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Aimé Césaire

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PÉDAGOGIE DES OPPRIMÉS


Poésie / Poémes d'Aimé Césaire





Un nouvel art poétique



Le développement au sein du peuple martiniquais d'un sentiment national, l'éveil d'une conscience historique jusque-là endormie conduisent Aimé Césaire à infléchir son discours et son action. «Je suis un homme politique... La révolution littéraire ressemblerait fort à une tempête au fond d'un encrier, si elle ne débouchait sur la révolution politique. » Le texte poétique est désormais un instrument pédagogique au service d'un projet. Ainsi, le poème intitulé « Mémorial de Louis Delgrès », publié dans la revue Présence africaine en janvier 1959, a-t-il valeur d'exemple. Il repose sur l'opposition de deux figures emblématiques : « Celle de Joséphine de Beauharnais, dont la statue se dresse sur la Savane alors même qu'elle incarne le despotisme esclavagiste » et celle de Delgrès. A Joséphine, qui prit une part décisive au rétablissement de l'esclavage par Napoléon en 1802, Césaire oppose le martyr de la redoute de Matouba. Il rend hommage à Delgrès, voulant en quelque sorte réparer le préjudice dont celui-ci a souffert. Totalement ignoré de l'histoire officielle, Delgrès demeure méconnu de ceux-là mêmes au nom desquels il a lutté, jusqu'au sacrifice final, contre les troupes du général Richepance. Dans ses écrits comme dans son action, Aimé Césaire donne alors une énergique impulsion à la revendication identitaire antillaise. Les contours d'un art poétique nouveau se dessinent. « D'une métamorphose43 », tel est justement l'un des titres choisis. La transformation, déjà manifeste dans le recueil Ferrements, sera confirmée un an plus tard dans Cadastre.



C'est en 1960 que paraît Ferrements. Ce recueil, qui contient un ensemble de poèmes composés entre 1950 et 1960, met en évidence les modifications qu'Aimé Césaire apporte tant à l'expression qu'au contenu de son inspiration. Aux yeux du poète lui-même, ce recueil représente un aboutissement : « On trouvera Ferrements plus amer, plus discipliné... Le volcanisme du début s'est tassé, intériorisé, plutôt44. » Le volume est subdivisé en deux sections. La première, Ferrements, évoque un passé douloureux. « Mon rôle est de me souvenir, d'être, si je le puis, un de ces "griots" qui relient le peuple à son histoire45. » Dans la seconde section, Ferments, le poète tourné vers l'avenir se fait visionnaire. Il exalte l'espoir d'une renaissance. Son est d'« être le ferment de cet espoir à faire lever toutes les mains46 ». Il chante la dignité reconquise, la liberté retrouvée de l'Afrique et du tiers monde. L'inspiration est, d'une certaine manière, moins personnelle, davantage en prise sur l'actualité. Ces changements sont délibérés. Césaire dira, pour expliquer les raisons qui l'ont conduit à renoncer au surréalisme de ses premiers recueils, que les nécessités du combat politique ont fait naître en lui « le désir d'un langage simple pour s'entretenir non plus seulement avec ses élèves du lycée, mais avec les paysans, les ouvriers... Pour être exact, mettons pourtant qu'il n'y a pas rupture de ton, mais coexistence de deux tons dans mes poèmes ». Entre le Cahier d'un retour au pays natal et Ferrements, la seule différence, insiste-t-il, est à trouver dans le ton. « Aujourd'hui je suis peut-être un peu moins optimiste, un peu plus amer. La révolution n'avance pas vite. »



