René Depestre |
De la plus haute branche de ma femme il est temps à mon poème du matin de voler loin avec son appétit de ciel. La vérité est bonne à dire en cet automne des années où l'arbre à mains frémit encore de l'oiseau qui grimpe au feuillage de son grand feu de vivre. L'immense horizon resplendit à mes yeux la planète tourne autour du fleuve sidéral qui coule en larmes d'enfant sous mes fenêtres. Le courant du passé inonde la forêt russe où tous nos rêves se noient dans un mètre d'eau seule la chlorophylle aux pas songeurs de femme monte en flèche avec les fruits de ma patience. On t'appelle Femme, mon copain au printemps des concepts et des mots, ton nom de baptême est Ange-des-mers, ton nom de bataille au lit veut dire en chinois : table-d'émeraude-qui-multiplie-la-braise sous-la-neige-des-travaux-et-des-jours ! à mon tour de t'appeler Phare-à-mains dans l'idiome de mes métaux précieux parce que tu sais faire un temps de femme dans mes principes comme dans mon sang tu sais guider ma soif encore plus vite que la lumière dans l'espace jusqu'à la zone bien irriguée de mon espoir. Tu sais nourrir mes racines de poésie et d'eau de pluie au pays de la vigne. Tu sais guider mes vieux os jusqu'à l'ivresse du vivre heureux sur la Terre ! tu ravives la révolte ouverte en mon corps aux jours du ravalement à la bête : tu guides mon dos de Jacmel qui me fait si mal mon sommeil à même le sol de Sào Paulo mon oil gauche souffrant l'agonie à Calcutta mon cour handicapé à vie à Bamako mes pieds en sang au temps lointain de la Guinée et mes cent ans de solitude à Macondo. Chaque jour à la même heure de l'aube debout à mon pupitre, je me déguise en temps cosmique et en années-tendresse pour me rapprocher du monde si naturel des enfants et des arbres fruitiers et pour te mesurer à leur aune ô fable en danger de mon époque ! mère des équinoxes et des semences apprends-moi à aimer le théâtre des rues l'aventure du temps animal dans mon A.D.N.* fais-moi tout humble devant l'étourneau qui a perdu à jamais son chemin du soir et devant la terre des vivants qui cherche et cherche en vain son nord et son sud son est et son ouest sur l'atlas des saisons. J'ajoute des siècles de détresse à mon pauvre temps de poète, je m'enroule en escargot ébloui dans les noces du platane qui renaît à ma vitre du matin. Tant de merveilles sont en larmes sur la planète tant d'êtres portent le grand deuil de l'azur tant de jeunes gens ne verront pas l'an 2000 plus d'un espoir a naufragé plus d'une fillette d'ici au 25 décembre 1999 aura franchi le pas de porte d'un bordel pour en sortir le sexe et les pieds devant plus d'une ouvre d'homme ou de femme ne sait où dépêcher son ombre du midi ni comment sur toute la vie répartir sa sève en crue. Aux quatre coins de la planète entre chien et loup entre magie et modernité le cannabis en oncle impérial des paumés propage dans les foyers son ombre qui avilit et qui tue. A la tombée de la nuit bien au-delà des fuseaux horaires le monde entier sent le pavot Vélog-naam ou l'héroïne le strong-sugar ou le chanvre indien. La saine odeur de cacao et de café recule de honte et d'effroi devant l'herbe aux mille noms de guerre qui détraque la vie en société. A l'heure pour nous d'aller au lit ses signaux de fumée guident des dieux aveugles de haine jusqu'à nos draps de rêve entre overdose et sida l'herbe-à-tuer choisit librement son arme à feu. Partis de Medellïn ou de Lagos de Rio ou de Douala via Le Cap ou Singapour via Bogota ou Madrid les passeurs armés du siècle convoient l'argent maudit jusqu'aux clés des comptes narco-bancaires. A dos de mulet ou en Boeing 747 en vedettes à fond plat, en pirogue, à pied, à moto ou à bicyclette, à l'abri du radar de l'Interpol, le satan végétal, par les pistes de l'ivoire et des armes, vient faire sauter les serrures de nos rêves les meilleurs ! lady Coca et lord Mandrax* en gestionnaires du sacré, précédés de leur angel dust, dans un nuage d'amphétamines et de phénobarbital, font dérailler le TGV des savants et des poètes ! dieu des enfants malades et de leurs médecins sans frontières dieu des adultes à qui l'on a volé leur code génétique en chemin, dieu des séismes et des inondations dieu des achats et des ventes d'armes dieu des cyclones et des épidémies ! dieu de tendresse et de miséricorde qu'est-il arrivé à ta vallée de larmes ? quel obscur signal d'amour veux-tu faire passer à travers les codes du khat et du sida ? quel ténébreux douanier as-tu posté à ces nouveaux carrefours où trébuche ton doux matin évangélique ? sur le pont du bateau où ma compagne et moi et mes deux fils, et mes sept nièces, nous te lavons la mémoire et les pieds, dis-nous quelle est la chose impossible à réaliser d'ici à l'an 2000 ? dieu de la sécheresse et des incendies de forêt, dieu des désastres nucléaires, dis-nous à quel saint de ton ciel faut-il que je voue les sept jours de la semaine ? comment me lever moi le matin du lundi sans une atroce douleur au côté droit ? et le mardi après-midi, sur la route, où est le garde-fou contre l'accident mortel ? à La Havane où est la sortie de secours pour le mercredi cubain en flammes sans nul espoir d'un réveil sur ses cendres ? le jeudi ? Le jeudi fabricant de jouets à Bagdad et à Téhéran est maintenu en prison pour délit de rêve et d'opinion. Et le vendredi ? et le plus saint de tes jours ! qui paiera ses dettes ? qui le tiendra éloigné de la croix qui sort de l'atelier des trafiquants d'armes et de drogue ? et le samedi soir des amoureux qui protégera sa peau et ses fêtes contre le virus du racisme et du sida ? et le dimanche qui s'est levé trop tard dans l'oubli des horloges, des dates, des clés, - le dimanche qui a perdu la mémoire des nuits, des semaines, des mois et des années - qui, au bord bleu de ton royaume, remettra dans son jeu le temps et la lumière ? dieu des semences et des bonnes moissons, dans ton atelier terrestre, il y a une remontée jamais vue de sève à tenter contre le cannabis et les autres fléaux. Pour la nature et l'histoire mises à genoux il y a un record à remporter par l'homme sur les passeurs de bombes et de cocaïne - ceux qui détournent les avions et les destins - il y a une percée à merveille à réussir ici-bas dans les grands chemins gagnés à la joie et à la santé du monde, il y a, Seigneur du maïs et du blé, un matin sans précédent à lever dans l'aventure à pleines voiles des droits encore enfants de l'homme ! |
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René Depestre (1926 - ?) |
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Portrait de René Depestre | |||||||||
Biographie / OuvresRené Depestre est né en Haïti en 1926. Il fait ses études supérieures à la Sorbonne à Paris et fréquenta à cette période les poètes surréalistes. Son premier recueil de poésie paraît en 1945 (voir labibliographie de ses oeuvres [fr] sur le site web de RFO) et son premier roman en 1979. C'est un poète, romancier et essayiste. Il est expulsé de France en 1950 à cause de son engagement dans les mouve |
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