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POURQUOI JE SUIS COMMUNISTE


Poésie / Poémes d'Aimé Césaire





L'adbésion

En 1950, Aimé Césaire fait une entrée remarquée sur la scène littéraire et politique. Emporté dans l'élan de son énergie créatrice, il brille de tous ses feux. L'avant-garde intellectuelle, littéraire et artistique parisienne le tient en haute estime. Il est une des figures de proue de l'intelligentsia proche du parti communiste. Picasso, Leiris sont ses amis. Aragon est attentif. A la Martinique, son charisme lui confère une autorité incontestée. La bonne chance l'accompagne. Tout semble lui sourire. Comment s'en étonner ? Aimé Césaire est né coiffé. Or, soudain, tout semble basculer. Rien ne va plus. L'horizon s'obscurcit. Cette seconde période de l'existence est celle des épreuves, celle des grandes luttes. Orphée se change en Prométhée. Aux déboires que connaît l'homme public, s'ajoutent au cours de la deuxième décennie (1956-1966) les cruelles épreuves de la vie familiale. Suzanne, l'épouse dont il divorce en 1963, meurt en 1966. « Dans ma vie il y a eu des effondrements, des bouleversements, qui m'ont pris au dépourvu. Cela est arrivé - ce n'est que maintenant que je m'en rends compte - parce que je n'ai pas su évaluer de façon assez humble et honnête tous les signes qui fulguraient obscurément dans [mes] poésies25. » Certains poèmes, dans leur discrétion, laissent sourdre la douleur de l'homme. Cette véritable tragédie que constitue à mi-course l'échec du couple qu'il avait formé avec celle qui fut la complice, l'alliée, l'inspiratrice admirée autant qu'aimée, autorise la comparaison : Aimé et Suzanne Césaire font quelquefois penser à Victor et Adèle Hugo ou encore à Jean-Paul Sartre et à Simone de Beauvoir. De telles épreuves ne laissent pas inchangée la personnalité profonde. La souffrance mûrit.



En 1956 éclate la crise. Aimé Césaire quitte le parti communiste. Cette démission a l'effet d'un véritable séisme idéologique. Pourquoi, comment les choses en sont-elles venues-là ? Pour comprendre l'événement, il convient de revenir aux circonstances de son adhésion au PCF, dix ans plus tôt, en 1946. Entre les deux grandes guerres, l'essor du marxisme est rapide. La séduction qu'exerce l'URSS sur les intellectuels d'avant-garde est manifeste. Certains se contentent d'être des sympathisants du PCF, d'autres deviennent des militants. La menace que fait peser le fascisme, à partir des années 1930, renforce la tendance. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la force d'attraction du parti communiste ira en s'accroissant. Comme beaucoup d'autres intellectuels français, antillais ou africains, Aimé Césaire adhère en 1946, au parti de Maurice Thorez.