Après Ferrements paraît, en 1961, Cadastre. Ce volume contient la plupart des poèmes qui avaient été publiés antérieurement dans Soleil cou coupé (1948) et Corps perdu (1950). Les changements apportés à l'édition initiale de Corps perdu sont nombreux. Sur un total initial de soixante-douze poèmes, vingt-neuf sont supprimés. Les modifications apportées aux quarante-trois poèmes réédités sont notables. L'auteur transforme certains titres, supprime des vers, transforme çà et là des images. Les variations introduites par rapport à l'édition initiale de Soleil cou coupé sont en revanche moins importantes. Dans l'ensemble, les changements traduisent bien le souci qu'a désormais le poète de se faire mieux comprendre du lecteur. Les images sont moins abstraites. Toutefois, en dépit de ces modifications, le recueil Cadastre ne perd pas totalement son caractère surréaliste. Certains commentateurs déplorent encore l'hermétisme du poète, l'obscurité exotique de son langage. En réponse à ces critiques, Aimé Césaire observait déjà, à propos de Ferrements, que, loin d'être abstraite, sa poésie désigne la réalité du milieu insulaire. «Je veux une poésie concrète, très antillaise, martiniquaise. Je dois nommer les choses martiniquaises, les appeler par leur nom (...). Tous ces mots qui surprennent sont absolument nécessaires, jamais gratuits (...). On agit avec ce qu'on a entre les mains. Après trois siècles, la langue du pays est le français... Nous nous servons du français, mais nous avons un devoir d'originalité48. » Pour mieux expliquer la récurrence dans son ouvre d'un certain nombre de thèmes, de mots et de symboles végétaux, il ajoutait : « Je sais qu'on me trouve souvent obscur, voire maniéré, soucieux d'exotisme. C'est absurde. Je suis Antillais... Je dois nommer les choses martiniquaises, les appeler par leur nom. »



La publication de Cadastre en 1961, moins d'une année après Ferrements, revêt ainsi une double signification : sur le plan poétique, d'une part, sur le plan idéologique, d'autre part. Ce recueil, Cadastre, qui n'est après tout qu'une petite anthologie où sont repris des textes antérieurement publiés, est à la frontière de deux expériences d'écriture distinctes : l'écriture poétique proprement dite et l'écriture théâtrale. Après Ferrements, à partir de 1960, Aimé Césaire se détourne progressivement de la création poétique pour se consacrer au théâtre. Cadastre est le dernier recueil d'Aimé Césaire. Moi, laminaire..., paraîtra vingt ans après, en 1981. Et, à vrai dire, cette ultime publication tient comme Cadastre de l'anthologie puisque le poète y rassemble des textes, parfois disparates, dont la composition s'est étalée sur de nombreuses années.

Après 1960, s'étant adonné au théâtre, Aimé Césaire ne délaisse pas entièrement la poésie. Il continue de composer, quoique de manière moins assidue qu'auparavant. Mais ses poèmes sont désormais pour la plupart des poèmes de circonstance. Ainsi, au début de l'année 1963, Aimé Césaire fait un voyage au Brésil. Il participe avec l'ethnologue dahoméen Alexandre Adandé à un congrès sur les cultures du monde noir. Son séjour à Brasilia lui apporte la joie de la découverte d'une communauté aux richesses culturelles insoupçonnées. En témoigne le poème intitulé « Prose pour Bahia de tous les saints50 ». Au mois de mai de la même année, une conférence au sommet des pays indépendants africains est organisée à Addis-Abeba. A cette occasion est créée l'Organisation de l'unité africaine. Fait rare, au cours de cette période entièrement consacrée au théâtre, Césaire compose un poème intitulé « Addis-Abeba 1963 », dédié à Alioune Diop.

D'abord publié dans la revue Présence aj, daine en 1964, ce poème

évoque la géographie du continent noir : « Mon cour Sénégal », « Nil bleu », l'Ethiopie, « belle comme ton écriture étrange ». Autant de métaphores qui exaltent l'espérance des autres parties du monde noir encore asservies, les pays des « Nègres inconsolés ». En 1966, un numéro spécial de la revue Présence africaine paraît sous le titre « Nouvelle somme de poésie du monde noir ». Cette anthologie est publiée à l'occasion du Festival des arts nègres de Dakar. Elle est précédée d'un avant-propos où Aimé Césaire définit de nouveau la fonction poétique. La poésie a pour objet de donner forme, après plus de trois siècles de domination, aux aspirations des peuples assoiffés de liberté. « Quand cela s'exprime (...), charriant indistinctement l'individuel et le collectif, le conscient et l'inconscient, le vécu et le prophétique, cela s'appelle la poésie". » Aimé Césaire souligne l'importance du rôle dévolu à la littérature, à la poésie et au théâtre plus particulièrement, dans le processus de désaliénation du colonisé. Elle doit « prendre en charge le passé, éclairer le présent, débusquer l'avenir, bref, aider à achever et à conduire à sa vraie naissance l'archipel inachevé».



