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La fin du pacte


Poésie / Poémes d'Simone de Beauvoir





Après 1972, année de publication de Tout compte fait, Simone partage son temps entre Sartre, Sylvie, et le mouvement féministe. Elle voyage, sort, participe à des réunions et continue à superviser le comité de rédaction des Temps Modernes. Sartre, qui a toujours compté sur elle pour le protéger des importuns, se trouve souvent pris de court par tous ceux, et ils sont nombreux, qui viennent lui demander sa signature ou un article. Castor n'a que faire d'être détestée par les solliciteurs, et elle n'hésite jamais à claquer la porte au nez des indésirables. Ariette est beaucoup plus jeune, moins connue : elle impressionne moins.



La vue de Sartre décline. Il a besoin d'aide pour toutes les tâches quotidiennes. Le plus terrible pour lui est de ne pouvoir ni lire ni écrire. Ariette lui fait la lecture, ainsi que Simone, qui l'aide aussi à rédiger ses articles. Il se fatigue très vite, a parfois les idées confuses. En 1973, sa vue se dégrade encore et il a plusieurs attaques. Simone réagit devant la maladie et la peur de la mort comme elle l'a toujours fait : elle consigne les faits et ses sentiments par écrit, et, en apparence du moins, continue à mener sa vie comme d'habitude. Les notes qu'elle prend rendent compte de tous les événements de la vie de Sartre de 1970 à sa mort, en 1980. Elles seront publiées en 1981, suivies des Entretiens avec Jean-Paul Sartre que Simone mène avec lui pendant l'été 1974, sous le titre : La Cérémonie des adieux.

Car pendant les dix dernières années de sa vie, malgré l'épuisement, Sartre garde une activité de jeune homme. S'il ne fait plus de grands voyages, il continue à passer l'été dans le Sud et à Rome. Il écrit des articles, donne des interviews, participe à la fondation du journal Libération, tourne un film avec Alexandre Astruc et Michel Contât, Sartre par lui-même. Il continue à recevoir d'innombrables visites, veut terminer son livre sur Flaubert. Beaucoup d'hommes en pleine forme ne tiendraient pas le rythme... Mais, lentement, la maladie sournoise qui le ronge asphyxie son cerveau, ce qui provoque des absences, ralentit ses mouvements. Simone, qui travaille beaucoup de son côté, est heureuse de trouver de l'aide. Une amie journaliste, Liliane Siegel, a l'idée de proposer à Pierre Victor d'être le secrétaire de Sartre.



Pierre Victor, de son vrai nom Benny Lévy, est un jeune normalien, fondateur de la Gauche prolétarienne. Sartre aime son militantisme, son énergie. Le jeune homme vit dans la clandestinité : originaire d'Egypte, où il est né en 1945, il est arrivé en France à onze ans avec ses parents, mais n'a pas acquis la nationalité française. Employé et soutenu par Sartre, il obtient sa naturalisation. Ariette l'accueille avec réticence, puis au fil du temps deviendra son alliée ; Simone, d'abord ravie, regrettera plus tard de lui avoir laissé autant de pouvoir sur la vie de Sartre. Le jeune homme stimule le plus possible l'intellect du vieux philosophe : il lui fait la lecture, discute ses conceptions philosophique et politiques, met par écrit ses réflexions sur Flaubert. L'ancien Pierre Victor se détourne de l'extrême gauche pour se pencher sur ses origines juives et leur signification. Il aborde peu à peu avec Sartre des thèmes religieux et moraux et se rapproche d'Ariette, elle aussi Juive déracinée d'Afrique du Nord.

Simone ne s'aperçoit pas de l'influence profonde qu'exerce Benny Lévy sur Sartre. Elle est heureuse pour lui car il semble retrouver l'énergie d'écrire, même si c'est par personne interposée. Leurs soirées à deux et leurs vacances estivales continuent, sa vie de militante féministe ainsi que de nombreuses autres causes occupent beaucoup de son temps. Elle intervient publiquement chaque fois qu'elle le peut pour demander la libération des prisonniers politiques, en URSS, à Cuba, en Grèce, en Espagne... Elle fonde la Ligue du droit international des femmes, affirme sa solidarité avec Israël, tout en réclamant un pays pour les Palestiniens. En 1975, elle reçoit le Prix de Jérusalem, qui récompense ses prises de position en faveur de la liberté d'opinion.

Toute cette activité l'empêche de penser l'impensable : l'âge a rattrapé Sartre et son Castor. Au milieu des années 1970, la maladie connaît un court répit : pendant quelque temps, Sartre retrouve sa vivacité, il peut à nouveau converser normalement, songe à se remettre à écrire. C'est alors qu'ils enregistrent les Entretiens, dans lesquels Simone l'interroge longuement sur sa jeunesse, ses idées politiques et philosophiques, son parcours d'écrivain, ses amours, leur pacte si particulier : « Le monde, je le vivais avec vous », lui dit-il.

