Roland Dubillard |
- Il y a l'eau, ici. - Ces moisissures la soupçonnent Nous, l'ordre est qu'on l'anéantisse. Mais quels sont les crimes de l'eau?... L'eau mouille?... Elle coupe le vin?... Elle noie? (Qui? -Allons! allons...) C'est le sucre et le sel Qui sont dissous par elle. Les foules de l'océan sont composées de ses individus... L'eau gèle, ah, ça ! Bien plus : Ce n'est pas la première fois ni la dernière. (Elle ne pèle pas, elle ne bêle pas; Mais qu'il gèle, elle gèlera ! Disent les huîtres.) Et lorsqu'au contraire on la chauffe, (Car d'elle-même elle est incapable de tiédir : Il faut qu'on le fasse à sa place...) Quand on la chauffe sa tactique est de disparaître. Un bouillon et elle est partie. Nous n'exagérons pas. « Ni nous non plus », dit l'autre. Incolore, inodore et sans saveur. C'est ça que vous me proposez pour thème. Je vous répondrais bien : «et les cailloux?» Mais non. Souvenez-vous pourtant que je parle en mon nom. Incolore ? - elle rougit De honte le front des baleines. Inodore ? - oui comme un pet. (Le pet est plus qu'elle incolore.) Sans saveur? - et l'insolente A la morgue de s'en vanter ! Chaude elle est? Oui... pour la soupe ! Mais on l'a connue froide ! Et le gel est en elle au fond de vos chaloupes. Marins ! Comme elle sait se faire lourde, Vous le savez, pêcheurs : Lourde d'avoir noyé la sole solitaire Et ces harengs hargneux qu'elle rend sur vos bancs par bancs? Ces vieux harengs que, dès l'aurore Vous tenùez, quelque part autour de l'horizon De rapporter, dragués, pour quelques sous Dans le panier sans fond, affamé, de vos ménagères. « Ces harengs cent sous ? Reprends ton filet. Rapporte-les où Tu les as péchés ! » Disaient-elles. Telles sont les femmes. Un jour, l'eau s'en ira. Car l'eau inodore, incolore et sans saveur, Est un monstre mythique Qu'aucun navigateur, jamais, n'a rencontré. Ce qu'elle est? L'eau? -je vous le dis, sachez-le bien : L'eau, l'eau, l'eau, L'eau, L'eau kst inutile. Oui. C'est bien là son signe distinctif. On reconnaît l'eau - à quoi donc? À ce qu'elle est strictement inutile. J'irai plus loin : c'est au point qu'elle n'est même pas nuisible ! Et c'est pourquoi, mes frères. Un jour l'eau s'en ira sans qu'on s'en aperçoive, Au hasard des tuyaux. Et l'arrosoir cultivera, comme à l'aube des temps, sa pomme. Même il se peut, déjà et sans qu'on s'en doute Que l'eau s'en soit allée Sans demander son reste et sans cascade superflue. |
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Roland Dubillard (1923 - 2011) |
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