Le théâtre d'Aimé Césaire



De La Tragédie du roi Christophe à Une Tempête

Une matrice : Et les chiens se taisaient, 1946

« Nous avons un Shakespeare et il est noir^. »

Antoine Vitez



L'évolution de la pensée politique d'Aimé Césaire n'est pas sans influence sur son activité créatrice. Le leader politique à part entière qu'il est devenu à l'occasion de la rupture de 1956 est conduit à interroger l'histoire, à étudier le passé pour mieux comprendre le présent. Le territoire du poète se confond dès lors avec celui de l'historien. Poésie et historiographie forment désormais un couple dont les termes sont indissociables. C'est à leur point d'intersection qu'apparaît le théâtre. L'essai historique intitulé Toussaint-Louverture. La Révolution française et le problème colonial5^ », publié en 1962, a pour objet de justifier la révolution antiesclavagiste au terme de laquelle Haïti a pu accéder à l'indépendance. En 1963 paraîtra La Tragédie du roi Christophe. Historien de la décolonisation et de l'indépendance haïtiennes, Aimé Césaire dresse un réquisitoire de portée générale contre le colonialisme et plaide, en se référant à l'histoire immédiate, pour l'émancipation de tous les peuples des Antilles. Il explique pourquoi la tentative de l'oligarchie blanche ainsi que celle des mulâtres ont été vouées à l'échec. L'indépendance ne pouvait être conquise que par le plus grand nombre. Elle fut l'expression de la volonté générale du « groupe social le plus dénué, le groupe nègre, le groupe du "grief généralisé". La grandeur de Toussaint Louverture se mesure au rôle qui fut le sien dans « le combat pour la transformation du droit formel en droit réel, le combat pour la reconnaissance de l'homme ». Césaire s'emploie à démontrer, sans méconnaître les interférences, que la révolution haïtienne a obéi aux déterminations d'une dynamique interne indépendantes du processus de la Révolution française. L'indépendance haïtienne n'est pas une conséquence de la Révolution française mais le fruit d'une initiative historique proprement haïtienne. Aimé Césaire met à profit une documentation historiographique très riche pour combattre un certain nombre de préjugés et récuser pas mal d'idées reçues. Son objectif est de prouver que, dans cette circonstance historique, les esclaves noirs, contrairement à l'opinion répandue, ont su s'organiser. Les pages qu'Aimé Césaire consacre aux répercussions des événements d'Haïti à la Martinique et à la Guadeloupe prouvent qu'il ne dissocie pas le passé du présent. L'expérience haïtienne est exemplaire. Elle est à méditer et permet de mieux comprendre les données actuelles de l'expérience martiniquaise. Il insiste sur le rôle primordial de Toussaint Louverture. Le portrait qu'il fait ici du « Napoléon noir » est le premier d'une galerie où bientôt se dresseront les grandes figures de l'histoire moderne et contemporaine négro-africaine Celles-ci réapparaîtront dans les années suivantes et seront les p.otagonistes de son théâtre.



