Simone de Beauvoir |
À la fin des années 60, la santé de Sartre est plus que chancelante. Les excès lui sont désormais interdits ; Ariette, Michelle et Wanda se chargent de veiller sur lui. Simone profite de la liberté qui lui est offerte : elle travaille à l'essai monumental qu'elle a entrepris sur la vieillesse et apprécie de plus en plus la compagnie de Sylvie Le Bon, devenue une intime. Officiellement, Sartre et Beauvoir forment toujours un couple de philosophes engagés côte à côte dans les mêmes combats. En réalité, bien que Simone ne semble pas le voir - ou préfère ne pas le voir - le cercle qui entoure Sartre se resserre autour de lui, et il n'y a guère de place pour elle à l'intérieur. Quant à son propre cercle, celui du mouvement féministe, il ne tient pas à intégrer les amis de Sartre. L'été, ce dernier passe plusieurs semaines avec Ariette dans la maison qu'il a achetée pour elle dans le Midi. Pendant ce temps Simone et Sylvie sillonnent les routes de France, d'Espagne ou d'Autriche. Ils se retrouvent ensuite à Rome, le plus souvent sans Ariette. Sylvie retourne à Paris pour la rentrée scolaire, laissant Sartre et Beauvoir en tête-à-tête pour leurs traditionnelles vacances romaines. Ils retrouvent alors leur ancienne intimité, parlent de leurs écrits, de leurs idées, loin de la vie parisienne où ils sont sans cesse sollicités. Car leur voix compte : les noms de Sartre et Beauvoir donnent aux causes qu'ils choisissent de défendre un retentissement immédiat. Avec d'autres intellectuels européens, ils siègent au « tribunal Russell », fondé par Bertrand Russell, célèbre mathématicien et philosophe anglais, et dont Sartre a rédigé les statuts en 1966. Cette assemblée dénonce le comportement des Etats-Unis au Vietnam : le tribunal dépêche des commissions d'enquête, entend des témoignages et alerte l'opinion publique mondiale. Simone et Sartre dénoncent également l'écrasement du Printemps de Prague en 1968. Le gouvernement tchèque, mené par Alexandre Dubcek, essayait de démocratiser le régime communiste en supprimant la censure et les délits d'opinion. Les troupes du Pacte de Varsovie, organisation qui rassemble les forces armées des pays de l'Est, entrent dans Prague et mettent fin brutalement aux réformes, qui avaient suscité de grands espoirs à l'Est comme à l'Ouest. Après Budapest en 1956, c'est une nouvelle déception pour les intellectuels de gauche. Les Temps Modernes, comme ils l'avaient fait pour la Hongrie, publient des articles virulents contre l'intervention militaire. Simone, définitivement déçue par l'URSS, sceptique face à l'évolution de la Chine de Mao, pense alors ne plus jamais s'impliquer politiquement et réserver son action au féminisme. Mais en 1970, l'arrestation de Jean-Pierre Le Dantec, directeur de La Cause du peuple, et la saisie de son journal en décident autrement. La Cause du peuple est le journal d'un groupe maoïste, la Gauche prolétarienne, pour lequel Sartre éprouve de la sympathie. Les membres et sympathisants du groupe, qui vient d'être interdit, lui demandent son soutien. Un déjeuner est organisé, auquel Simone et Ariette accompagnent Sartre, qu'elles jugent trop faible pour s'investir dans un nouveau combat. Il finit cependant par accepter d'être nommé rédacteur en chef du journal, ce qui le rend juridiquement responsable de tout ce qui y est imprimé. Castor ne veut pas le laisser assumer seul ce risque : sur chaque page du journal figurent côte à côte les noms de Sartre et Beauvoir. Le 1er mai, l'éditorial, signé Sartre bien qu'il ne l'ait pas écrit, affirme que celui-ci est solidaire de tous les actes du groupe ; Simone exige un démenti, qu'elle n'obtient pas. À défaut, elle fait publier un rectificatif : Sartre est solidaire de tous les articles publiés et non des actes. Lui-même ne se préoccupe guère des conséquences possibles, et c'est Castor qui veille à ce que l'on n'abuse pas de son nom, ce qui lui vaut d'être cordialement détestée. Cette aventure leur réserve quelques péripéties : la police continue à empêcher le journal de se vendre, mais elle a pour consigne de ne pas arrêter Sartre, ni aucune personnalité trop connue. Aussi Beauvoir et lui prennent-ils un malin plaisir à vendre le journal dans la rue, à se faire emmener avec les autres et à insister pour rester au poste avec eux... jusqu'à ce que les policiers laissent finalement partir tout le monde. L'année 1970 apporte à chacun une certaine sérénité. La Vieillesse est publié en janvier. Comme pour Le deuxième sexe, Simone a fait de très importantes recherches historiques, sociologiques et philosophiques, et une fois encore elle a fait ouvre de pionnière, en osant dire crûment la réalité. À ceux qui trouvent son livre bien pessimiste, elle répond qu'il rend à peine compte de la barbarie avec laquelle notre société traite les vieillards. Or, dit-elle, la vieillesse est inéluctable, programmée et commencée dès la naissance. Nul n'y échappe, et pourtant tous se voilent la face. Contrairement à ses craintes, la critique est excellente, ce qui ravit Simone après le mauvais accueil réservé aux Belles images et à La Femme rompue deux ans plus