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Fin de partie et le théâtre de l'absurde


Poésie / Poémes d'Samuel Beckett





L'expression de « théâtre de l'absurde » apparaît juste après la Seconde Guerre mondiale. Très vite, elle sert à désigner les ouvres de dramaturges, pourtant très différents les uns des autres, comme Ionesco', Adamov2 ou, précisément, Beckett.

Philosophiquement, l'absurde n'est pas synonyme d'irrationalité ou d'illogisme. Ce n'est pas le non-sens, c'est l'absence de sens, qui pousse à s'interroger sur ce que vivre veut dire quand l'existence est dépourvue de justification intrinsèque. Ce sont deux caractéristiques présentes dans Fin de partie qui, volontairement, se borne à dépeindre la condition humaine telle qu'elle, c'est-à-dire vouée à la déchéance et à la mort.



UNE ABSENCE DE SENS DE LA VIE

L'absence de toute transcendance3 prive le monde et l'homme de toute raison objective d'exister. Les idéaux que ce dernier peut s'inventer pour masquer ce vide, véhiculent des valeurs dérisoires, qui ne sauraient masquer les faiblesses et même la mort de la pensée.



Un monde sans transcendance

L'univers de Fin de partie est un monde sans Dieu: « Le salaud! Il n'existe pas! », s'exclame Hamm. « Pas encore {p. 74), lui répond Clov, qui semble le regretter. Mais qu'il s'exprime sur le mode du regret ou de la déploration, le constat reste le même: aucune transcendance n'est envisagée.

C'est pour éviter qu'elle soit envisagée que toute référence religieuse est systématiquement traitée par la dérision ou l'ironie. La prière qu'impose Hamm est une caricature. Nagg se hâte de la réciter pour avoir sa dragée (p. 73-74). Les paroles du Christ sont déformées: «Léchez-vous [au lieu de: «Aimez-vous»] les uns les autres » (p. 89). La moindre allusion biblique est tournée en ridicule (problématiquE).

Dieu n'existant pas, il s'ensuit que le monde n'a pas eu de Créateur, qu'aucune volonté n'a présidé à sa naissance, qu'il n'a donc aucune justification objective. Il est, mais il aurait pu ne pas être. Il est le fruit du hasard. En termes philosophiques, le monde est une contingence1. Certes Hamm semble dire le contraire quand il s'exclame, « véhément »: « Dire que tout cela n'aura peut-être pas été pour rien! » (p. 48). Mais le contexte indique qu'il s'agit d'une réflexion ironique ou d'un regret que tout cela ne soit pas en effet pour rien.



Des valeurs humaines dérisoires

Quelles sont dans ces conditions les raisons de vivre? Clov ironise sur celles que les hommes s'inventent ordinairement. Le bonheur est plus souvent absent que présent. Clov avoue qu'à « sa connaissance », il n'a jamais eu « un instant de bonheur » (p. 82-83). Hamm ne paraît pas davantage avoir été heureux.

L'amour est une illusion : « On m'a dit, Mais c'est ça, l'amour, mais si, mais si, crois-moi, tu vois bien que... » (p. 105). La structure même de la phrase lui enlève toute force de persuasion. L'amitié n'est pas mieux traitée: « On m'a dit. Mais c'est ça, l'amitié, mais si, mais si... » (p. 106).

D'une manière générale, ce sont tous les idéaux qui sont ainsi discrédités. Dans un effet comique évident, Hamm associe la disparition des valeurs à la chute des cheveux ou des dents: . Nous respirons, nous changeons! Nous perdons nos cheveux, nos dents! Notre fraîcheur! Nos idéaux! .> (p. 23). Quand Hamm promet sur .> l'honneur » une dragée à son père, tous deux éclatent de rire (p. 67-68).

C'est que rien, aucune valeur, aucun idéal, ne saurait masquer le fait que l'homme naît pour mourir et que rien ne peut combattre ou vaincre la mort: « réfléchissez, vous êtes sur terre, c'est sans remède! » (p. 89).



La mort de la pensée

Depuis l'Antiquité, la capacité à raisonner définit l'être humain et le distingue des animaux. Fin de partie remet en cause cette capacité. À la question que lui pose Hamm de savoir s'il a « jamais pensé » à une « chose », à quoi que ce soit. Clov répond brièvement, mais clairement: « Jamais » (p. 54).