A partir de 1960, le poète cède la place au dramaturge. Pour expliquer comment et pourquoi, Aimé Césaire précise : « En 1945, j'ai rédigé ma première pièce de théâtre : Et les chiens se taisaient. A cette époque j'avais subi l'influence de Nietzsche et de son ouvrage sur la tragédie grecque. Ma pièce était un oratorio lyrique. Pour moi le théâtre est un art total, composé de danses, de chants et de poésies. En cela je me rattache à une tradition tout à fait africaine ; fidèle non à la lettre mais à l'esprit de notre culture. J'ai conservé ce point de vue. Mais, à présent, le monde est arrivé à un autre stade. Le tiiéâtre correspond à cette nouvelle ère, qui est celle des responsabilités. » Il n'écrit plus désormais que pour la scène. C'est un choix délibéré. Le théâtre lui apparaît, compte tenu des circonstances de la lutte politique, comme le meilleur moyen d'assurer l'éveil des consciences et la formation idéologique des masses. « Aux Antilles, où l'acculturation est presque arrivée à son terme, où il faut recréer un homme antillais, le théâtre devrait jouer un rôle essentiel55. » Césaire vit alors ses plus belles années. Entre littérature et politique le rendez-vous tant espéré a enfin lieu. Il est au sommet de son art. Chacune de ses pièces est un événement tant littéraire que politique de dimension internationale. « J'ai été amené ainsi à faire du théâtre parce que le théâtre est un moyen de mettre au clair tout ce qui est dit de manière obscure, obscure pour les autres, en tous cas pas pour moi, obscure dans mes poèmes (...). C'est le meilleur moyen de faire prendre conscience aux gens, surtout à des peuples où on ne lit pas (...). Il y a une sorte de multiplication de la force poétique grâce au théâtre et, pour moi, c'est l'essentiel. »



La conversion qu'effectue Aimé Césaire en passant de la poésie au théâtre n'est pas aussi tardive qu'il y paraît. Sa première expérience théâtrale est bien celle du poème tragique, en forme d'oratorio, Et les chiens se taisaient, remanié par la suite pour la scène à l'instigation de Janheinz Jahn56. « Au fond, tout ce que j'ai fait depuis sort de cette matrice première qui s'appelle Et les chiens se taisaient, qui contenait déjà en germes l'inspiration première et totale. » Une comparaison peut être légitimement établie entre cette pièce d'Aimé Césaire, composée entre 1943 et 1945, et la pièce de Sartre créée en juin 1943 dans une mise en scène de Charles Dullin, Les Mouches. Dans cette pièce, Sartre dénonçait la lâcheté d'une ville complice de la mort de son roi. Le héros, Oreste, venge son père, tue Egisthe, l'usurpateur, ainsi que sa propre mère, Clytemnestre, laquelle avait accepté d'être l'épouse du meurtrier. L'on pense, bien sûr, au Hamlet de Shakespeare. Sartre donnait ainsi une véritable leçon de morale politique en lançant un appel à la résistance contre l'occupation allemande. Oreste, en accomplissant l'acte libérateur, mettait un terme au règne de la servitude. C'est aussi une leçon de courage qu'Aimé Césaire donne, lui aussi, dans Et les chiens se taisaient. Il exhorte ses concitoyens à se soulever contre le régime dictatorial instauré à la Martinique sous les ordres de l'amiral Robert par les autorités vichyssoises. La ressemblance entre cette pièce d'Aimé Césaire et celle de Jean-Paul Sartre est manifeste, non seulement du point de vue de sa signification politique et morale, mais encore au plan de la forme dramatique. La référence à Nietzsche et au théâtre grec est constante chez Césaire. Il est proche en cela des grands dramaturges de la période de l'entre-deux-guerres, Claudel, Giraudoux, Camus, Sartre, qui tous reviennent au modèle de la tragédie antique. Malraux était lui aussi véritablement hanté par Nietzsche. C'est Nietzsche qu'il invoque, au cours de son premier entretien avec le général de Gaulle, pour objecter que Marx s'est trompé en prédisant le dépérissement de la nation et de l'Etat. Camus n'est pas en reste, puisqu'il a réuni en volume un recueil de textes choisis de Nietzsche. Ce volume n'a pas été publié mais l'une de ses études a paru dans Les Temps modernes. En réactualisant le modèle grec, dans Les Mouches Sartre suit le mouvement. Il y revient, également, dans Les Troyennes, tragédie d'Euripide qu'il adapte pour le TNP. Dans Les Mouches, Sartre réutilise la trame antique en y transposant des problèmes politiques contemporains. Dans Les Troyennes, il procède de la même manière. Troie, cité opprimée, représente le tiers monde, l'Europe incarnant l'oppression. Cette pièce, conçue comme un oratorio, dénonce la guerre, l'oppression coloniale. C'est à ce courant d'un théâtre politique, à la fois populaire et savant, qu'il convient de rattacher Aimé Césaire. Cette forme de théâtre, à la fois politique et poétique, est propice non seulement à l'analyse mais encore à l'expression de sa sensibilité personnelle. Il parvient ainsi à réconcilier deux mythologies, la grecque et l'africaine. L'influence de Nietzsche sur Césaire est de ce fait, manifeste. En composant La Tragédie du roi Christophe il accomplit un retour au tragique, selon une démarche inspirée de La Naissance de la tragédie grecque. Au moment tragique grec coïncide, chez lui, le moment tragique de la décolonisation. Toute tragédie est tragédie de la connaissance. Grec ou africain, le moment tragique est le moment de la connaissance de soi, celui où l'image apparaît dans le miroir. Nietzsche, que Césaire a lu assidûment, écrivait à la fin du Gai savoir : « Ici commence la tragédie. » Poète et historiographe, Césaire en vient, selon sa pente naturelle, à méditer sur la fatalité historique et métaphysique qui accable les peuples noirs asservis. Dans son théâtre une métamorphose s'accomplit. Et c'est en cela qu'il est tragique. La Tragédie du roi Christophe montre, en effet, le spectacle d'une métamorphose, celle d'un cocher devenu roi, métamorphose de ce qui n'était qu'un destin contraire en une liberté conquise au péril de la vie. « Cette métamorphose, l'une des plus profondes que puisse créer l'homme, c'est celle d'un destin subi en destin dominé58. » La figure historique de cet esclave noir qui s'autoproclama « premier monarque couronné du nouveau monde » avait déjà été souvent mise en scène en Europe au XIXe siècle. Un acteur noir américain s'était rendu célèbre, entre 1845 et 1850, par son interprétation du personnage du roi Christophe. Après l'une de ses prestations triomphales à l'Odéon, à Paris, Alexandre Dumas l'embrassant s'écria, dans un élan d'enthousiasme : « Moi aussi, je suis nègre. »