Malraux a été l'un des premiers compagnons de route du mouvement communiste, sans jamais y adhérer, il est vrai. D'autres écrivains suivent son exemple et vont jusqu'à faire acte d'adhésion, Tèl est le cas de Camus. En 1935 il adhère au Parti communiste en Algérie. Le parti communiste algérien n'est alors qu'une section du parti communiste français, au même titre que le Parti communiste martiniquais qui demeure, jusqu'en 1956, une section du PCF. Camus en est un membre durant deux ans. En 1937, il est exclu pour déviationnisme et trotskysme. La direction du PC, en Algérie, s'irrite des protestations que Camus élève alors contre la nouvelle politique qui a conduit les communistes à se désolidariser des nationalistes musulmans en lutte contre le régime colonial. Camus s'indigne de ce que le parti communiste se soit allié, en la circonstance, à un parti radical-socialiste qui lui apparaît comme un bastion du colonialisme. Camus constate, non sans ironie, que les communistes, hier révolutionnaires intransigeants, deviennent des zélateurs de l'armée française et des doctrinaires de la défense de la patrie. En septembre 1938 sont signés les accords de Munich. En 1939 est signé le pacte germano-soviétique. La signature de ce pacte entre Staline et Hitler suscite l'indignation de nombreux intellectuels et écrivains, dont Paul Nizan qui, pour manifester son désaccord, démissionne du PC. Après la rupture du pacte germano-soviétique et l'entrée en guerre de l'URSS, d'autres membres de l'intelligentsia, en grand nombre, adhèrent à leur tour. A la fin de l'année 1942, les communistes engagent, en effet, une politique d'ouverture et d'alliance, mettant fin à leur volonté d'autarcie politique. Cette politique d'ouverture, d'alliance et de contact trouve son illustration au plan littéraire dans Les Lettres françaises, publication encore clandestine du CNE (Comité national des écrivainS). Dans l'été 1943, une troisième phase de l'affrontement entre les alliés et le pouvoir nazi s'amorce. La résistance redouble d'énergie. Les écrivains mettent leur plume au service de l'action. Les Editions de Minuit publient une anthologie de poèmes clandestins intitulée L'Honneur des poètes, préfacée par Paul Eluard. La poésie connaît son heure de gloire. Elle apparaît comme le moyen le mieux adapté aux circonstances du combat, à galvaniser les énergies, à rendre à tous l'espoir.



« Paris a froid

Paris a faim »,

écrit Paul Éluard...



« Vous pouvez condamner un poète au silence

Et faire d'un oiseau du ciel un galérien

Mais pour lui refuser le droit d'aimer la

France il vous faudrait savoir que vous n'y pouvez rien » s'indigne Aragon, sous le pseudonyme de François la Colère.



Comme beaucoup d'autres intellectuels de ce temps-là, Aimé Césaire se rapproche du PCF. Mais il ne prend sa carte de membre qu'en 1946, après son élection. Il adhère par loyauté, comme par gratitude envers ceux qui l'ont fait élire. Pourquoi si tard ? Contrairement aux étudiants du groupe Légitime Défense, Jules-Marcel Monnerot, René Ménil, et quelques autres, Aimé Césaire n'a pas vécu à Paris dans la mouvance marxiste. Ce n'est qu'une fois engagé dans l'action qu'il devient attentif aux fondements théoriques de la doctrine. Césaire s'initie goulûment aux principes fondamentaux du marxisme, entre 1945 et 1947, de la même manière qu'il avait potassé le latin et le grec en hypokhâgne et en khâgne, entre 1931 et 1935. « Marxiste, je le suis comme Pascal était catholique. Philosophiquement, je ne suis pas du tout marxiste. Ce qui compte essentiellement, pour moi, c'est l'art. Je suis en art comme on est en religion... (MaiS) l'art ne résout rien. 11 transcende seulement. » Cette formule, qui explique la conversion de Malraux en un compagnon de route des communistes, peut sans doute éclairer la démarche propre à Aimé Césaire. C'est l'élection de Bissol et de Césaire qui donne aux communistes français l'occasion de mieux connaître les communistes martiniquais. Les relations étaient presque inexistantes jusque-là. Les militants qui ont créé la section martiniquaise du Parti communiste français appartiennent, initialement, à la section martiniquaise du parti socialiste français. Ayant fait scission, ils fondent le groupe Jean-Jaurès qui, avec le renfort du groupe Front commun devient, en 1934-1935, la section martiniquaise du PCF. Le groupe Front commun réunit des militants martiniquais qui avaient été proches du PCF pendant leur séjour en France. En 1946, devenu membre du PCF, Aimé Césaire explique les raisons de son adhésion au parti de Maurice Thorez dans une brochure éditée par le Parti communiste français et intitulée Pourquoi je mis communiste. « J'ai adhéré au parti communiste parce que, dans le monde mal guéri de racisme où persiste l'exploitation féroce des populations coloniales, le parti communiste incarne (...) le droit à la dignité de tous les hommes sans distinction d'origine, de religion et de couleur. » Dans cette brochure figuraient, également, les professions de foi d'Anatole France, d'Aragon, de Paul Eluard, de Francis Ponge, de Tristan Tzara et de Pablo Picasso. A l'occasion des élections cantonales, Aimé Césaire prononce, le 6 octobre 1949, un discours où il s'explique avec une égale précision sur son adhésion au Parti communiste français. « Je suis communiste parce que je sais tout ce que notre pays, tout ce que notre race ont souffert depuis l'origine, parce que je sais la traite, l'humiliation, l'imbécile préjugé, l'exploitation, la répression et qu'aucune force au monde ne peut me faire oublier cela. » Aimé Césaire est ainsi entièrement gagné à l'idéal d'une société libérée où l'homme serait émancipé des contraintes économiques. Il partage les convictions révolutionnaires que résume la formule brechtienne : « Le marxisme est un langage jailli du cour. Contre la cruauté du monde capitaliste, exalter la bonté d'un inonde réconcilié. »