Malheureusement, dès 1977, les relations se tendent autour de Sartre, entre Simone et la « famille » d'une part, et Benny Lévy et Ariette d'autre part. Espérant ranimer l'intérêt de Sartre pour Les Temps Modernes, Simone fait entrer Benny Lévy à la rédaction. Loin de produire l'effet escompté, cette mesure accentue encore la tension entre les deux groupes. Sartre, qui n'assistait aux réunions que sur l'insistance de Castor, saisit aussitôt l'occasion : il se fait représenter par son secrétaire et ne se montre plus.



En 1978, l'état de Sartre s'aggrave : sa tension est très élevée, il ne peut plus marcher tant ses jambes sont douloureuses. Malgré les injonctions du médecin, il continue de fumer et de boire. En dépit de tout cela, il fait un voyage en Israël avec Ariette et Benny Lévy. Ce dernier étudie la Kabbale, se passionne pour l'avenir politique de cette région du monde, et veut que Sartre y travaille avec lui. À leur retour, il écrit un compte-rendu de leurs entretiens avec des personnalités israéliennes et palestiniennes, signé Sartre-Victor, et l'envoie au Nouvel Observateur. Jean Daniel, le directeur, s'étonne : après seulement quatre jours en Israël, les auteurs parlent comme des experts ; le texte est écrit à la va-vite ; il demande son avis à Bost, qui fait partie de la rédaction. Celui-ci se précipite chez Simone pour lui montrer le texte. Outrée, elle se rend immédiatement chez Sartre et exige des explications, lui demande de retirer l'article, ou au moins son nom. « " D'accord ", me dit Sartre avec insouciance. Mais quand je parlai à Victor, il se mit en colère : jamais on ne lui avait fait pareil affront. » À la réunion suivante des Temps Modernes, une dispute éclate avec les journalistes qui critiquent également l'article : « Victor les insulta, déclara par la suite que nous étions tous des morts, et ne remit plus les pieds aux réunions. » Pour la première fois, un ami de Sartre n'est pas celui de Beauvoir : « Je regrettai qu'une partie de la vie de Sartre me fût désormais fermée. » La rupture entre les deux clans est définitive ; Simone vient chez Sartre lorsque Benny Lévy est absent, c'est-à-dire de moins en moins souvent. Ce dernier emmène souvent Sartre et Ariette chez lui pour dîner. Ils y prennent grand plaisir, et Sartre se coupe encore un peu plus de son ancienne « famille ». Les rumeurs parisiennes vont bon train : on dit que le clan de Beauvoir cherche à accaparer Sartre en complotant contre Benny Lévy, les Sartriens accusent celui-ci d'avoir fait courir ce bruit. Heureusement, rien ne peut empêcher l'immuable séjour en Italie : enfin seuls, Sartre et Castor peuvent croire un moment que tout est comme avant, que parce qu'ils reprennent pour quelques semaines leurs conversations, leurs promenades, leur pacte prime toujours sur tout le reste.

Dès son retour à Paris à l'automne 1979, Sartre enregistre des entretiens avec Benny Lévy. Ils ont commencé ces conversations trois ans auparavant, et veulent absolument en publier le texte en 1980 dans Le Nouvel Observateur. Simone s'inquiète car Sartre ne veut rien lui dire du contenu ; elle essaie de se renseigner auprès d'Ariette, qui ne se montre guère plus communicative. Les deux hommes tiennent à ce que leurs échanges restent confidentiels. Pour éviter que Simone et l'équipe des Temps Modernes essaient d'interférer comme en 1978, Sartre porte lui-même le texte à Jean Daniel et en montre à Simone un extrait avant sa parution prévue en mars 1980. Ainsi, ni elle ni Bost ne pourront s'opposer à la publication. Pour elle, le message est clair : qu'elle soit d'accord ou non, ces entretiens paraîtront comme Benny Lévy et Sartre les ont rédigés.



Le choc est rude : tout au long de ces conversations, Sartre revient sur le fondement même de sa philosophie, et donc de celle de Simone. Il renie l'idée fondamentale de liberté et de responsabilité individuelles pour la remplacer par la dépendance de chaque homme par rapport aux autres. Il évoque la nécessité d'un messie pour l'accomplissement d'une vraie révolution, parle de religion. Tout au long de l'interview, Benny Lévy tutoie Sartre, le reprend : Simone est à la fois furieuse et abattue. Pour elle, Sartre n'a fait que céder à l'insistance de celui qu'elle continue à appeler Victor : « Pendant des jours, il luttait contre Victor, et puis de guerre lasse il cédait. (...) Je n'ai pas caché à Sartre ma déception. Il en a été surpris : il s'attendait à quelques critiques, non à cette radicale opposition. (...) Il n'en a mis que plus d'entêtement à faire paraître immédiatement l'entretien. » Le premier sort le 10 mars.