Un tryptique :



« La Tragédie du roi Christophe », 1963,

« Une saison au Congo », 1967,

« Une Tempête », 1910.



La Tragédie du roi Christophe est représentée, pour la première fois, dans une mise en scène de Jean-Marie Serreau, le 4 août 1964, au Festival de Salzbourg en Autriche. Elle est reprise en France l'année suivante à l'Odéon, à l'initiative d'une Association des amis du roi Christophe réunissant, pour ne citer que ceux-là, Michel Leiris, Alioune Diop, Alejo Carpentier, Picasso, Giacometti, Gaétan Picon, Marguerite Duras. Elle est ensuite jouée, avec un succès toujours plus grand, à Berlin, à Bruxelles, à Venise, à Milan, à Montréal et au Festival des arts nègres de Dakar. La pièce sera traduite en allemand par Janheinz Jahn60 en 1964 ; en italien par Luigi Bonino Savarino61 en 1968 ; en anglais par Ralph Manheim62 en 1970 ; en espagnol par Carmen Kurtz63. Commencée en 1959, la rédaction de La Tragédie du roi Christophe est achevée en 1961. Aimé Césaire confie le manuscrit à Roger Blin. Directeur de la compagnie Les Griots, Roger Blin se propose de la faire représenter au Festival du théâtre expérimental de Knoke-Le-Zoute, en Belgique, au mois de décembre 1963. Ce projet n'aboutit pas, Césaire confie alors la pièce à Jean-Marie Serreau, l'un des pionniers du théâtre brechtien en France. Aucun producteur français n'ayant accepté d'assurer le financement du spectacle, Jean-Marie Serreau entreprend de constituer une troupe d'acteurs noirs. Grâce au soutien financier d'un groupe allemand, une première tournée est effectuée à travers l'Europe, après la représentation de la pièce au Festival de Salzbourg, en août 1964. En raison de l'échec financier de l'opération, les producteurs, en attendant d'être remboursés, s'opposent à la représentation de la pièce en France. Un procès est engagé avec le soutien de l'Association des amis du roi Christophe présidée par Michel Leiris. La pièce est enfin montée à Paris, le 12 mai 1965. La première édition en volume paraît chez Présence africaine en 1963. Entre cette version initiale et le texte de la représentation parisienne d'importantes modifications interviennent. Elles soulignent la visée analytique de la pièce : sa portée historique immédiate, sa signification politique et morale. « Décolonisation ? oui. Mais après ? J'ai volontairement laissé l'ambiguïté. Le "conducteur" devenu roi éprouve soudain (...) une tragique solitude. Tragique au sens grec. Christophe est aussi un Faust africain.... Pour juger Christophe, il faut comprendre son contexte social, humain.... Il ressent le déni de justice envers l'Afrique, mais il y a en lui une sorte de trahison culturelle. C'est l'un des éléments du drame actuel des dirigeants noirs64 ». C'est « une grande tragédie shakespearienne », ajoute l'auteur, qui compare Christophe aux grands fondateurs d'empire, «. Pierre le Grand, Gengis Khan, Charlemagne65. Les difficultés auxquelles s'est heurté ce chef haïtien sont encore celles que connaissent Senghor, Ben Bella, Keita, Castro, etc. » Après Toussaint-Louverture, Christophe apparaît ainsi comme la seconde des grandes figures d'une épopée de la décolonisation. A ses côtés viendront prendre place, respectivement, dans Une saison au Congo et dans Une Tempête, d'autres figures emblématiques de la décolonisation contemporaine, Lumumba, l'Africain, et Malcolm X, l'Américain.