Clov admet d'ailleurs que « personne au monde n'a jamais pensé aussi tordu que [lui et Hamm] » (p. 23). Lorsqu'il se félicite d'être redevenu .. intelligent », c'est qu'il vient de se rendre compte qu'il a confondu sa gauche avec sa droite (p. 94-95) ! Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'est guère une preuve de grande intelligence. Constatant qu'il a « mal aux jambes » comme « c'est pas croyable ». il ajoute aussitôt: .< Je ne pourrai bientôt plus penser » (p. 64). Comme s'il y avait un rapport quelconque entre les deux faits ou comme s'il pensait avec ses pieds.

Hamm partage sur ce point l'avis de Clov. L'idée qu'une « intelligence supérieure», Dieu, ou un être possédant des qualités exceptionnelles, vienne sur Terre observer les hommes provoque son hilarité (p. 47-48). Il se moque encore de Clov quand celui-ci dit chercher un moyen de l'avertir de son éventuel départ: - Quel penseur! », dit-il ironiquement (p. 64).

Dans ses rêves d'évasion, Hamm n'imagine pas enfin rejoindre ou retrouver d'autres humains, ce qui serait logique, mais - d'autres... mammifères » (p. 50). Si l'on prive l'homme de sa capacité à raisonner, l'homme n'est en effet plus qu'un animal parmi d'autres.



POURQUOI DONC VIVRE?

Débarrassé de toute croyance, délivré de toute illusion et sentiment, l'homme peut dès lors regarder la vie en face, dans ce qu'elle a de plus irréductible, de plus inévitable ou fatal: la déchéance qui, avant de conduire à la mort, transforme la vie en punition ainsi qu'en une longue attente sans intérêt.



Une déchéance sans remède

Conséquence du temps qui passe inexorablement, la dégradation des corps va s'accélérant (-* problématiques 3 et 11). Or celle-ci ne commence pas avec la vieillesse: elle débute avec la naissance. C'est pourquoi « la fin est dans le commencement >. (p. 89). Hamm ne comprend pas dans ces conditions pourquoi le gueux tient absolument à sauver son enfant:

Vous ne voulez pas l'abandonner ? Vous voulez qu'il grandisse pendant que vous, vous rapetissez? (Un temps.) Qu'il vous adoucisse les cent mille derniers quarts d'heure? (Un temps.) Lui ne se rend pas compte, il ne connaît que la faim, le froid et la mort au bout. Mais vous ! Vous devez savoir ce que c'est, la terre, à présent, (p. 109)

Fiancés, Nagg et Nell étaient heureux. Un accident les a réduits à l'état de déchets végétant dans des poubelles. Hamm n'était pas aveugle de naissance: il ne voit désormais plus. Il n'était pas davantage paralysé: le voilà impotent. Clov, quant à lui, ne va pas tarder à devenir l'un et l'autre.



Une punition sans motif

Vivre devient dans ces conditions insupportable. C'est un châtiment, sans faute commise ni justification. « On ne peut plus me punir » (p. 16), affirme Clov. Il ne peut plus être puni en effet puisqu'il l'est déjà et qu'il ne peut pas l'être davantage. « Il faut que tu arrives à souffrir mieux que ça, si tu veux qu'on se lasse de te punir » (p. 106), s'encourage-t-il encore, en maniant le paradoxe. Plus il vivra, plus il souffrira, mais plus il souffrira et plus sa vie en sera (peut-êtrE) abrégée. Pour lui, « la belle époque », ce n'est pas sa jeunesse, c'est quand il n'était « pas encore de ce monde » (p. 61). C'est pourquoi la paternité apparaît comme un crime impardonnable. Hamm couvre son père d'insultes: « Maudit progéniteur! » {p. 21); « Maudit fornicateur! » (p. 22); « Salopard! Pourquoi m'as-tu fait? » (p. 67). Donner la vie, c'est donner la souffrance et la mort. Quant à l'enfant que Clov dit apercevoir, il est certes trop jeune pour être père, mais il n'en est pas moins un « procréateur en puissance » (p. 103). La première réaction de Clov est donc de vouloir le tuer ( problématiquE).



Une attente sans intérêt

On peut dès lors se demander pourquoi aucun des personnages ne se suicide. Ce serait en effet mettre fin à cette punition. Hamm semble envisager cette solution, mais c'est pour la rejeter aussitôt: « Assez, il est temps que cela finisse, dans le refuge aussi. {Un temps.) Et cependant j'hésite, j'hésite à... à finir» (p. 15). Il « hésite » peut-être par lâcheté, peut-être parce qu'il aurait matériellement du mal à le faire, mais surtout parce que c'est inutile. Le temps se charge de le tuer et rend sa « fin » proche.