La croisade anti-impérialiste et la défense de la paix



L'opinion mondiale vit dans la crainte d'une guerre atomique. Le souvenir obsédant des cataclysmes nucléaires d'Hiroshima et de Nagasaki est dans toutes les mémoires. En 1931, l'armée japonaise avait envahi la Manchourie, appliquant une stratégie d'extermination. Vingt millions de Chinois avaient été tués. Quatorze ans plus tard, pour briser la puissance militaire nippone, les Américains détruisaient, au moyen d'une bombe atomique les villes d'Hiroshima et de Nagasaki. C'était au mois d'août 1945. Camus réagissait en ces termes : « La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. »



A partir de l'été 1947, la guerre froide fait peser sur l'humanité la menace d'une seconde apocalypse nucléaire. La démonstration est faite par l'absurde de l'inanité de la raison occidentale : « Du sein de l'effroyable misère physique et morale de ce temps, on attend sans en désespérer encore que des énergies rebelles à toute domination reprennent à pied d'ouvre la tâche de l'émancipation humaine. (...) Cette fin du monde n'est pas la nôtre », écrivait André Breton, en 1948, dans La Lampe dans l'horloge. La menace d'une troisième guerre mondiale devient une véritable obsession collective. Les intellectuels s'organisent en comités, multiplient réunions et congrès pour la défense de la paix. Le roman d'Albert Camus, La Peste, est publié. Jean Daniel crée la revue Caliban. La même année, toujours en 1947, Sartre, Merleau-Ponty, Breton et d'autres lancent, dans la revue Esprit, un appel commun de la gauche unie en faveur de la paix et d'une Europe neutre, socialiste. Ils sont hostiles à l'antagonisme des blocs et s'inquiètent des excès du stalinisme. En effet, c'est à cette date que Staline met en application une stratégie annexionniste et fomente un coup d'Etat contre le gouvernement démocratique de Tchécoslovaquie (février 1948). En 1948, Sartre fonde un rassemblement démocratique révolutionnaire destiné à rallier les intellectuels qui ne sont liés ni au PC ni à aucun autre parti. L'objectif est le même : faire en sorte que l'Europe soit une force médiatrice entre les deux grandes puissances. C'est également en 1948 qu'est représentée, au théâtre Montparnasse, Montserrat, pièce d'Emmanuel Roblès décrivant la lutte de libération menée par Bolivar, le Libertador, contre le colonialisme espagnol. L'action se déroule en 1912 au Venezuela. A l'initiative du Rassemblement démocratique révolutionnaire, dont Sartre et David Rousset avaient été les fondateurs, une réunion internationale d'intellectuels pour la paix est organisée. Richard Wright y prend la parole, Simone de Beauvoir lui servant d'interprète. Camus est présent, il intervient également. Peu de temps après, il part pour l'Amérique latine, du mois de juin au mois d'août 1948. En 1950, le prix Nobel est attribué à William Faulkner. Camus, qui avait contribué à le faire connaître en France, publie L'Homme révolté, traité de philosophie politique où il médite, au fil de l'histoire, sur les théories et les formes de la révolte en tâchant d'expliquer pourquoi l'idéal se dégrade en violence sanguinaire, pourquoi la révolte engendre le meurtre, comment Prométhée se change en César. Son étude a pour figure emblématique Prométhée mais fait référence à la terreur stalinienne.



