Simone de Beauvoir |
Le 21 décembre 1906, Françoise Brasseur, dix-neuf ans, fille d'un riche banquier de Verdun, épousait Georges Bertrand de Beauvoir, vingt-huit ans, cadet de bonne famille, avocat et dandy parisien. C'était un mariage arrangé selon les principes de la grande bourgeoisie de l'époque : transmettre le patrimoine et perpétuer les traditions morales. La fiancée apportait une dot conséquente, le jeune marié un nom et une situation : il n'était question que de devoir et non d'amour. On appariait les fortunes et les titres, non les sentiments. Pourtant, par un hasard que les parents des deux jeunes gens n'avaient pas prévu, ce fut également un mariage d'amour. Ce n'était certes pas du côté de la jeune mariée que l'on aurait parlé de sentiment. Les deux branches de sa famille, les Brasseur et les Moret, avaient bâti leur fortune et leur position sociale sur la haute fonction publique et la finance. Gustave Brasseur, le père de Françoise, avait fondé et dirigeait la Banque de la Meuse. Homme strict et conservateur, il avait gardé de son éducation chez les jésuites une grande admiration pour leurs principes sévères, tant dans sa vie familiale que dans ses affaires. Concernant ces dernières cependant, il revendiquait un esprit moderne, utilisant la publicité dans la presse pour contrer la concurrence, et offrant des réceptions luxueuses destinées à donner confiance aux investisseurs. Contrairement aux usages de sa classe sociale, il n'hésitait pas à montrer sa fortune tant qu'il s'agissait de convaincre les clients de traiter avec lui. Il était en cela efficacement secondé par sa femme. Plus fortunée que son mari, mais affligée d'un physique ingrat qui n'attirait pas les prétendants, Lucie Moret avait passé la plus grande partie de sa vie dans un couvent. Délaissée par sa mère, elle s'était profondément attachée aux religieuses qui lui tinrent lieu de famille. Les parents de Gustave, en la choisissant pour belle-fille, lui offraient la chance de sortir du couvent : elle se dévouera avec ferveur à son mari. Leur premier enfant, Françoise, vint au monde en 1887. Espérant un héritier, ses parents ne cachèrent pas leur déception. Sa mère surtout lui montra peu d'affection, reproduisant exactement ce qu'elle avait vécu pendant son enfance. La naissance d'un garçon, Hubert, n'y changea rien, non plus que celle de Marie-Thérèse, petite dernière aimée et dorlotée. Françoise est envoyée très tôt au couvent des Oiseaux de Verdun, où elle doit apprendre tout ce qui fera d'elle une bonne épouse, une bonne mère, et rien de plus. Intelligente, elle aurait pourtant aimé étudier, prendre le voile et enseigner, ce que la supérieure du couvent, mère Bertrand, fut la seule à comprendre, comme elle fut la seule adulte à aimer la fillette ; bien des années plus tard, la mort de mère Bertrand affectera d'ailleurs Françoise bien plus profondément que celle de sa propre mère. Cependant madame Brasseur veillait : le rôle de Françoise n'était pas d'étudier dans un couvent, encore moins d'enseigner, mais de faire un beau mariage qui consoliderait le rang de la famille dans la société. Pourtant, très seule et timide, Françoise avait peu d'amis et encore moins d'occasions de rencontrer d'éventuels prétendants. Elle n'était proche ni de son frère ni de sa sour, qu'elle connaissait peu, ni de ses parents qui ne lui trouvaient guère d'intérêt. À bientôt vingt ans, elle aurait pu déjà être mariée, mais personne ne s'en était occupé, jusqu'à ce que les affaires de son père marquent un peu le pas. Celui-ci s'avisa alors brusquement de marier sa fille aînée le plus tôt possible. Un ami des deux familles mentionna le nom de Beauvoir : unir la fortune d'une banque à une particule aristocratique, c'était l'alliance idéale. La famille Bertrand de Beauvoir remonte au XIIe siècle par son premier ancêtre attesté, Guillaume de Champeaux, l'un des fondateurs de l'université de Paris. En Champagne et en Bourgogne, l'arbre généalogique des Champeaux étendit de nombreuses branches. L'alliance de deux d'entre elles se fit au début du XIXe siècle par le mariage de deux cousins, Marie-Elisabeth de Champeaux et Narcisse Bertrand de Beauvoir. Ils s'établirent à Meyrignac, près d'Uzerche, sur ces terres qui devaient devenir le lieu de villégiature de toute la famille. Leur fils Ernest-Narcisse épousa Léontine, une demoiselle Wartelle, d'une riche famille du Nord, fondant ainsi la fortune moderne des Beauvoir. Bien qu'étant l'aîné et l'héritier des