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MALLARMÉ, AU FIL DU TEMPS


Poésie / Poémes d'Stéphane Mallarmé





par Mario Luzi



« Et tu fis la blancheur sanglotante des lys » : il me semble bien que telle ait été la première flèche avec laquelle Mallarmé transperça ma réticence. En réalité, cette tension aiguë du vers perforait l'image même qui lui donnait substance, et ouvrait autour des mots qui le composent un espace impossible à combler. La délicatesse d'une telle imagination accumulait délices et extases dans le texte de cette poésie de jeunesse, qui avait outrepassé les confins parnassiens après en avoir traversé le territoire. Mais de cette abondance sensuelle et raréfiée, bien peu me restait, en comparaison de l'ardeur que j'y avais senti brûler.



Mon attraction se développa ensuite sur la base du sentiment de cette démesure. Il y avait un abîme, en effet, entre le répertoire disponible du vocabulaire poétique, et le dicible absolu que cette voix poursuivait. On touchait immédiatement à un noud de l'activité poétique elle-même, de l'acte de la poésie en tant que telle ' : et, en effet, si la faculté première du poète est la nomination des choses, il est vrai également que cette faculté ne peut s'étendre à toutes les choses de l'univers, comme il est de sa nature de le vouloir, mais qu'elle est forcée de se restreindre aux limites de l'expérience individuelle et de la science partielle. Forcée, mais non pas résignée. Cette non-résignation était si évidente et si vibrante en lui : et elle fut la première vertu qui me gagna à sa poésie.

Je ne saurais dire le moment précis où cette profonde délectation de l'intellect et des sens se convertit en une âpre conviction, et souleva, de ce fait, son problème. Sans doute, la première indicible exubérance d'« âme » qui était venue à ma rencontre à la lecture des Fleurs avait-elle déjà cédé la place à une évidente et transparente sensation de gel qui manifestait toute la stérilité qui lui était propre. La situation de paralysie, dont le Cygne était une si bonne allégorie, s'installait en souveraine. Et pour compliquer le subtil tourment que celle-ci communiquait au jeune lecteur que j'étais, s'ajoutait le fait qu'elle fût montrée comme parée pour une fête : une rayonnante et scintillante fête funèbre du désir et du songe.

C'est proprement dans cette admirable et ingrate lumière que Mallarmé se fixa dans ces années, entre 1936 et 1940, alo qu'en moi aussi se produisait une pétrification contradictoire qui gelait la prime exigence de vie, ouverte et confiante, qui s'était exprimée dans l'exorde qu'est La Barque. Une scission définitive était en cours, entre la vie intérieure avec ses propres desseins hardis, et la réalité publique, invraisemblable, du pire fascisme, dans la guerre d'Espagne devenue para-nazie. Le discours de la poésie, sa langue, son offrande, se retournaient sur elles-mêmes, ne pouvant ni s'agripper à des objets crédibles ni refluer vers une audience pensable, vers de pensables destinataires. La poésie s'escaladait elle-même, montait sur sa propre improbabilité. N'était-ce donc pas l'époque la plus propice pour lire l'échec et le mélancolique triomphe linguistique mallarméen ? Ce fut, en tout cas, ce qui advint. Le poète devint le signe lucide et glorieux de tout ce que nous n'aimions pas en nous-mêmes et qui pourtant était irréfutablement présent et souffrant à l'intérieur de notre vie : un manque, une privation sentis comme tels, mais aussi une maladie, une blessure, sublimées l'une et l'autre : et ces dernières, au moins un peu, aimables, comme l'on prend son mal en affection.



L'orgueilleuse ascèse esthétique et ontologique, avec son problème vertigineux, nous aurait attendu au passage, après que la séduction et la tentation eussent obtenu leur effet.