tôt. La Cause du peuple n'est plus menacé de disparition, et la santé de Sartre semble s'améliorer doucement. Il peut même reprendre son monumental essai sur Flaubert. La « famille » semble retrouver un équilibre : il y a des soirées chacun chez soi, Sartre avec Ariette et Simone avec Sylvie, et des soirées Sartre et Castor. Ils se retrouvent alors chez elle et écoutent de la musique en buvant du whisky - « comme de vieux bourgeois » ! disent en souriant, mais pas devant eux, les jeunes gens de leur entourage. En réalité, ce n'est qu'une accalmie dans la maladie qui éteint Sartre peu à peu, et Castor le sait. Mais c'est un moment de paix et de retrouvailles bienvenu. Les amis de toujours et les nouveaux venus les entourent ; ils adoucissent la vie quotidienne de Sartre et facilitent celle de Simone en lui permettant de continuer à travailler. Ainsi, comme elle le dira plus tard, elle peut retarder le moment fatal où elle devra admettre que leur histoire aura une fin : la disparition de l'un d'eux. Pour Simone, à la fin de 1970, son travail c'est la lutte des femmes. L'assemblée doit débattre d'un projet de loi sur l'avortement. Le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) veut choisir librement la maternité et sollicite le soutien de Simone. Les jeunes femmes qui viennent la trouver ont une idée : réunir les signatures de centaines de femmes, célèbres et anonymes, affirmant avoir avorté. L'interruption de grossesse est punie de prison, pour les femmes qui la demandent comme pour ceux qui la pratiquent : le mot même est tabou en France. Simone trouve l'idée excellente : il ne s'agit pas de pousser les femmes à avorter, mais de leur permettre, quand elles n'ont pas d'autre solution, de le faire dans les meilleures conditions sanitaires et psychologiques possibles. C'est aussi un combat social, puisque seules les femmes les plus riches peuvent se rendre dans les pays qui autorisent l'intervention. Les journaux refusent de publier le manifeste, craignant d'être saisis. Le Nouvel Observateur prend le risque au printemps 1971 et titre en couverture : « La liste des 343 Françaises qui ont le courage de signer le manifeste : je me suis fait avorter. » Toutes ces femmes, très célèbres ou inconnues, demandent dans un court texte le respect de la liberté de chacune : mettre au monde les enfants qu'elles désirent, et par conséquent pouvoir interrompre une grossesse non désirée. Simone n'a jamais eu recours à l'avortement pour elle-même, mais elle sait que son nom est une garantie pour les autres : si elle n'est pas inquiétée, aucune autre signataire ne le sera. Leur action oblige la France entière à considérer le problème comme une réalité - le nombre d'avortements clandestins est estimé à huit cent mille chaque année -, et influencera largement l'évolution des lois sur la contraception et l'avortement. En 1972, Simone participe à l'occupation du collège du Plessis-Robinson, qui accueille des mineures de douze à dix-huit ans enceintes, renvoyées du lycée à cause de leur grossesse. À l'époque, le sort de l'enfant d'une mineure célibataire dépend de ses parents. Ce sont eux qui décident de la laisser garder son bébé ou de le confier à l'Assistance publique pour être adopté. Les jeunes filles sont censées suivre une scolarité, mais le collège met très peu de moyens à leur disposition : exclues de l'école, de la société, elles n'ont pas le droit de recevoir de visites autres que celles de leurs parents. L'une d'elles, enceinte de son petit ami, qui n'a pas le droit de venir la voir, a réussi à le faire entrer avec la complicité de ses camarades. La directrice les surprend, appelle le père qui vient chercher sa fille et la bat. Les autres pensionnaires sont empêchées d'intervenir par la directrice, pour laquelle on ne doit pas s'interposer entre un père et son enfant. Les élèves essaient en vain de se faire entendre du rectorat, puis entament une grève de la faim. Une surveillante prévient le MLF : les militantes, accompagnées de Simone et de journalistes de la radio, viennent s'installer dans l'établissement. En direct ce matin-là, les Français peuvent entendre en allumant la radio l'interview de ces jeunes filles par Simone de Beauvoir : elles veulent être émancipées, recevoir une vraie formation à un métier, pouvoir mener leur vie comme elles l'entendent, et assumer leur maternité. Dès le lendemain, le ministère de l'Education Nationale promet la scolarisation des élèves enceintes. |
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Simone de Beauvoir (1908 - 1986) |
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Portrait de Simone de Beauvoir | |||||||||
OuvresNée dans une famille bourgeoise et catholique, Simone de Beauvoir entreprend, à l'âge de 17 ans, des études de lettres et de mathématiques. En 1926, elle adhère à un mouvement socialiste et suit des cours de philosophie à la Sorbonne pour préparer le concours de l'agrégation. C'est à cette époque qu'elle fait la connaissance de Jean-Paul Sartre, qui fréquente le même groupe d'étudiants qu'elle. Dé Bibliographie sÉlective |
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