Théophile de Viau |
Mon frère, mon dernier appui, Toi seul dont le secours me dure Et qui seul trouves aujourd'hui Mon adversité longue et dure; Ami ferme, ardent, généreux, Que mon sort le plus malheureux Pique d'avantage à le suivre, Achève de me secourir : Il faudra qu'on me laisse vivre Après m'avoir fait tant mourir. Quand les dangers où Dieu m'a mis Verront mon espérance morte; Quand mes juges et mes amis T'auront tous refusé la porte; Quand tu seras las de prier, Quand tu seras las de crier, Ayant bien balancé ma tête Entre mon salut et ma mort, Il faut enfin que la tempête M'ouvre le sépulcre ou le port. Ce sont les droits que mon pays A mérités de ma naissance, Et mon sort les aurait trahis Si la mort m'arrivait en France. Non, non, quelque cruel complot Qui de la Garonne et du Lot Veuille éloigner ma sépulture, Je ne dois point en autre lieu Rendre mon corps à la nature, Ni résigner mon âme à Dieu. L'espérance me confond point; Mes maux ont trop de véhémence, Mes travaux sont au dernier point : Il faut que mon repos commence. Quelle vengeance n'a point pris Le plus fier de tous ces esprits Qui s'irritent de ma constance ! Ils m'ont vu, lâchement soumis, Contrefaire une repentance De ce que je n'ai point commis. Ha! que les cris d'un innocent, Quelques longs maux qui les exercent, Trouvent mal aisément l'accent Dont ces âmes de fer se percent ! Leur rage dure un an sur moi Sans trouver ni raison ni loi Qui l'apaise ou qui lui résiste. Le plus juste et le plus chrétien Croit que sa charité m'assiste Si sa haine ne me fait rien. L'énorme suite de malheurs! Dois-je donc aux races meurtrières Tant de fièvres et tant de pleurs, Tant de respects, tant de prières, Pour passer mes nuits sans sommeil, Sans feu, sans air et sans soleil, Et pour mordre ici les murailles ! N'ai-je encore souffert qu'en vain? Me dois-je arracher les entrailles Pour soûler leur dernière faim? Derechef, mon dernier appui, Toi seul dont le secours me dure, Et qui seul trouves aujourd'hui Mon adversité longue et dure, Rare frère, ami généreux, Que mon sort le plus malheureux Pique d'avantage à le suivre, Achève de me secourir : Il faudra qu'on me laisse vivre Après m'avoir fait tant mourir. |
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Théophile de Viau (1590 - 1626) |
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Portrait de Théophile de Viau | |||||||||