C'est à Bruxelles, du 20 mars au 5 avril 1966, qu'ont lieu les premières représentations de la deuxième pièce d'Aimé Césaire, Une saison au Congo. La mise en scène est de Rudi Barnet, directeur de la compagnie du Théâtre vivant, avec le concours de cinq acteurs noirs. Malgré l'hostilité de la presse belge, et grâce à un comité de soutien où figurent Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et Jan Van Liezde, un ami de Lumumba, la création de la pièce est un succès. Au mois d'août 1967, avec le concours des mêmes acteurs, Serreau et Périnetti créent une troupe à Paris en vue de monter la pièce. La première mise en scène a pour cadre la biennale de Venise, au mois de septembre 1967. Un mois plus tard, le 4 octobre, elle est reprise au Théâtre de l'Est parisien. La critique réagit favorablement, en insistant sur le côté brechtien de la pièce. Attentif aux cruelles épreuves de la décolonisation congolaise, Aimé Césaire a rédigé cette pièce66 en un délai très court, tirant profit de l'abondante documentation disponible dans les journaux ainsi que de témoignages personnels. De la première pièce, La Tragédie du roi Christophe, à la deuxième, Une saison au Congo, l'unité d'inspiration est manifeste6". Césaire l'indique lui-même en comparant Lumumba à Christophe : « C'était tous les deux des poètes coupés du gros de la troupe (...), des visionnaires très en avance sur leur époque. Pas plus politiciens l'un que l'autre, lancés derrière un idéal très noble, ils perdent contact avec une réalité qui ne pardonne pas... Lumumba, comme Christophe, ce sont des vainqueurs qui se dressent alors que tout s'écroule autour d'eux. »