Le 2 novembre 1950, le journal Justice publie un article signalant qu'Aimé Césaire est invité au Congrès mondial de la paix prévu du 13 au 19 novembre 1950 à Sheffield, en Angleterre. L'enrôlement d'Aimé Césaire dans les rangs du pacifisme international remonte à 1948. Du 24 au 28 août, il participe, cette année-là en Pologne, à Varsovie, au Congrès mondial des intellectuels pour la paix. La délégation française comprend, entre autres figures de proue de la science, des arts et de la culture : Frédéric joliot-Curie, René Cassin, Julien Benda, Vercors, Le Corbusier, Picasso, Fernand Léger, Armand Salacrou, Jean-Louis et Madeleine Barrault. Le discours que prononce Césaire est chaleureusement applaudi. Il y dénonce le colonialisme, le racisme, l'hostilité des puissances européennes aux mouvements de libération nationale et aux États nouvellement indépendants du tiers monde. A la fin du congrès, Aimé Césaire est nommé membre du Comité international pour la défense de la paix, lequel allait avoir son siège à Paris. Un fragment de ce discours devait être publié par Dominique Desanti dans Rencontre à Wroclaw26. Avec d'autres membres de la délégation française qui s'est rendue au congrès de Varsovie, Césaire participe à un meeting des partisans de la paix, le 11 février 1949, à la Mutualité. Dans son discours, établissant une opposition entre capitalisme et socialisme, il dénonce parallèlement l'hitlérisme et l'impérialisme. Le bellicisme nazi a pour corollaire le despotisme colonial, souligne-t-il. C'est le capitalisme qui, en organisant l'exploitation de l'homme par l'homme, engendre la violence. Césaire fait suivre ce réquisitoire d'un éloge de l'Union soviétique et du communisme. « (Le communismE) est devenu une force qui, tous les jours, dans le travail, dans la paix, fait la preuve de son efficacité et de sa supériorité. » Dans le n° 3 de la revue de l'Union française d'information, Les Partisans de la paix, est publié le 24 mars 1949 un entretien au cours duquel Aimé Césaire souligne l'importance du congrès de Varsovie. « Que de millions de simples gens se lèvent pour la paix ! Qu'ils se sentent invincibles ! »



Au mois de mars de la même année, en 1949, il participe également au Congrès des intellectuels de la République populaire roumaine pour la paix et la culture. Il intervient en qualité de représentant de l'Union française mais encore en tant que porte-parole de l'ensemble du monde noir et, par-delà, de tous les pays du tiers monde. « Dans le monde entier, en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud ou en Amérique centrale, il y a des dizaines et des dizaines de peuples, hier ignorés, oubliés, mais aujourd'hui réveillés à l'histoire, qui ont les yeux braqués sur vos réalisations. » L'allocution est reprise dans son intégralité, à Moscou, dans la revue Ogoniek. Les rédacteurs de cette revue soviétique sont attentifs aux propos d'Aimé Césaire. Celui-ci dénonce les menées impérialistes de l'OTAN et fait l'éloge de l'armée soviétique pour son rôle déterminant dans la libération et la reconstruction de la Roumanie. A peine revenu de Bucarest, Césaire participe, le 3 avril 1949, au centre Marcellin-Berthelot, à une conférence du Mouvement des intellectuels français pour la défense de la paix. Picasso, Frédéric Joliot-Curie, Eisa Triolet, Jean Wahl, Fernand Léger et Aragon montent à la tribune. Présenté par Aragon, Césaire donne lecture d'un poème où sont traduites les préoccupations qu'exprime déjà le discours de Bucarest. Ce poème qui n'a été repris dans aucun des recueils publiés par la suite montre qu'une certaine évolution est en cours. Les vers sont d'une facture moins surréaliste, plus didactique. Cette nouvelle orientation ne pouvait déplaire à Aragon qui présenta le poète martiniquais à l'assemblée en ces termes : « Lui et moi nous avons fait, à des époques différentes, le même chemin et, au moment où il va prendre la parole, je dois vous dire que c'est avec une grande émotion que l'ancien surréaliste que je suis salue en Aimé Césaire le grand poète qui fut surréaliste comme moi, un des plus grands parmi les poètes politiques d'aujourd'hui et que l'on peut ranger à côté de Pablo Neruda et de Maïakowski. »



Voulant apporter, au plan local, sa propre contribution au congrès de Sheffield dont les assises avaient été prévues du 13 au 19 novembre 1950, Aimé Césaire prend l'initiative d'organiser à Fort-de-France le premier Congrès martiniquais des partisans de la paix. A l'ouverture il prononce un discours où il prend position une fois de plus en faveur du communisme : « La paix répond au principe fondamental même du communisme. C'est que l'Union soviétique veut la paix, par nature, par intérêt. Elle en a besoin pour mener la révolution à sa fin : le régime économique et social communiste. » Dans trois autres articles publiés dans le journal Justice, respectivement les 7, 14 et 21 décembre 1950, Aimé Césaire dénonce vigoureusement l'impérialisme et le bellicisme américains. Le Premier ministre anglais Clément Attlee vient d'interdire le Congrès de la paix prévu à Sheffield. Aimé Césaire proteste contre cette décision et fustige les menées du président des États-Unis Truman qui avait succédé à Roosevelt et_ qui, pour contrer la menace du bloc soviétique, offrait l'aide des Etats-Unis aux pays du sud de l'Europe. Ce dernier avait eu néanmoins le mérite de limoger MacArthur, général en chef des armées de l'ONU, qui entendait recourir à la bombe atomique pour mettre fin à la guerre de Corée.



Les années 1950 sont en effet marquées par l'affrontement des deux blocs. La « doctrine » Truman entre en application et est étendue à la totalité de l'hémisphère occidental. Equilibre de la terreur entre les deux grandes puissances, l'Union soviétique et les États-Unis. Surenchère des nationalismes : l'on rend coup pour coup. Au blocus de Berlin fait pendant le coup de Prague ; à la guerre de Corée, la guerre du Viêt-nam. En juin 1947, les Américains avaient organisé le plan Marshall. C'était le début de la guerre froide. Désormais les partis politiques devaient choisir entre atlantisme et soviétisme. Au mois de décembre 1948, salle Pleyel, avait lieu un grand meeting au cours duquel Sartre, Camus, Breton ainsi que le romancier noir américain, R. Wright, prenaient la parole. Ce dernier déclarait : « L'Amérique et la Russie proclament qu'elles représentent la liberté humaine et, entre ces deux proclamations, l'esprit humain est sacrifié. Les hommes ont peur. Ils ne peuvent choisir. »



