Stéphane Mallarmé |
Dans un de ces faubourgs où vont des caravanes De chiffonniers se battre et baiser galamment Un vieux linge sentant la peau des courtisanes Et lapider les chats dans l'amour s'abîmant, J'allais comme eux : mon âme errait en un ciel terne Pareil à la lueur pleine de vague effroi Que sur les murs blêmis ébauche leur lanterne Dont le matin rougit la flamme, un jour de froid. Et je vis un tableau funèbrement grotesque Dont le rêve me hante encore, et que voici, Une femme, très jeune, une pauvresse, presque En gésine, était morte en un bouge noirci. - Sans sacrements et comme un chien, - dit sa voisine, Un haillon noir y pend et pour larmes d'argent Montre le mur blafard par ses trous : la lésine Et l'encens rance vont dans ses plis voltigeant. Trois chaises attendent la bière : un cierge, à terre, Dont la cire a déjà pleuré plus d'un mort, puis Un chandelier, laissant sous son argent austère Rire le cuivre, et, sous la pluie, un brin de buis... Voilà. - Jusqu'ici rien : il est permis qu'on meure Pauvre, un jour qu'il fait sale, et qu'un enfant de chceui Ouvre son parapluie, et, sans qu'un chien vous pleure, Expédie au galop votre convoi moqueur. Mais ce qui me fit mal à voir, ce fut la porte Lui semblant trop étroite ou l'escalier trop bas Un croque-mort grimpant au logis de la morte Par la lucarne, avec une échelle, à grands pas. La mon a des égards envers ceux qu'elle traque : Elle enivre d'azur nos yeux, en les fermant, Puis passe un vieux frac noir et se coiffe d'un claque Et vient nous escroquer nos sous, courtoisement. Du premier échelon jusqu'au dernier, cet être Ainsi que Roméo fantasquement volait, Quand, par galanterie, au bord de la fenêtre, Il déposa sa pipe en tirant le volet. Je détournai les yeux et m'en allai : la teinte Où le ciel gris noyait mes songes, s'assombrit, Et voici que la voix de ma pensée éteinte Se réveilla, parlant comme le Démon rit. Dans mon cour où l'ennui pend ses drapeaux funèbres Il est un sarcophage aussi, le souvenir. Là, parmi ses onguents pénétrant les ténèbres, Dort Celle à qui Satan lira mon avenir. Et le Vice, jaloux d'y fixer sa géhenne, Veut la porter en terre et frappe aux carreaux, mais Tu peux attendre encor, cher croque-mort : ma haine Est là dont l'oil vengeur l'emprisonne à jamais. |
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Stéphane Mallarmé (1842 - 1898) |
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Portrait de Stéphane Mallarmé | |||||||||
Biographie / chronologie1842 - Naissance à Paris le 18 mars. Orientation bibliographique / OuvresOuvres : Deux éditions principales, disponibles en librairie : Poésies, Edition de 1899, complétée et rééditée en 1913, puis à plusieurs reprises par les éditions de la Nouvelle Revue française (Gallimard) ; préface de Jean-Paul Sartre pour l'édition dans la collection « Poésie/Gallimard ». Ouvres complètes (un volume), Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard. Edition établie et présentée par |
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