Clov et Hamm attendent que ce « quelque chose » qui .< suit son cours » (p. 47) finisse par les emporter. Et, en attendant, pour s'occuper, ils jouent chaque jour la même « comédie » (p. 47) du .< tour du monde », de la prise de calmant ou, pour Nagg et Nell, des vaines embrassades. Leur existence vide ne peut mieux montrer le vide de l'existence - de toute existence. Quand on est « sur terre, c'est sans remède » (p. 71) et « il n'y a pas de raison pour que ça change » (p. 17).



LA CONDITION HUMAINE A L'ÉTAT BRUT

Cet absurde tel que Beckett le dépeint s'apparente en définitive à un antihumanisme. C'est ce qui le distingue des autres écrivains ou philosophes de l'absurde. Beckett se soucie moins de dire ce qu'est l'homme que de le montrer tel qu'il est.



Un antihumanisme...

Plusieurs définitions existent de l'humanisme, mais quelle que soit la définition que l'on en donne, elle trouve son démenti dans Fin de partie.

Dans son interprétation traditionnelle, l'humanisme cherche à contribuer à l'épanouissement moral, culturel et politique, de l'homme. Les personnages de la pièce sont loin de cet idéal. Ils ne songent même pas à développer leurs capacités intellectuelles ou à pratiquer une activité culturelle, comme par exemple la lecture.

Si l'on voit dans l'humanisme la volonté de faire de l'être humain la valeur suprême et que l'on considère que rien n'est au-dessus de l'homme, Fin de partie développe une vision exactement contraire. Les personnages sont à peine des humains, qui regrettent de l'être encore. L'univers y est en voie d'extinction et de régression. Le plus beau rêve de Hamm serait de rencontrer d'« autres mammifères » (p. 50). Quant à Clov, il rêve d'« un monde où tout serait silencieux et immobile et chaque chose à sa place dernière » (p. 76), c'est-à-dire d'un monde mort, d'avant ou d'après les hommes.



.. propre à Beckett

D'autres dramaturges ou philosophes du XXe siècle ont certes développé des philosophies de l'absurde. Pour Albert Camus (1913-1960), l'absurde réside dans la contradiction fondamentale entre l'aspiration à l'absolu propre à tout humain et l'inexistence de ce même absolu (puisque Dieu n'existe paS)1. Mais il en tire la conclusion que c'est à l'homme de se construire un avenir personnel et collectif. Postulant l'inexistence de Dieu, l'existentialisme sartrien est, de son côté, un vigoureux appel à la liberté et à l'action. C'est en ce sens que cet appel est un humanisme.

Il n'y a rien de tel chez Beckett. L'absurde n'y est pas une délivrance; il ne rend pas l'homme maître et seul maître de lui et du monde. Tout ce qu'il peut entreprendre est d'avance vain. Le progrès même médical est futile ou inutile (p. 106). C'est que la mort finit toujours par gagner - c'est qu'elle est déjà en train de gagner.



Montrer l'homme

Beckett s'est toujours vigoureusement défendu de proposer une philosophie ou de délivrer un quelconque message - comme il s'est toujours méfié des interprétations que l'on a pu donner de son théâtre ou des tentatives de récupération qu'on en a essayé d'en faire. On a parfois voulu voir dans Fin de partie (comme dans En attendant GodoT) une illustration de « l'homme sans Dieu ». désespéré d'être livré à lui-même et donc l'expression d'une angoisse métaphysique. Mais il y a chez Beckett un refus radical du sens dont Fin de partie se fait l'écho. Clov éclate d'un « rire bref >< à l'idée, émise par Hamm, de « signifier quelque chose .. (p. 47).

Beckett n'élabore pas de système: il constate ce qu'est fondamentalement la condition humaine. Comme Clov lui fait remarquer que Nagg « pleure », Hamm réplique: « Donc il vit » (p. 82). C'est montrer la condition humaine à l'état brut ou pur. Voici l'homme. Et en le montrant comme nu, embarqué malgré lui dans un univers sans cause ni but, il incite à la réflexion. C'est faiblement, mais c'est déjà et paradoxalement une certaine forme d'humanisme.

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Samuel Beckett
(1906 - 1989)
 
  Samuel Beckett - Portrait  
 
Portrait de Samuel Beckett

Biographie

Samuel Beckett naît en Irlande le 13 avril 1906 à Foxrock dans la banlieue sud de Dublin. Ses parents appartiennent à la bourgeoisie protestante de la ville et lui donnent une éducation très stricte.

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