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Un théâtre d'avant-garde


Poésie / Poémes d'Samuel Beckett





Les années 1950 virent se produire une révolution dramatur-gique qui bouleversa aussi bien l'écriture que la pratique de l'art théâtral'. Pour qualifier cette révolution dont Beckett fut l'un des initiateurs, les appellations ne manquèrent pas: on a tour à tour parlé de « nouveau théâtre », de théâtre de l'absurde », de théâtre de dérision ». de théâtre d'avant-garde » et même d'« anti-théâtre ». Quelle que soit l'appellation que l'on préfère et retienne, toutes ont le mérite de souligner l'émergence de nouvelles conceptions qui rompent avec la tradition théâtrale.

Fin départie en est une éclatante illustration. La pièce ne reprend aucune des caractéristiques de la dramaturgie traditionnelle. Elle ne milite en faveur d'aucune position esthétique2 ou philosophique. Mais elle élabore un nouveau langage dramatique.



LE REJET DE LA DRAMATURGIE TRADITIONNELLE



La disparition de l'intrigue, l'effacement du personnage et l'abandon de la structure ordinaire des pièces constituent les principales formes du rejet de la dramaturgie traditionnelle.



La disparition de l'intrigue

Longtemps, comédies et tragédies ont raconté des histoires. Elles reposaient sur une intrigue. Aussi n'imaginait-on pas de pièce sans action. L'exposition' en présentait les données; des péripéties2 venaient en modifier le cours: enfin le dénouement résolvait le conflit ou le problème soulevé. Le théâtre d'avant-garde se refuse à raconter quoi que ce soit.

Fin de partie ne repose en effet sur aucune intrigue. Enfermés dans leur refuge dont ils ne peuvent ni ne veulent sortir, les personnages attendent la mort. Ils ne font rien, sinon parler, sinon, pour Clov, aller d'une fenêtre à l'autre et pour Nagg réclamer son biscuit ou sa dragée. Rien ne se passe, sinon ce « quelque chose » qui .< suit son cours » et qui est l'inexorable et silencieuse fuite du temps (p. 26). Attendre et, tout en s'impatientant d'attendre, parler de presque rien : on ne peut mieux détruire l'idée même d'action.



L'effacement du personnage

La disparition de l'intrigue s'accompagne de celle du personnage. Qu'est-ce en effet qu'un personnage? Longtemps on l'a défini par son rôle. Mais un même personnage peut dans une même pièce assumer plusieurs rôles. Par exemple, dans Le Malade imaginaire (1673) de Molière, Toinette joue tour à tour le rôle d'une servante et d'un médecin. Par lequel de ces deux rôles la définir? Et pourquoi la définir plus par l'un que par l'autre? Un personnage n'est pas davantage un caractère comme on l'a également longtemps dit: il n'est pas un être vivant pour posséder un caractère. Le personnage ne préexiste ni ne survit au texte. Ce n'est qu'un être fictif, un « être de papier... dont il est vain d'analyser la psychologie.

Nell et Nagg. Hamm et Clov sont ainsi dépourvus de tout caractère : Hamm peut apparaître inquiet ou exigeant et parfois tyrannique: ces réactions et sentiments ne suffisent pas à dessiner un caractère; pas plus que l'obéissance de Clov n'autorise à dire qu'il est servile. Ce qui commande leurs réactions, c'est la situation dans laquelle ils sont, pas ce qu'ils sont par et en eux-mêmes. Leur biographie se réduit d'ailleurs à des bribes: une promenade sur le lac de Côme et un accident de tandem pour Nell et Nagg ; l'adoption de Clov par Hamm. Leur âge reste imprécis, on sait seulement qu'ils sont « vieux .. (p. 106). Même leur identité est des plus floues. Leur patronyme les individualise à peine: ce sont des monosyllabes, comme si le raccourcissement de leur nom était le reflet de l'amoindrissement de leur existence.

