Samuel Beckett |
RÉSUMÉ Nagg réclame avec insistance sa « bouillie ». Hamm l'insulte aussitôt: « Maudit progéniteur! » (p. 21). Comme il n'y a plus de bouillie, Clov donne à Nagg un biscuit que celui-ci ne peut pas manger parce qu'il est trop dur. Nagg s'en plaint. Hamm ordonne alors à Clov de le boucler dans sa poubelle. Clov s'exécute. Les deux hommes se plaignent d'être seuls et de n'avoir rien à faire. Mais « quelque chose suit son cours » (p. 26), dit Clov. « Ça avance » (p. 27), constate de son côté Hamm. Autour d'eux, tout est en train de mourir, même la lumière et les graines que Clov a plantées et qui ne germeront jamais. Pour mieux écouter la conversation, Nagg repasse sa tête au-dessus de la poubelle, ses mains toujours accrochées au rebord. Hamm renvoie Clov, lui dit de s'en aller. C'est ce qu'en vain Clov essaie de faire « depuis [sa] naissance » (p. 26). Un déchet humain dans une poubelle L'apparition de Nagg révèle la fonction des poubelles: celles-ci servent d'habitacle à des culs-de-jatte. Cette vision crée une atmosphère pathétique'. Physiquement, Nagg parvient juste à s'accrocher au rebord de la poubelle pour en émerger la tête. Psy-chiquement, il est devenu presque gâteux et réclame sans cesse sa bouillie. Hamm n'en est pas moins sans pitié pour son père: « Ah il n'y a plus de vieux! Bouffer, bouffer, ils ne pensent qu'à ça! » (p. 21). Et c'est sans ménagement ni compassion qu'il le fait renfermer. Un temps monotone et destructeur Il est difficile de parler d'action ou de progression dramatique. Rien ne se produit en effet, aucun événement, pas même de « coups de téléphone » (p. 23) qui donneraient des nouvelles de l'extérieur. La nature elle-même semble morte: aucune graine ne germe. Pourtant, comme le remarque Clov, « quelque chose suit son cours » (p. 26). Ce « quelque chose », c'est la fuite inexorable du temps, ennuyeux et vide, mais qui précipite chaque seconde davantage vers l'anéantissement: «[...] nous respirons, nous changeons! Nous perdons nos cheveux, nos dents! Notre fraîcheur! Nos idéaux! » (p. 23). La progression dramatique réside dans cet imperceptible écoulement du temps. Un humour noir L'humour noir consiste à se moquer de ce qui n'est pas en soi comique, comme la maladie ou la mort. Il se manifeste ici dans l'inversion parodique d'expressions populaires toutes faites. « Il n'y a plus de jeunes (ou de jeunessE) .> devient ainsi : « Ah il n'y a plus de vieux !» (p. 21). La formule familière: - Occupe-toi de tes oignons » se transforme en « T'occupe pas de mes moignons » (p. 22). Amputé, Nagg se moque de ses propres malheurs. De plus, la perte des idéaux est grammaticalement traitée de la même manière que la chute des cheveux (p. 21). Entre rêve et souvenir Nell, la mère de Hamm, émerge à son tour de sa poubelle et parle longuement avec son mari. Voilà longtemps qu'ils ont tous deux perdu leurs jambes dans un « accident de tandem » (p. 29). Leurs misères physiques ne s'arrêtent pas à l'amputation de leurs jambes. Elles continuent et s'accentuent avec le temps: leur vue et leur ouïe baissent, Nagg vient de perdre son unique dent et Nell a froid. Comme des animaux, ils vivent sur une litière naguère de sciure, maintenant de sable, que Clov ne change même plus. Agacé par leur bavardage qui l'empêche de dormir, Hamm leur ordonne de se taire. S'il parvenait à dormir, peut-être en effet rêverait-il d'amour, de liberté et de grands espaces. Hamm déplore qu'il y ait « une goutte d'eau dans [sa] tête » et même « un cour » (p. 31). Entendant cela, Nell éclate de rire parce que, dit-elle, « rien n'est plus drôle que le malheur» (p.31). Scandalisé, Nagg préfère rire d'une histoire