Roger Gilbert-Lecomte |
Toi qui hurles sans gueule Mords sans dents Fascines sans yeux Face creuse Toi qui fais bondir la pantomime des ombres et des lumières Coupe sans faux Arraches claques et bats Sans bras sans mains sans fouets sans fléau Fléau toi-même vent levant du Levant Toi qui mets le tonnerre au cour de la forêt Et fais courir les géants de sable au désert Père des vagues des cyclones des tornades Déformant d'hystérie la face de la mer Jusqu'à la trombe Coït de l'eau salée et du ciel sucré Char ailé de la dame blanche reine des tempêtes de neige Toi qui bossues les dunes Et les dos des chameaux Toi qui ébouriffes la crinière des lions Qui fais gémir les loups Et chanter les roseaux les bambous Les sistres et les harpes Toi qui fais tomber les pots de fleur sur les sommets des citoyens pour leur ouvrir la tête siège de la compréhension Et descendre les avalanches dans les vallées pour les emplir Toi qui berces les ailes étalées du sommeil de l'oiseau sans pattes Qui naît en l'air Et va se suicider aux cimes coupantes du ciel Toi qui trousses les cottes Et dévastes les côtes Les côtes en falaises et les côtes en os Toi qui horripiles les peaux Secoues les oripeaux les drapeaux les persiennes Les plis des manteaux des voyageurs égarés les arbres Les fantômes et les allumettes perdus dans l'immensité Toi qui ondules les ondes et les chevelures Fais cligner les yeux et les flammes Claquer les oriflammes Grand voyou chérubin démesuré Clown des tourbillons Sculpteur de nuages Roi des métamorphoses Toi qui fais vivre éperdument les choses qui sans toi Seraient vouées à l'inertie la plus plate Immense père des spectres et des frissons Toi qui animes la gesticulation des rideaux mystère Dans les châteaux hantés En gueulant partout Dans les couloirs les cheminées et les fosses d'aisance Toi qui fais voyager la pluie et le beau temps Quand ils s'ennuient Et t'amuses à faire peur aux petits oiseaux En agitant les épouvantails à moineaux Polichinelles sans fils À moins que tu n'introduises dans ces simulacres en haillons Les âmes trémoussantes des morts de mort Violente et criminelle Toi qui fais tourner le lait des nourrices les aiguilles des montres les tornades et les moulins à vent Toi qui effrayes les enfants emmerdes les parents Fais la joie des pirates et des voiles Des pirouettes des feuilles Et des girouettes que tu prends pour des girouettes Toi par qui tremblent les trembles Et trébuchent les vieillards pitoyables Sans cour Affreux Dégingandé Vicieux Alizé mistral tramontane simoun de malheur vilain sirocco Toi qui retournes comme des omelettes les jolis bateaux Et les avions comme des pétales de rose Toi qui joues aux ballons avec ceux d'entre eux Qui ne sont pas captifs ou qui ne le sont plus Toi qui tortilles la raideur des tuyaux de poêle Assassin des cheminées voleur de chapeaux Apache Jeteur de poivre aux yeux Père du hâle qui aime les peaux Face de rat Toi qui étires les formes Déformes les visions Et fais aux parois de l'univers des déchirures et des dentelles frémissantes Toi qui portes le son comme un nourrisson Toi qui fais courir la lune sans arriver à faire trembler l'arc-en-ciel Vent du large Toi dont le souffle égal et la rumeur chantante Bercent endorment tes adorateurs maritimes Le jour Toi qui renverses à minuit sur les hommes La grande urne de l'insomnie la sueur des cauchemars et l'éboulement écraseur de l'angoisse Tant tu pleures et gémis Vent noir des nuits dans ta solitude affreuse Écorché Toi qui sèches les larmes Toi qui sèches le linge Terreur des bouts de papier des concierges des navigateurs timorés des insectes des caravaniers des armateurs des armatures de parapluie des ornements de la toilette féminine de certaines grosses bêtes et des personnes sensibles et nerveuses Toi qui réjouis les pilleurs d'épaves et le pétrel des tempêtes les cheveux lyriques les gouttes d'eau et les poussières qui dansent le pollen amoureux le frisson des moissons le cerf-volant le camp-volant le vol-auvent Et les gens peu recommandables Je n'ai pas peur de toi Je te dis Vent bonjour Je te dis Bonjour Vent Emporte mon bonjour Au pays du Levant Et maintenant Vent rageant cinglant Fous le camp En agitant tes grands bras mous méchants Et en courant sur tes grandes jambes pâles mûmes de pieds invisibles mais gigantesques Adieu vent J'oubliais rendez-vous au zénith à l'auberge de la rose des vents Et sans rancune Mais Si jamais Contre l'os interdit de mon front Tu déchaînes ta rage à la voix de tonnerre Ta colère aux gestes d'orage Ta vengeance ouragan Alors ô père vent Jusqu'à tarir ton divin sang Plus ancien que les eaux de l'abîme océan Jusqu'à tarir ton souffle aïeul des dieux vivants Et fossoyeur de leurs cadavres Jusqu'à l'effacement De l'antique regard absent Qui fit naître la nuit au fond de tes yeux caves Jusqu'au silence jusqu'au blanc Je te fouetterai vent esclave Je te fouetterai vent |
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Roger Gilbert-Lecomte (1907 - 1943) |
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Portrait de Roger Gilbert-Lecomte | |||||||||