Victor Segalen |
DOUTE Chang-Ti ! si pourtant cela était que tu fusses, Haut Ciel Souverain, Seigneur Ciel au temple clair, -Qu'on dit étreignant le bol renversé de l'air De ta majesté d'azur de jade et de fer ! Véritablement, si tu tiens ce qu'on proclame : Étant, voyant tout et partout, et jusque sur Le toit du Grand Vide, encerclant comme d'un mur L'Étlicr spirale profondément dur et pur. - Quel dépouillement ! Quel prosternement du haut De l'orbe où mon front règne au séjour de tes sages, Sur la triple dalle arrondie à ton image ; Quelle humilité rabaisserait mon visage ; Quelle nudité me relèverait vers toi. Quelle exoraison gronderait, pleine de foudre. Du bas de ces lieux où. tournant parmi la poudre Je suis le pivot de la meule qui va moudre. RÉSOLUTION Il le faut ainsi ô Sans-être, que tu sois. Ne détrompe pas. Ne te résous pas en boue. Ne disparais point. Ne transparais point. Ne joue Ni confonds jamais le seul à toi qui se voue. Sans doute et sans fin, évoquant ta certitude, Feignant de savoir, je frappe trois fois sur trois. Je ris de respect. Criant ma fièvre aux abois Je sonne bien fort l'espoir et les désarrois. Sans peur, nu de cour, noyé de lumière et d'eau Je lève à deux mains mon appel et mes caresses : Manifestement il faut que lu m'apparaisses : Ton Ciel n'est pas vain, ni tes clartés menteresses. Vois : je t'attendris : je me tiens seul à la ronde. Portant mon élan, t'appelant du bout du monde, Jetant tout mon poids dans l'inversé que je sonde Comme le plongeur d'un pôle vertigineux. CONTEMPLATION Tu es, tout d'un coup : voici tout ce que tu es : Ton essence vraie et ta multiple hypostase : Tes noms ; tes tributs ; l'orbe que ton orbe écrase : Contemplation qui se résout en extase : Tu es lourd de science et plus léger que fumée. Pénétrant et fin comme esprit et les échos. Tu es riche d'ans : ô Premier né du Chaos. Tu sais discerner l'imbécile et le héros. Glacial. Confortant. Divine. Divinateur. Un. Exorbitant. Contemplé. Contemplateur. En qui tout s'anime. En qui tout revient et meurt. Entendu. Nombreux. Parfum, musique et couleur. Double. Dôme et Dieu. Temple formé de ta voûte. Triple, Centuplé du lieu des Dix-mille routes. Père soucieux de tous les êtres qu'envoûte Ton globe parfait profondément dur et beau. ATTISEMENT Si beau, si parfait à l'opposé de l'humain Que je suis encor, - que nulle de mes paroles N'atteindra jamais la neuvième des Coupoles Ni l'espace bas où les lourds génies s'envolent. Plus haut. Piétinons l'esplanade ordonnancée ! Portons haut le Nombre et les justes tourbillons. Être ignons le cercle : happons l'azur : assaillons Plus haut ? sans espoir : il n'y a pas de rayons ! Pour aide voici : les neufs brasiers nous affleurent : Voici les trois monts et le renouveau des heures : Recommencement : forte vie intérieure... Comme eux flamboyons ! dévorons les chairs et sangs ! II faut s'attiser ; grésiller ; brûler au rouge ; Pénétrer son cour du pie de profondes gouges : Les feux verticaux à travers quoi le Ciel bouge Portent au niveau de l'horizon plein des vents. EXTASE Suis-je ici vraiment ? Suis-je parvenu si haut ? Paix grande cl naïve et splendeur avant-dernière. Touchant au chaos où le Ciel qui plus n'espère Se referme et bat comme une ronde paupière. Comme le noyé affleurant l'autre surface Mon front nouveau-né vogue sur les horizons. Je pénètre et vois. Je participe aux raisons. Je tiens l'empyrée, et j'ai le Ciel pour maisons. Je jouis à plein bord. De tous mes esprits. J'irrite Mes sens élargis au delà des sens, plus vite Que l'esprit, que l'air. Je me répands sans limites, J'étends les deux bras : je touche aux deux bouts du Temps. MÉDIATION Voici la rançon et la Médiation rude ; Tombe le torrent des pleurs et des gratitudes ; Le Ciel renversé pleut sur moi sa plénitude Toute l'abondance a cataracte sur moi. Vertige alourdi de chairs et de sangs terrestres. Inanité de voler si haut sans appât : Vautour pris au bleu; agonisant sans trépas; Couper les liens ? un géant n'oserait pas. - Et puis tout s'écoule, et puis tout est clos et morne. Le jaune reprend. Je suis à genoux. A plat Ventre, les yeux lourds, les yeux vides sans éclats. L'esprit épuisé, le cour essoufflé d'un glas. - Véritablement il a été que tu fusses, Chang-Ti Souverain, Seigneur Ciel au Temple clair, Qu'on dit êtreignant le bol renversé de l'air De ta majesté d'azur de jade et de fer. |
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Victor Segalen (1878 - 1919) |
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Portrait de Victor Segalen | |||||||||
Biographie / chronologie1878 14 janvier. Naissance à Brest de Victor Segalen. Son père était breton, sa mère, mi-bretonne, mi-champenoise. Elle était autoritaire, étroitement catholique et dominait les siens. Bonne musicienne, elle fit faire de.la musique à son fils dés son plus jeune âge. Eludes classiques dans un établissement dirigé par des Jésuites à Brest. Bibliographie / OuvresOUVRES DE VICTOR SECALEN. |
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