La reprise fervente et acharnée des études, dans les années de l'après-guerre, coïncida aussi avec une focalisation intense de l'attention sur le brillant obscur ', mais, comme pour se gratifier d'un charme supérieur, les lettrés italiens se concentrèrent alors presque exclusivement sur le texte de L'Après-midi d'un Faune, ou mieux, sur celui des différentes rédactions de la fameuse « églogue ». La traduction sembla, et point à tort, le mode d'intelligence et d'interprétation le plus résolutif : l'acte critique par excellence. S'épanouirent alors, rivalisant tacitement entre elles, une multitude de versions, certaines de propos principalement philologique, d'autres véritablement poétiques, ouvres de poètes importants, à commencer par Ungaretti. La plus heureuse continue d'être à mes yeux celle d'Alessandro Parronchi, d'une fluidité incandescente, et parcourue, quoique scrupuleusement, d'une animation tout impressionniste. Le fait que les problèmes d'exégèse et de linguistique fussent de nouveau soulevés à propos d'un texte aux effets subtils et prodigieux - et tel réapparaissait alors, plus qu'aucun autre, L'Après-midi d'un Faune - ce fait me réconfortait : après des années d'émotions violentes, c'était une sorte de renaissance due à l'esprit de finesse, à l'art, à la concentration minutieuse. Toutefois, je ne fus pas impliqué dans la compétition qui fit rage, comme je l'ai dit, autour du joyau mallarméen : et ce joyau continua de me paraître, précisément, un joyau, c'est-à-dire une largesse précieuse et gratuite du talent, concerné en réalité par bien d'autres choses.



Cela signifie qu'entre-temps la poésie de Mallarmé avait pris pour moi une tout autre importance : autant la poésie écrite, effectivement réalisée, que la poésie rêvée et qui s'était montrée impossible à atteindre. Bien plus, c'était proprement l'écart entre le coup porté et la cible visée qui conférait sa splendeur à l'improbabilité tragique de l'affût : et cette improbabilité tragique faisait paraître médiocre tout ce qui s'était alors ou pouvait s'être, depuis, accommodé d'un niveau moins téméraire d'aspiration et de volonté. C'est pourquoi l'insuccès, l'échec n'était pas seulement mythique-ment grandiose mais aussi textuellement fécond, autant, et plus, qu'une cosmogonie achevée. Le fait est qu'en Mallarmé étaient venus se condenser tous les dilemmes capitaux et les paradoxes fondamentaux de l'homme parlant qui sait qu'il possède l'usage de la parole, et qu'en lui avaient été poussées jusqu'à l'extrême de leurs conséquences les ambitions de qui aurait voulu convertir ce fait d'en « avoir l'usage » en fait de l'avoir plutôt « en son pouvoir ». Tous les dilemmes, disais-je : et tous les paradoxes : la parole ou le silence ; l'absence infinie ou la présence absolue ; le néant et l'étincellement de l'instant surpris en lui-même. La poésie, en somme, plus qu'elle ne l'avait fait chez les grands auteurs du passé, se trouvait affrontée au choc de sa propre négation - négation par excès de désir, par soif inapaisable de totalité et d'absolu - et cette collision faisait des étincelles, produisait d'admirables sortilèges. Comme une longue parabole parvenue à son moment critique, la poésie se dressait en un effort ultime qui déciderait de ses destins : gloire ou ruine, conquête définitive de son pouvoir suprême ou catastrophe l'attendaient. Ce qui jusqu'à un certain point put apparaître comme un psychodrame, illuminait a posteriori, une fois traduit en termes d'ontologie et de tragédie, tout le sens de l'invention poétique séculaire, en en glorifiant et en en dramatisant le motif premier sous-jacent.



Fasciné par cette gigantesque péripétie qui s'était déroulée sur la scène minime d'une personne humble et nue - et combien fière cependant ! - je sentis naître en moi le désir de lui consacrer une étude. Il s'agissait d'entrer le plus possible dans les procédés de langue et de style : mais plus encore, de remonter, à travers eux, jusqu'à la lutte fondamentale, à la cosmomachie interne qui étaient à l'origine de la volonté de parole de Mallarmé ; et elles étaient, virtuellement, inhérentes à l'acte poétique en tant que tel, pour peu qu'on méditât réellement sur son principe et sur sa fin dernière. On ne pouvait pas éteindre le réflecteur et faire comme de rien n'eût été. Celui qui avait mis à nu l'illusion de divinité créatrice que chaque faune musical de tous les après-midi de l'histoire du monde avait porté en soi ne. pouvait pas être esquivé par notre pensée précisément au moment où celle-ci accompagnait et célébrait fièrement les obsèques d'une telle illusion. Cette illusion était morte et ressuscitée un nombre infini de fois jusqu'à lui, poète de l'épilogue, qui en avait pris conscience et qui, à l'égal d'Elbehnon, en eût affronté la preuve - c'est-à-dire le défi - nécessaire, et impossible à ajourner, s'il n'avait eu à sa disposition, précisément parce qu'il était poète, le pouvoir démiurgique, autrement puissant, de la métaphore. Méta-phorisée, la tragédie pénètre, anxieusement il est vrai, mais pénètre tout de même au cour du langage, se pose au centre de la conscience poétique moderne, en règle les diverses attitudes. Mallarmé, si peu moderniste, devient un noud inévitable dans la trame de la poiesis de la modernité. Ce qu'il lui a été assigné de signifier par son destin est effrayant et cependant splendide : un « igitur » qui pèse sur l'homme ; une résolution que personne ne peut soutenir, pas même le poète, préserve son courage d'élever à la hauteur d'une tragédie rituelle cette insuffisance ; et sauf est aussi son pouvoir de résorber cette tragédie dans les profondeurs symboliques de la langue. L'investiture grandiose - et sublime - contraste de façon touchante avec la personnalité douce, domestique, prévenante, de celui qui devait la supporter, personnalité que l'expression du naturel et la dissimulation de la névrose se partageaient équitablement.