terres, il préféra s'installer à Paris où il mena une carrière de fonctionnaire avant de se retirer à Meyrignac. Léontine était une femme austère, dont la famille s'enrichissait sans bruit mais régulièrement depuis des générations. Elle racontait souvent à ses enfants comment l'un de leurs ancêtres, se piquant d'appartenir à la noblesse et le criant sur les toits, fut guillotiné en 1790. « Les Beauvoir sont originaires de Bourgogne. La mère de papa était une Wartelle d'Arras. À un certain de Beauvoir, anobli en 1786, on coupa la tête en 1790. Depuis, dans la famille, il n'y eut plus de snobs de la particule. J'adore cette histoire. », raconte Hélène, la petite sour de Simone, dans ses Souvenirs. En réalité, cette histoire devait surtout leur apprendre les vertus de la discrétion, de la modestie et du travail, tout en sous-entendant leur origine aristocratique. Léontine et Ernest-Narcisse eurent trois enfants, Gaston, Hélène et Georges. Les terres de Meyrignac revinrent à Gaston, tandis qu'Hélène, épouse d'un hobereau des alentours, vécut sur sa propriété de La Grillère, à une vingtaine de kilomètres de ses parents. Georges, futur père de Simone, était à la fois le plus jeune et le plus fragile des trois enfants, ce qui lui valut d'être littéralement adoré par les femmes de sa famille. Élève brillant au collège Stanislas, sa mère fondait de grands espoirs sur lui. Mais la mort brutale de Léontine, d'une fièvre typhoïde compliquée d'une pneumonie, laissa son fils de treize ans totalement désemparé. Ernest-Narcisse était en effet un père aimant mais peu au fait de l'éducation des enfants. Ses deux aînés mariés et installés, il veilla à terminer l'éducation du plus jeune sans se rendre compte de son désarroi. Celui-ci arrivait à l'adolescence muni des principes rigoureux inculqués par sa mère : religion, travail et discipline. Sa mère disparue, il se retrouva face à un père respectueux de la religion bien que non pratiquant, conseillant à son fils d'apprendre un métier, mais soucieux surtout de mener sa vie à la manière des aristocrates, en vivant de ses rentes. Peu à peu, Georges en vint à rejeter le sérieux maternel et préféra à l'étude et au travail les salons chics de Paris, où il était accueilli favorablement, étant de bonne famille, bien fait de sa personne et d'agréable compagnie. Sa véritable passion, c'était le théâtre, mais dans sa position, il ne pouvait bien sûr être question d'en faire un métier. Georges avait toutefois pris des leçons et connaissait tous les lieux de spectacle de Paris. Dès qu'il en avait l'occasion, il jouait dans les troupes d'amateurs de la haute société très en vogue à l'époque. N'ayant pas une part d'héritage suffisante pour en vivre, il se résigna à entamer une carrière d'avocat. La profession ne le passionnait guère, mais enfin elle ne lui imposait que peu de contraintes et lui procurait une situation sociale honorable, ainsi que le plaisir de parler en public. Il allait avoir trente ans quand son père décida qu'il était temps pour lui de quitter la maison et d'assurer seul son avenir. Pour cela, il fallait lui trouver un bon parti qui compenserait par une dot généreuse la modestie de son héritage. Voici comment deux jeunes gens qu'a priori rien ne rapprochait en dehors de leur milieu social furent présentés l'un à l'autre à Houlgate, durant l'été 1906. Pour les Beauvoir, c'était l'assurance d'une dot et d'une jeune fille de bonne éducation ; pour les Brasseur, un degré de plus dans l'échelle sociale, car Georges appartenait à une famille aristocratique. Et miracle, Françoise, jolie jeune fille à la conversation agréable, et Georges, charmant et spirituel, se plurent. Il fit sa demande quelques semaines après leur première rencontre et fut favorablement accueilli : quatre mois plus tard ils étaient mariés. |
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Simone de Beauvoir (1908 - 1986) |
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Portrait de Simone de Beauvoir | |||||||||
OuvresNée dans une famille bourgeoise et catholique, Simone de Beauvoir entreprend, à l'âge de 17 ans, des études de lettres et de mathématiques. En 1926, elle adhère à un mouvement socialiste et suit des cours de philosophie à la Sorbonne pour préparer le concours de l'agrégation. C'est à cette époque qu'elle fait la connaissance de Jean-Paul Sartre, qui fréquente le même groupe d'étudiants qu'elle. Dé Bibliographie sÉlective |
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