Alain Bosquet |
Vous mourrez quatre fois. D'abord vos cartilages Et vos chairs pourriront : n'importe quand, ce soir Ou dimanche à midi. Vos rimes - c'est dommage - Alerteront le monde inconséquent : devoir, Sanglots, fidélité ? Partis les trouble-fête Qui n'auront rien troublé... Une seconde mort Viendra bientôt, l'oubli de la race discrète À qui vous léguerez le pauvre désaccord De deux néants : cet astre mou qui se barbouille D'espoirs nauséabonds, ce moi pulvérisé. Vous serez le silence et deviendrez la rouille Que l'on gratte à la grille d'un parc. Vous gisez Dans vous-mêmes déjà. Vous serez anonymes Comme l'indifférence - oh ! pas même avortés Par la rage ou la peur ! Votre mépris supprime. Trente siècles trop tôt, votre postérité. Le langage à son tour souffrira, c'est justice. Jusqu'à perdre ses mots : des reptiles ingrats. Sons nerveux, rythmes purs, images bienfaitrices, Pas de médicaments ! Verbe à verbe il mourra D'une mort - la troisième - où, chimères démentes Les syllabes feront éclater votre azur. Obsèques de votre alphabet ! Qui réinvente L'amour de dire et de nommer ? Sonnets futurs Pour continents défunts. Ils devront disparaître. L'espace, la planète... À qui le passeport Pour l'absurde ou le vide ou le rien ? Pas de traîtres... Dernière mort dans l'ignorance de la mort. L'univers va bâiller. Qui discute ou raisonne ? Vous ne les verrez pas, les hommes transparents. Vous vivez le fortuit ; vous êtes sa maldonne. Vous ne cueillerez pas les lunes qui, par rangs De cinq, de six, font les pastèques dans l'espace. Vous ne connaîtrez pas ce poids sans pesanteur. Où le navire plane; où l'orme se délasse. Racines sur l'épaule; où le caillou moqueur Aura les gestes du goujon. Qui vous oppresse ? Vous ne serez plus là pour vivre l'irréel : