Simone de Beauvoir |
À la fin de l'été 1913, le retour à Paris marque un grand changement dans la vie des deux sours : Simone a cinq ans et demi et doit entrer à l'école. Naturellement, il n'est pas question d'inscrire la petite fille ailleurs que dans un cours privé, catholique, dans lequel elle n'aura que de bonnes fréquentations et un enseignement moralement irréprochable. 11 y a seulement huit ans que la loi de séparation des Eglises et de l'Etat a été votée, dans un climat de tension ravivé en 1908 par la loi complémentaire sur la répartition des biens ecclésiastiques. Si le lycée a la faveur de nombreuses familles bourgeoises, il est impensable pour Georges de Beauvoir d'y faire entrer sa fille : il craint pour elle la mauvaise influence d'une société plus mélangée. Il attache énormément d'importance à son éducation, tant morale qu'intellectuelle. Françoise, qui au contact de son mari a pris conscience de la pauvreté de l'enseignement dispensé aux filles dans les écoles religieuses et les couvents, ne tient pas à mettre Simone dans un établissement strictement religieux. De plus, dans les écoles catholiques les élèves doivent impérativement être demi-pensionnaires, porter un uniforme et une paire de gants blancs lavés chaque jour. Pour la famille Beauvoir, ce sont là des frais excessifs ; si Georges souhaite suivre les usages de l'aristocratie, il n'en a guère les moyens matériels. Le cours Désir aura finalement leur préférence. Fondé par une aristocrate laïque, Adeline Désir, cette institution est destinée à prodiguer aux filles de la bonne société une véritable éducation. Les enfants y passent entre dix et douze ans, et y reçoivent une instruction intellectuelle et religieuse. L'école dispose d'une chapelle privée; un prêtre vient y enseigner le catéchisme aux élèves, qui évitent ainsi la fréquentation des enfants de la paroisse. Les autres cours sont dispensés par des institutrices surtout préoccupées par la morale à inculquer aux filles pour qu'elles tiennent au mieux leur rôle dans la société. Malheureusement, cela appauvrit considérablement les contenus de l'enseignement qui doit toujours rester dans les limites autorisées par l'Église. Pour les petites filles de la bonne société, une seule alternative : se marier ou prendre le voile. Georges voit dans cette école une garantie morale et une affirmation de son statut social, Françoise y trouve l'assurance d'une éducation catholique. Ne doit-on pas prononcer « Désir », en omettant l'accent, afin d'éviter toute ambiguïté de sens ? Quant à Simone, qui sait déjà lire et compter, elle brille facilement : « Je savais lire, écrire, un peu compter : j'étais la vedette du cours " Zéro " .» Elle aime être la meilleure et travaille dur pour maintenir son rang, au point que sa mère et ses institutrices lui reprochent souvent le désordre de sa tenue. Elle est en effet si pressée de commencer sa journée d'école qu'elle néglige coiffure et vêtements. La discipline rigoureuse, les cérémonies de félicitations lui conviennent : elle est curieuse d'apprendre et avide de reconnaissance, et elle redoute plus que tout l'inaction et l'ennui. Elle ne noue pas de relations avec les autres élèves qui déchiffrent à peine leur alphabet : les enfants ne l'intéressent pas, elle qui est considérée depuis longtemps comme une petite adulte par son père. De plus, sa mère n'encourage pas les fréquentations entre enfants. Pour l'instant, Simone se satisfait entièrement de la compagnie de ses parents, de ses enseignantes et de sa sour qu'elle instruit au fur et à mesure qu'elle-même apprend. Poupette est une bonne élève, toujours prête à se plier à la discipline imposée par son aînée. Ainsi, malgré leurs deux ans d'écart et l'entrée de Simone à l'école, les deux enfants restent très proches, et la séparation n'est pas trop douloureuse. Au cours Désir, les mères sont fortement incitées à assister à la classe, et attribuent les notes de conduite. Françoise ne manque jamais de donner un dix à sa fille. Les élèves sont donc en permanence sous la surveillance étroite des adultes, auxquels pas un mot, pas une bêtise, pas une étourderie ni un instant de rêverie n'échappent. Il y a deux séances hebdomadaires de lecture des notes : « Chaque mercredi, chaque samedi, je participai pendant une heure à une cérémonie sacrée, dont la pompe transfigurait toute ma semaine. " ». Chaque matin et chaque soir, les deux petites filles assistent à la messe avec leur mère, le service religieux encadrant ainsi la journée de travail. À la maison, lorsque les devoirs sont faits, elles prient toutes les trois, sous l'oil narquois de Georges. Sceptique, celui-ci ironise sur les miracles de Lourdes et procure à Simone une littérature plus consistante que les ouvrages édifiants fournis par sa femme : Rudyard Kipling, Fenimore Cooper, Jules Verne. Ce mélange de culture et de censure, de liberté intellectuelle et de religiosité sera certainement à l'origine de l'indépendance d'esprit des deux fillettes. L'amour qu'elles portent à leur mère, l'admiration qu'elles vouent à leur père et les contradictions qu'elles observent entre ces deux personnages si importants pour elles les amèneront peu à peu à douter, à chercher à se faire leurs propres opinions. Car leur entente est sans faille : bien que l'aînée soit la préférée, Hélène et Simone sont solidaires et le resteront. Heureusement, car les années sombres s'annoncent : la guerre est proche. |
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Simone de Beauvoir (1908 - 1986) |
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Portrait de Simone de Beauvoir | |||||||||
OuvresNée dans une famille bourgeoise et catholique, Simone de Beauvoir entreprend, à l'âge de 17 ans, des études de lettres et de mathématiques. En 1926, elle adhère à un mouvement socialiste et suit des cours de philosophie à la Sorbonne pour préparer le concours de l'agrégation. C'est à cette époque qu'elle fait la connaissance de Jean-Paul Sartre, qui fréquente le même groupe d'étudiants qu'elle. Dé Bibliographie sÉlective |
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