Le théâtre des opérations où s'affrontent Américains et Soviétiques s'étend, au-delà de l'Europe, aux continents africain et asiatique. Survient d'abord la crise de Suez, puis, en 1952, le conflit indochinois. L'intervention américaine avait modifié les enjeux de la guerre de Corée. L'utilisation des armes chimiques étant devenue une réalité, la menace nucléaire se précise. Le 28 mai 1952, le PCF organise une vaste manifestation pour protester contre la venue à Paris du général Ridgway, lequel avait été accusé d'avoir pris l'initiative de la guerre bactériologique. Cette manifestation est violemment réprimée. Au mois de février 1952, un meeting est organisé à Paris par la Ligue française des droits de l'homme, pour venir en aide à des dirigeants syndicalistes espagnols condamnés à mort. Sartre, Camus, Breton y prennent la parole. L'annulation du congrès de Shefficld n'avait pas mis un terme aux actions du Congrès mondial de la paix. En 1951 était lancé un appel incitant les gouvernements des deux blocs : les États-Unis, l'Angleterre, la France et l'Italie, d'une part, l'Union soviétique et la Chine d'autre part, à signer un pacte de non-agression qui mettrait fin à la course aux armements. Dans un article paru le 27 décembre 1951, Césaire, en tant que membre du Conseil mondial de la paix, expliquait les méfaits de la course aux armements en désignant les menaces que font peser sur la paix les puissances capitalistes. Le congrès a lieu finalement, à Vienne, du 12 au 22 décembre 1952. Césaire est présent au sein de la délégation française. Outre les pays européens sont représentés les pays d'Asie, d'Amérique latine, des Antilles, d'Afrique du Nord et d'Afrique noire. Parmi ces délégués sont présents le Brésilien Jorge Amado, le Chilien Pablo Neruda. Invité par Aragon, Sartre prononce le discours de la séance d'ouverture. A son retour de Vienne, dans un article publié dans Justice, le 5 février 1953, Césaire rend compte des travaux du congrès en résumant les principaux facteurs d'insécurité que sont l'impérialisme des États-Unis et de ses alliés d'Europe occidentale, le bellicisme des gouvernements américain et français en Indochine et en Corée. Le mouvement des intellectuels en faveur de la paix déploie une intense activité. Au cours d'un débat organisé à la Mutualité, le 5 mai 1953, Sartre prononce un discours, évoquant le drame indochi-nois, où il dénonce ce massacre inutile. Autre événement capital de cette année-là, la mort de Staline. C'est Nikita Khrouchtchev qui le remplace au Kremlin.



Dans la ligne



Il v a, à cette époque, chez Aimé Césaire, une hostilité constante à l'égard des États-Unis. A cela deux raisons. D'une part son engagement de militant communiste prosoviétique, anticapitaliste et anti-impérialiste, d'autre part et surtout la répulsion que lui inspire la ségrégation raciale dont sont victimes les Noirs aux États-Unis. Le 20 juin 1950, il intervient à l'Assemblée nationale dans un débat relatif aux tentatives visant à faire passer les Antilles françaises sous contrôle américain. L'objectif poursuivi, conformément aux principes de la charte de l'OTAN, était de réunir l'ensemble des Petites Antilles en une confédération placée sous la tutelle des Etats-Unis. Césaire dénonce un tel projet en ces termes : « Vous savez sans doute ce que représente l'Amérique pour nous. Pour nous, l'Amérique c'est le racisme le plus sauvage, les préjugés les plus éhontés... Vous n'avez pas le droit de livrer ces populations (...) au lynch et au racisme. » Le 20 juillet 1950, il revient à la charge lors d'un débat sur les crédits alloués à l'éducation. Déplorant l'état de l'enseignement aux Antilles - la pénurie des établissements, l'insuffisance du corps enseignant - il en profite pour protester contre l'influence croissante de la propagande américaine à la Martinique : « Dans la grande lutte qui s'est instaurée malgré nous aux Antilles entre l'américanisme et la présence française, l'arme la meilleure de la France ce ne sont pas les préfets que vous avez installés dans les nouveaux départements, ce ne sont pas les CRS que le gouvernement nous a envoyés trop généreusement, c'est la culture française, ce sont les livres français, ce sont des écoles... » Césaire dénonce parallèlement les manouvres militaires hostiles à l'Union soviétique. Opposant l'Union française, devenue une « prison des peuples », à l'Union soviétique qui symbolise l'espérance des prolétaires du monde entier, il réaffirme sa foi en un nouvel ordre du monde conforme aux principes de justice et d'humanité. Plusieurs faits prouvent qu'Aimé Césaire est tenu, pendant cette période, en haute estime par les responsables du Parti communiste soviétique. Le 15 mars 1950 est publié, à Moscou, dans Literatournaja Gazeta, un poème de Césaire inspiré des événements de Dimbokro et de Yamoussoukro. Ce poème, publié sans titre, accompagne dans la revue russe un article intitulé « Ne brisez pas notre volonté ». Ce même article sera repris dans une série d'études ethnographiques allemandes, à Berlin-Est, en 1961. Mais comme à cette date Aimé Césaire aura démissionné du PCF, les rédacteurs de la revue croiront bon de le punir en ôtant de l'article aussi bien le poème que le nom du poète28. Au mois de mai 1950, le Parti communiste français célèbre en grande pompe l'anniversaire de son secrétaire général, Maurice Thorez. Le 4 mai, Justice publie, assorti d'une photo de Thorez et suivi d'un commentaire de Gilbert Gratiant, un poème d'Aimé Césaire en hommage au grand leader. Le poème a pour titre : « Maurice Thorez parle. » Césaire reprend dans ce poème, à la manière d'un leitmotiv, les mots d'ordre que, pour tracer la ligne générale du Parti, Thorez venait d'édicter lors du congrès qui s'était tenu à Gennevilliers. A la manière d'un panégyrique, le poème exalte l'engagement héroïque du grand homme qu'il qualifie d'efficace « contrepoison aux poisons capitalistes ».