Simone explique l'attachement de Sartre à Victor par son désir de trouver un successeur dans la nouvelle génération. Sartre a toujours aimé la jeunesse et son énergie, mais Simone ne veut pas laisser son héritage intellectuel à un homme comme Victor. Elle bat le rappel de tous les vieux amis, tente de les convaincre d'intervenir auprès de Sartre, de Jean Daniel. Mais Sartre lui-même téléphone à ce dernier pour lui répéter très clairement qu'il veut que ces entretiens paraissent tels quels, et que si ses amis ne le comprennent pas, c'est qu'ils se trompent. Il n'y a plus rien à faire, Simone est désavouée. Elle réagit en admettant qu'ils ne sont pas d'accord, mais affirme qu'aucune rupture n'a eu lieu : leur pacte tient toujours. Le 19 mars, elle passe la soirée avec Sartre, et prétend, pour l'épargner, que personne aux Temps Modernes n'a commenté l'article.

Le lendemain, en entrant dans la chambre de Sartre, Simone le découvre assis sur son lit, tétanisé par la douleur ; il est ainsi depuis l'aube, incapable d'appeler au secours. Emmené à l'hôpital, il est placé en réanimation : il a un odème du poumon. Il n'a le droit qu'à une seule visite à la fois dans sa chambre : Ariette vient le matin et le soir, Simone l'après-midi. Il dort beaucoup, délire par moments ; lorsqu'il est lucide, il s'inquiète pour toutes les personnes qu'il a à sa charge, et Simone lui promet qu'elle s'en chargera. Rapidement son état s'aggrave : il est si faible qu'aucune opération ne peut être tentée. Simone demande simplement qu'on ne le laisse pas souffrir.



Le 14 avril, elle est comme tous les jours à son chevet. Il lui prend la main, lui dit : « Je vous aime beaucoup, mon petit Castor », et se rendort. Pendant la nuit, il entre dans le coma ; le lendemain soir, Ariette téléphone : tout est fini. Malgré tout ce qu'elle savait de son état, Simone est sous le choc. À l'hôpital elle s'aperçoit que personne n'a appelé ses amis. Elle prévient Lanzmann, Bost et quelques autres et, avec Sylvie, ils passent la nuit autour de Sartre, à boire du whisky en évoquant tous leurs souvenirs.



Le lendemain, Simone s'installe chez Sylvie pour fuir les journalistes. Sa sour et son beau-frère arrivent d'Alsace. Lanzmann, Bost et la « famille » la soutiennent. Ils s'occupent de toutes les formalités pour l'incinération et l'enterrement. Le président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, propose de payer les obsèques ; sachant que Sartre aurait sans aucun doute refusé des funérailles nationales, les Sartriens déclinent l'offre. Le cortège, immense, réunit plus de cinquante mille personnes. « C'est la dernière manif de 68 », commente Lanzmann.

Malgré les efforts de son entourage, Simone reste prostrée, avale alcool et calmants sans rien manger. Elle apprend qu'Ariette, dès la fin des obsèques, a vidé l'appartement de Sartre. Lanzmann réclame un souvenir pour Bost, l'ami de toujours, le droit pour Simone de reprendre au moins ce qui lui appartient : Bost aura la paire de pantoufles de Sartre, Simone récupérera la collection de livres de son père, Georges. Rien de plus. Benny Lévy reconstitue chez lui le bureau de Sartre, Ariette conserve la totalité des manuscrits.

Épuisée, Simone est hospitalisée pour un mois. Les médecins diagnostiquent des troubles hépatiques et circulatoires sérieux, et une pneumonie. Ils doutent qu'elle guérisse complètement et pensent qu'elle restera invalide. À sa sortie, Sylvie ne la laisse que pour aller travailler, mais jamais seule : elle a trop souvent dit qu'elle ne pourrait survivre à Sartre. Elle écrit, en conclusion de La Cérémonie des adieux : « Sa mort nous sépare. Ma mort ne nous réunira pas. C'est ainsi ; il est déjà beau que nos vies aient pu si longtemps s'accorder. »

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Simone de Beauvoir
(1908 - 1986)
 
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Portrait de Simone de Beauvoir

Ouvres

Née dans une famille bourgeoise et catholique, Simone de Beauvoir entreprend, à l'âge de 17 ans, des études de lettres et de mathématiques. En 1926, elle adhère à un mouvement socialiste et suit des cours de philosophie à la Sorbonne pour préparer le concours de l'agrégation. C'est à cette époque qu'elle fait la connaissance de Jean-Paul Sartre, qui fréquente le même groupe d'étudiants qu'elle. Dé

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