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Roger Gilbert-Lecomte



Sacre et massacre de l'amour - Poéme


Poéme / Poémes d'Roger Gilbert-Lecomte





I



À l'orient pâle où l'éther agonise

À l'occident des nuits des grandes eaux

Au septentrion des tourbillons et des tempêtes

Au sud béni de la cendre des morts

Aux quatre faces bestiales de l'horizon

Devant la face du taureau

Devant la face du lion

Devant la face de l'aigle

Devant la face d'homme inachevée toujours

Et sans trêve pétrie par la douleur de vivre

Au cour de la colombe
Dans l'anneau du serpent

Du miel du ciel au sel des mers

Seul symbole vivant de l'espace femelle
Corps de femme étoile
Urne et forme des mondes

Corps d'azur en forme de ciel



II



Territoire fantôme des enfants de la nuit
Lieu de l'absence du silence et des ombres
Tout l'espace et ce qu'il enserre
Est un trou noir dans le blanc plein

Comme la caverne des mondes

Tout le corps de la femme est un vide à combler



III



L'aube froide
Des ténèbres pâles
Inonde les pôles
Du ciel et de la chair

Des courants souterrains de la chair et des astres

Au fond des corps de terre

Les tremblements de terre

Et les failles où vont les volcans du délire

Tonner

Entez sur le trépied

Celle qui hurle

La bouche mangée

Par l'amertume

En flammes du laurier de gloire

Écume

De la colère des mers

La femme à chevelure

D'orages



Aux yeux d'éclipsé

Aux mains d'étoiles rayonnantes

À la chair tragique vêtue de la soie des frissons

À la face sculptée au marbre de l'effroi

Aux pieds de lune et de soleil

À la démarche d'océan

Aux reins mouvants de vive houle

Ample et palpitante

Son corps est le corps de la nuit
Flamme noire et double mystère
De son inverse identité qui resplendit
Sur le miroir des grandes eaux



IV



Visitation blême au désert de l'amour

Aveugle prophétesse au regard de cristal
Que les oreilles de ton cour
Entendent rugir les lions intérieurs
Du cour

Le grand voile de brume rouge et la rumeur
Du sang brûlé par le poison des charmes
Et les prestiges du désir
Suscitant aux détours de ta gorge nocturne
La voracité des vampires

Danse immense des gravitations nuptiales
Aux palpitations des mondes et des mers
Au rythme des soleils du cour et des sanglots
Vers le temple perdu dans l'abîme oublié
Vers la caverne médusante qu'enfanta
L'ombre panique dans la première nuit du monde



Voici l'appel la trombe et le vol des semences
L'appel au fond de tout du centre souterrain

Danseuse unissant la nuit à l'eau-mère
Végétal unissant la terre au sang du ciel



V



Comme
Antée reprend vie au contact de la terre
Le vide reprend vie au contact de la chair

Je viens dans ton sein accomplir le rite
Le rythmique retour au pays d'avant-naître
Le signe animal de l'extase ancienne

Je viens dans ton sein déposer l'offrande
Du baume et du venin

Aveugle anéanti dans les caves de l'être



VI



Mais qui saurait forcer le masque de ta face
Et l'opaque frontière des peaux
Atteindre le point nul en soi-même vibrant
Au centre le point mort et père des frissons
Roulant à l'infini leurs ondes circulaires
Tout immobile au fond du cour l'astre absolu
Le point vide support de la vie et des formes
Qui deviennent selon le cercle des tourments
Le secret des métamorphoses aveugles

D'où vient l'espoir désespéré

D'amour anéanti dans une double absence



Au sommet foudroyé du délire
Acte androgyne d'unité
Que l'homme avait à jamais oublié
Avant la naissance du monde

Avant l'hémorragie
Avant la tête



VII



Paroles du
Thibet

Il est dit autrefois

Qu'errant éperdue dans l'informe

Éparse dans l'obscurité

La pauvre ombre sans graisse du mort

La bouche pleine de terre

Dans le noir sans mémoire tourbillonne il fait froid

L'espace ne connaît que le glissement glacé des larves

Soudain

Si phalène que tente une lueur lointaine

Elle aperçoit la caverne enchantée

Le paradis illuminé des gemmes chaudes

Le règne des splendeurs et des béatitudes

Aux confins du désir essentiel

Qui jamais satisfait perpétuel se comble

À l'appel enivrant d'odeurs vertigineuses

Qu'elle y entre

Ombre morte

Et s'endorme

Pour se réveiller à jamais enchaînée

Engluée aux racines d'un ventre

Fotus hideux voué pour une vie encore

Au désespoir des générations

Roulé par la roue de l'horreur de vivre



Du vieux fotus aïeul À notre mère putride
La pourriture aïeule
En robe de phosphore

La reine démente

Qui fait et défait

Les destins et les formes

Et du corps étoile

De l'éternelle femme

Livre les ossements à l'honneur de la cendre

Impose à l'orgueil de statue des chairs
L'horizontalité effroyable de l'eau

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Roger Gilbert-Lecomte
(1907 - 1943)
 
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Portrait de Roger Gilbert-Lecomte
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