A l'avant-veille de la première de Une saison au Congo, au Théâtre de l'Est parisien, vraisemblablement le 2 octobre 1967, Césaire accorde un entretien à Nicole Zand, dans Le Monde, au cours duquel il explicite la visée politique de la pièce. C'est alors qu'il en vient à évoquer, pour la première fois, le sujet de sa troisième pièce. « Maintenant, ma raison me commanderait d'écrire quelque chose sur les nègres américains. Je conçois cette ouvre que je fais actuellement comme un triptyque. C'est un peu le drame des nègres dans le monde moderne. II y a déjà deux volets du triptyque : Le roi Christophe est le volet antillais. Une saison au Congo le volet africain et le troisième devrait être, normalement, celui des nègres américains dont l'éveil est l'événement de ce semi-siècle69. » Dans une autre interview, publiée au mois de décembre 1967, Aimé Césaire parle une fois de plus de la pièce qu'il s'apprête à rédiger, « une pièce sur les Noirs américains et tous les phénomènes qui se passent à l'heure actuelle aux États-Unis70 ». Au mois de janvier 1968, il s'explique, de manière plus détaillée, dans l'entretien que publie le journal bruxellois Le Point. « Je suis très intéressé par le « pouvoir noir ». Comme je veux faire du théâtre vivant, prendre à bras-le-corps la réalité historique, il me semble que ce qui se passe à l'heure actuelle aux États-Unis, le réveil des Noirs américains, le Black Power, ce mouvement extraordinaire qui fait des étés chauds, ça mérite d'être traité théâtralement... J'envisage de faire une pièce s'appelant Un été chaud ». En 1968, la revue Présence africaine présente à ses lecteurs le texte d'une pièce annoncée, sous le titre Une Tempête. D'après La Tempête de Shakespeare. Adaptation pour un théâtre nègre. Une seconde version est publiée environ un an plus tard. Les modifications qu'Aimé Césaire apporte au texte initial visent toutes à mettre en évidence la richesse du patrimoine culturel africain dont Caliban est l'héritier. Elles soulignent également les mécanismes opposi-tionnels de la dialectique du maître et de l'esclave, de la lutte des classes et des races. « Prospéro est prisonnier de son ouvre (...). Caliban et lui font un couple indissociable. Pas plus que les Nègres et les Blancs ne peuvent se séparer, en Amérique, Prospéro ne peut se séparer de Caliban, et c'est cela l'histoire. C'est le caractère indissoluble de cette union qui fait le drame72. » Cette troisième pièce, Une Tempête, est le dernier volet du tryptique. Aimé Césaire l'a écrite à l'instigation de Jean-Marie Serreau. « Il m'a demandé si je voulais faire l'adaptation. J'ai dit d'accord, mais je veux la faire à ma manière. Le travail terminé, je me suis rendu compte qu'il ne restait plus grand-chose de Shakespeare. C'est pourquoi, pudiquement, j'ai donné comme titre Une Tempête11" ». Aimé Césaire a conçu cette fable tragi-comique, de facture brechtienne, afin d'illustrer les rapports qui ne sont instaurés aux colonies d'Amérique entre maîtres blancs et esclaves noirs, colonisateurs et colonisés. « Mon texte, et c'est normal, est devenu gros de toutes les préoccupations que j'avais à ce moment-là. Comme je pensais beaucoup à une pièce de théâtre sur les États-Unis, inévitablement, les points de référence sont devenus américains... Devant la domination de Prospéro, il y a plusieurs façons de réagir : il y a l'attitude violente et la non violente. Il y a Martin Luther King et Malcolm X et les Black Panthers'4. » Présentée au Festival de Venise puis au Théâtre de l'Ouest parisien, la pièce reçoit un accueil plutôt défavorable, la critique reprochant à l'auteur d'avoir indûment modifié La Tempête. Crime de lèse-majesté, Césaire avait trahi Shakespeare. «J'ai essayé de démystifier La Tempête (...). En relisant la pièce, j'ai été frappé par le totalitarisme de Prospéro (...). Je m'insurge lorsque l'on me dit que c'est l'homme du pardon. Ce qui est essentiel, chez lui, c'est la volonté de puissance... C'est le monde européen campé en face du monde magique, du monde primitif75. » La pièce sera par contre représentée avec succes à la Martinique, au mois d'août 1972, à l'occasion du premier Festival culturel de la ville de Fort-de-France. Elle sera également bien accueillie au Festival de Hammamet, en juillet 1969, en Tunisie, de même qu'au XVe Festival de Baaibek, au Liban, en août 1970.

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Aimé Césaire
(1913 - 2008)
 
  Aimé Césaire - Portrait  
 
Portrait de Aimé Césaire

Biographie

Aimé Césaire est né à Basse Pointe en Martinique le 26 juin 1913. Son père était instituteur et sa mère couturière. Ils étaient 6 frères et soeurs.Son père disait de lui quand Aimé parle, la grammaire française sourit...

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