Peut-on d'ailleurs encore parler à leur propos d'individu ou d'individualité? Les quatre personnages de la pièce vont deux par deux. Aucun n'est franchement autonome, pas même Clov qui, s'il est le seul à encore pouvoir marcher, dépend de Hamm pour se nourrir. Interdépendants les uns des autres, ils se ressemblent au point de devenir interchangeables: Clov sera demain ce que Hamm est aujourd'hui (-» problématique 1). Les personnages ne sont donc pas des types.



L'abandon de la structure classique

Depuis le début du xvii* siècle, une pièce se divise en actes qui eux-mêmes se subdivisent en scènes, généralement rythmées par les entrées et sorties de scène des personnages. Fin de partie ignore ce type de découpage. Tout au plus peut-on dire que la pièce est en un acte. Mais c'est une facilité de langage, car rien ne l'indique formellement'. Ce sont les silences (.. Un temps ») et les didascalies qui en constituent les éléments organisateurs. Ils isolent des séquences, comme dans l'exemple suivant : p. 17, depuis « {Un tempS) hamm. - À part ça, ça va? » jusqu'à « // va vers la porte » (p. 18). On retrouve le même schéma aux pages 18 et 19.



LE REFUS DE TOUT SENS

Fin de partie reste par ailleurs aussi éloignée de tout réalisme que de tout idéal, par méfiance envers tout langage signifiant.



Le refus de tout réalisme

Le théâtre d'avant-garde n'ambitionne pas d'imiter ou de reproduire le réel. Les notions les plus élémentaires comme le temps et le lieu sont brouillées. Rien ne permet de préciser où se situe le refuge, sinon sur un vague littoral (..» problématique 12). Rien ne permet non plus de savoir depuis quand les personnages sont cloîtrés. Les repères chronologiques aussi simples que le passé, le présent et le futur sont effacés: tout est étirement et répétition de la même journée et de la même heure. « Sans meuble » (p. 11), l'intérieur est par le fait même sans style: ni mobilier ni bibelot ne suggèrent d'époque (~* problématique 11).

La vraisemblance n'est pas davantage maintenue. Comment peut-il faire « noir clair », « gris et, en l'absence du soleil, ni jour ni nuit (p. 46)? Quelle apocalypse s'est produite pour que tout soit « mortibus » alentour du refuge (p. 44)? Aucune explication n'est fournie. Beckett ne se soucie pas de rendre crédible sa « fin de partie ». Il rejette toute illusion référentielle1. Ce qui lui importe, c'est de montrer une situation: l'attente de l'anéantissement, et non de dire comment et pourquoi cet anéantissement se produit.



Le refus de tout idéal esthétique ou philosophique



Beckett ne prétend pas davantage proposer le moindre idéal. Fin de partie n'expose aucun système philosophique, aucune conception politique, aucune vision religieuse du monde. Clov ironise sur l'amitié, l'amour et le progrès. Ces sujets sur lesquels on peut indéfiniment débattre sont pour lui toujours les « mêmes inepties » (p. 62). Pas plus que Hamm, il n'éprouve d'angoisse métaphysique (-» problématiques 5 et 6). Sa seule et véritable « angoisse », comme l'indique une didascalie, est de sentir une puce dans son pantalon (p. 48)!

Il n'y a pas non plus d'idéal esthétique. Le « tableau » renvoie par définition à l'art, mais il est « retourné » contre le mur (p. 11). Pour le reste, tout est sans harmonie, sans forme ni couleur. Aucune beauté ne naît de l'apocalypse ni ne réside en elle.



Le refus de tout langage signifiant

Que veut dire un mot? Que veulent dire les quatre lettres qui composent le mot » hier »? Pourquoi ces quatre lettres-là et pas d'autres? L'un des grands apports de la linguistique1 moderne a été de montrer l'étrangeté, la complexité voire l'opacité du langage.

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Samuel Beckett
(1906 - 1989)
 
  Samuel Beckett - Portrait  
 
Portrait de Samuel Beckett

Biographie

Samuel Beckett naît en Irlande le 13 avril 1906 à Foxrock dans la banlieue sud de Dublin. Ses parents appartiennent à la bourgeoisie protestante de la ville et lui donnent une éducation très stricte.

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