L'essai sur Mallarmé que j'écrivis dans les années cinquante étudiait de façon assez minutieuse, dans quelques textes exemplaires, son théorème de la poésie : il l'étudiait comme théorème aux conséquences pour le moins imprévisibles par la seule activité théorique, et cependant inévitable dans son évidence éblouissante, et par conséquent à méditer pour lui-même et de façon supra-personnelle, comme si ce fût à la poésie de se repenser elle-même.



Ma fascination pour l'intrépide processus spéculatif et les figures emblématiques qui le favorisaient et le signifiaient en même temps, comme Hérodiade, Salomé et saint Jean-Baptiste, Elbehnon, n'avait d'égale que ma réticence à en partager les conclusions, fort hardies et nobles, mais stériles, - me semblait-il - et aveuglées par la splendeur d'une liturgie purement démonstrative.

Le sens de ce désaccord fut plus clair et plus complètement formulable lorsque, quelques années plus tard, je repensai en quelques pages toute l'aventure symboliste dans son ensemble ' et que je vis, au cour de celle-ci, la thèse téméraire de Mallarmé, splendidement naufragée, briller par différence avec son contraire : et devenir, pour cette raison justement, un enseignement, un impératif pour l'ouvrage poétique futur. En quel sens ?



Voyons. L'ascension intellectuelle à la suite de Mallarmé avait exalté ma fierté, comme il arrive à tous ceux qui suivent jusqu'au bout les traces de cette aventure. Mais le sentiment d'une partialité trop exclusive persistait paradoxalement à compromettre la force de ce pari sur la totalité et à mitiger ma confiance. Quelque chose d'essentiel à ma nature gémissait obscurément, comme comprimé et inarticulé. En effet - et cela me fut clair ensuite en écrivant sur ce sujet - le problème de la création poétique avait été posé orgueilleusement sous l'aspect de sa rivalité avec le Créateur, mais l'autre partie en avait été oblitérée : le point de vue de la créature, celui de la communion, c'est-à-dire cette part qui est à chercher du côté des vivants au moyen de la parole et de l'interprétation. Peut-être l'absolu n'était-il pas en dehors de n'importe lequel des fragments de réalité que nous présente fortuitement le jour et l'heure. Peut-être le Verbe n'est-il pas extérieur aux « mots de la tribu ». L'Incarnation, après tout, est au centre du Mystère. Le divin est au-dedans de l'homme, le logos au-dedans du dialecte. La puissance que possède le théorème idéaliste mallarméen d'engendrer des antithèses se développait tout entière : et l'on avait aussi par là-même la confirmation de sa force fatale.

Il s'agissait d'un seuil terminal, au-delà duquel c'était l'anéantissement. Mais, à l'avers de celui-ci, s'ouvrait précisément la voie « que l'on peut gravir personne vive » : une voie de purgatoire, comme celle du vers de Dante. C'est le chemin de la poésie de notre siècle. Mallarmé nous l'a indiqué avec son lumineux autodafé.



Voilà quel a été pour moi le point le plus brûlant de la comparaison avec Mallarmé. Ce moment coïncide avec les années cinquante, dans lesquelles la poétique de ma jeunesse, renouvelée par l'expérience, allait en s'ordonnant sur ses propres fondements éthiques et existentiels. Par la suite, Mallarmé serait demeuré comme un présupposé capital de toute action et de toute réflexion poétiques, aussi bien en moi, qui en avais conscience, que chez d'autres où il agissait à l'état latent. La définition essentielle de la postulation poétique moderne, de même qu'elle incluait Leopardi, et HÔlderlin, et puis Baudelaire, ne pouvait pas, rendue toujours plus névrosée par les procédés impitoyables de la société numéraire, omettre Mallarmé. Tacitement ou explicitement, Mallarmé habite la logique du travail poétique au vingtième siècle. Cela étant dit, il se peut que les intendons ou les simples occasions de relecture, au fil des années et de la multitude des événements, se soient raréfiées : ce n'est pas pour autant que l'immanence de Mallarmé dans la question est moins certaine. Mais plus le théorème que le texte ?