« Le communisme est à l'ordre du jour le communisme est l'ordre même des jours sang des martyrs - pollen leur lumière -

Révolution leur bel été et pour tous du pain et des roses. »



En composant ce poème en hommage à Maurice Thorez, Aimé Césaire n'en est pas à son coup d'essai. En 1948, le journal Justice avait publié un poème de sa plume à la gloire de Staline. Pourquoi, comment Césaire en est-il arrivé là ? Dans les années 1930-1945 et encore au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les écrivains ont pour la plupart fait le pèlerinage de Moscou. Les uns et les autres, compagnons de route tels que Malraux ou membres du Parti tels que Gide, Barbusse, Nizan, Aragon, se croient obligés de rendre un culte à l'Union soviétique et à son chef suprême. Sartre lui même n'a-t-il pas sacrifié au rite quand, en juillet 1954, revenu de Moscou, il affirme comme en état d'hypnose que la liberté d'opinion est totale en URSS ? Il ne prendra position contre l'URSS qu'en 1956, à la nouvelle de l'écrasement de l'insurrection de Budapest par les chars soviétiques. En 1953, Césaire est à Moscou. Il assiste avec d'autres membres de la délégation du PCF aux funérailles de Staline. Le discours qu'il prononce à cette occasion à la gloire de Staline est publié, le 19 mars 1953, dans Literatournaja Gazeta. Pendant son séjour à Moscou, il rencontre Maurice Thorez, lequel se trouvait déjà sur place pour se faire soigner. Aimé Césaire fait le compte rendu de son voyage dans une lettre adressée à ses camarades martiniquais, le 2 avril 1953 : « J'ai passé en tout sept jours en URSS. Ça a été une des semaines les plus riches que j'aie jamais vécues. C'est une expérience enthousiasmante, un enrichissement incroyable (...). Parmi les joies que j'ai eues là-bas, une des plus grandes a été d'être reçu par Maurice Thorez dont la santé est à peu près rétablie. Toujours la même intelligence, la même lucidité. » Moins de deux ans après, il démissionne du PCF.

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Aimé Césaire
(1913 - 2008)
 
  Aimé Césaire - Portrait  
 
Portrait de Aimé Césaire

Biographie

Aimé Césaire est né à Basse Pointe en Martinique le 26 juin 1913. Son père était instituteur et sa mère couturière. Ils étaient 6 frères et soeurs.Son père disait de lui quand Aimé parle, la grammaire française sourit...

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