puits, sans bretelles, la moustache roussie, il savait par cour les éclipses et les coupe-gorge; ça peut toujours servir. Mais la soupape du chaos aux lèvres de caoutchouc lui cira les moustaches, à l'imbécile, et le sage dut porter des bretelles. Alors parmi les éclipses ce fut la débandade et l'anarchie. Elles venaient au petit bonheur et dans les grands magasins les vendeuses rêvaient aux coupe-gorge hantés des imbéciles. Et lui, dans la vase d'outre-terre, la rage aux dents, il s'arrachait des bonbons du cour et, les mâchoires collées, il piétinait, et, les pieds retournés, il coltinait toute la nuit Il coltinait, l'imbécile, des bretelles et des fiacres à trompes molles et vous croyez qu'il se consolait? et vous croyez que le travail et la colle forte qu'il avale ça va nous le régénérer? Non, parce qu'au fond du filtre à dieux les perles sont encore liquides ; ah ! derrière ces murs de mufles pitoyables qui ne parviennent qu'à rire, scandaleux, - car ce qui manque au porc c'est d'être transparent et les forts ne transportent que des mots sanglants - c'est une pluie véritable de fraîcheur sur la dernière peau d'âne. Oh! le tambour déjà risible de l'imbécile et si jeune au fond d'un tonneau de siècles, ou de caoutchouc bâché grouillant en vermicelle, car le premier prophète qui parle, un doigt dans l'oreille, sa voix mue, et quel rire perpétué jusqu'à nous ! En mourant le sage éternua. Ah ! s'il avait prévu sa mort il n'aurait pas bu cette bière dont les gouttes sont les éclipses selon le nouvel ordre écourant d'almanach. Ah! mais savez-vous qu'il est toujours dans cette nuit parmi des bourriches d'huîtres et les arêtes gluantes des escaliers, et qu'un enfant, une seconde, a pleuré, le crâne fendu d'un coup de votre rire - il fallait bien ! Si l'on élève un monument à la détresse ridicule que ce soit un édicule à tête de chiendent Et cet enfant sans nez dont l'âne était mort dans un grenier plein d'horloges et de poussière pleurait l'imbécile et traînait un fiacre. Mais lorsqu'après des rondes et des rondes je tombai dans la glu du pâle pâtissier, alors l'imbécile qui veillait sur les morts du bout du monde vint à mon secours avec ses jambes salies dans les fondrières et son sourire boueux. Depuis des siècles je me cassais les os pour me rebâtir une autre carcasse, une vraie carcasse à ma mesure de brute, et je ne fabriquais que des mannequins de plâtre qui puaient le moisi. Les chours d'enfant du premier sommeil ah ! si j'avais osé entendre, et si j'avais osé pleurer et d'autres larmes que ces laves ! les chours balancés aux gouffres de poitrines vides et blancs soudain : «T'éveilleras-tu, falot, Pour du bon, pour du beurre ? Vrai matin n'est plus par terre Celui qui pleure Compte pour du beurre, Viens t'éveiller pour du bon Non, non, matin-pleure. » ... Et cette masse de mille montagnes mon genou ; cette écorce de plomb craquait, cette flamme entre la nuit et le jour - me voici ! Les sources gelaient sur mes yeux, c'étaient encore mille montagnes. Alors l'imbécile qui veillait sur les morts avec son sourire de sale bonté vint mettre trois gros doigts lourds sur la chaîne sans fin de mes réveils, et je le vis, avec des yeux choisis en hâte avec l'angoisse de tout perdre, s'enfler, roi couvert de sueur de cette misère de misère où c'est si bas de plafond. |
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René Daumal (1908 - 1944) |
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