C'est cela que je voudrais vérifier, si c'était possible ; mais cela ne l'est que jusqu'à un certain point : et pour deux raisons principales. La première est la diffusion généralisée de l'activité théorique (une très grande part de la production poétique, est, depuis cette époque-là, réflexion et proposition sur la nature et sur l'acte de faire de la poésiE) qui empêche d'établir un rapport, si ce n'est supposé, de dépendance par rapport à une prémisse commune. L'autre raison tient à la compénétration, que le passage du temps rend de plus en plus parfaite, entre la beauté et Yacies du texte mallarméen. Jouir sur un mode parnassien et même symboliste des enchantements mallarméens semble autant en discordance avec l'ouvre elle-même, qu'improbable pour les lecteurs d'aujourd'hui. En contrepartie, la force métaphorique cachée dans n'importe lequel de ses détails émerge, rapportant chaque passage aux motivations premières de cette poésie. L'échec de la création (absoluE) impossible se diffuse par capillarité à travers tout le corps de sa métaphore même : qui est, justement, l'ouvre possible du poète. II n'est pas, en définitive, de lecture de Mallarmé qui ne soit englobante.



Il arriva ainsi que je changeai d'avis sur L'Après-midi, que j'avais lu comme une divagation heureuse et une pause gratifiante. Peut-être la correspondance du poète, avec ses confidences, m'avait-elle secondée dans ce vague hédonisme de l'interprétation... Il fallut une nouvelle traduction hardie, et surtout l'étude qui la précédait, pour corriger ma première opinion invétérée. Paolo Manetti me persuadait de rattacher le poème à la ligne nodale, dramatique, qui avait réglé le processus laborieux de toute l'ouvre mallarméenne. Par-dessous la fête de lumières, d'ombres et d'illusions qui se consume dans la solari-té, se retrouvent, diffuses et comme en filigrane, ses allusions suprêmes : à la défaite fondamentale, à l'ordre des compensations, inférieures et pourtant victorieuses...

Système et splendeur sont omniprésents. Et cela continue d'être Mallarmé.



Mais ma chronique mallarméenne intime ne serait pas achevée si je ne rappelais que mon abstinence de traducteur eut une fin. Je n'avais jamais voulu céder à cette tentation : le sentiment que j'avais affaire à une langue poétique équidis-tante de toutes les langues, du français comme de l'italien, par exemple, interne aux étymons et aux radicaux du parler et du penser, m'ôtait l'envie de transplantation que j'avais et étouffait ma confiance dans sa possibilité-même.

Mais en des temps récents, quand se produisit dans ma propre écriture un agencement nouveau ' et un recours aux valeurs premières de l'agrégation verbale et du rythme, voilà que me mesurer à Mallarmé fut presque inévitable : une comparaison désormais non plus ontologique mais linguistique. Je choisis les sonnets les plus fameux : les plus splendides et les plus marmoréens. Pour l'opération, j'employai le procédé du démontage, mais de façon que le démontage lui-même fût paradoxalement constructif. Les noyaux créateurs de la forme furent isolés, exaltés pour eux-mê.mes, et ordonnés, pour cette raison, dans un espace libre. Mais cette liberté était pleine de nécessaires concaténations, grâce auxquelles un ordre équivalent, serré, se créa.

Il me sembla que le Coup de dés autorisait cette solution.



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Stéphane Mallarmé
(1842 - 1898)
 
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Portrait de Stéphane Mallarmé

Biographie / chronologie

1842
- Naissance à Paris le 18 mars.

Orientation bibliographique / Ouvres

Ouvres :
Deux éditions principales, disponibles en librairie : Poésies, Edition de 1899, complétée et rééditée en 1913, puis à plusieurs reprises par les éditions de la Nouvelle Revue française (Gallimard) ; préface de Jean-Paul Sartre pour l'édition dans la collection « Poésie/Gallimard ». Ouvres complètes (un volume), Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard. Edition établie et présentée par

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