drôle, celle d'un Anglais se faisant faire un pantalon par son tailleur. Maladroit, le tailleur rate successivement le fond du pantalon, l'entrejambes, la braguette, les boutonnières. Trois mois plus tard, le pantalon n'est toujours pas prêt. L'Anglais s'indigne d'un délai aussi long pour confectionner un simple pantalon : Dieu, lui, n'a mis que six jours pour créer le monde! Certes, réplique le tailleur, mais le monde est raté, tandis que son pantalon sera, lui, parfait! Mais Nagg a si souvent raconté cette histoire qu'elle ne fait plus rire Nell. Excédé, Hamm demande à Clov d'enlever « ces ordures » (p. 36). En renfermant Nell dans sa poubelle, Clov constate qu'elle n'a plus de pouls. Hamm se réjouit de l'efficacité de la poudre qui l'a empoisonnée. Il a alors « envie de faire pipi » (p. 38). Des parents semblables comme des jumeaux C'est la première (et la dernièrE) fois qu'apparaissent ensemble les parents de Hamm. Entre le mari et la femme, les ressemblances sont frappantes. Tous deux ont le teint «frès blanc- (p.21 et27), sont affligés des mêmes handicaps et échangent des répliques identiques et interchangeables: « nagg: Tu me vois?/NELL: Mal. Et toi?/ nagg: Quoi?/NEU_: Tu me vois?/ nagg: Mal» (p.28). Si l'amour qui les a unis perdure encore, c'est en vain, puisqu'ils ne peuvent même plus s'embrasser. Leur couple n'en est pas moins l'exact contraire de celui formé par Hamm et Clov, qui est fondé sur la haine. L'accélération de la dégradation Le processus de décomposition fonctionne de plus en plus vite. Nagg et Nell sont des moitiés d'êtres humains. Leur litière les anima-lise. Tous deux deviennent des ordures, tout juste bonnes à être jetées à la mer. Avec l'empoisonnement de Nell se produit l'étape ultime de l'anéantissement. La mort de Nell n'est toutefois qu'un aspect d'une dégradation plus générale. Même les histoires censées être les plus drôles ne font plus rire, comme le montre l'anecdote du pantalon. La conclusion en est en effet que Dieu a bâclé en six jours la création du monde, qu'il l'a ratée, comme le tailleur a raté son pantalon. À une différence près cependant: on peut retoucher le pantalon jusqu'à ce qu'il soit parfait, mais on ne peut pas refaire le monde. Bonheur perdu et bonheur rêvé Nagg et Nell se souviennent du temps heureux de leurs fiançailles, quand ils avaient encore leurs jambes. Tout naturellement, ils s'expriment aux temps du passé. Hamm, lui, se laisse aller à des rêves de bonheur et s'exprime au conditionnel présent: « Si je dormais je ferais peut-être l'amour » (p. 31). Là, il s'agit d'un temps à jamais révolu, ici d'un futur à jamais inaccessible. Le résultat est le même. L'amour, la liberté, la joie de vivre ne sont plus d'actualité. Reste l'éternel présent, fait de plaintes et de souffrances. La vie s'écoule ainsi entre un passé ressassé et un irréel du futur. Nagg comédien L'histoire de l'Anglais et de son tailleur, que raconte longuement Nagg, introduit un jeu dans le jeu qu'est la pièce elle-même (-♦problématique 8). Nagg interprète en effet plusieurs rôles: le sien d'abord; puis celui de l'Anglais dont il prend le visage et la voix, précisent les didascalies; celui enfin du tailleur. Le personnage se transforme ici en comédien. |
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Samuel Beckett (1906 - 1989) |
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Portrait de Samuel Beckett | |||||||||
BiographieSamuel Beckett naît en Irlande le 13 avril 1906 à Foxrock dans la banlieue sud de Dublin. Ses parents appartiennent à la bourgeoisie protestante de la ville et lui donnent une éducation très stricte. |
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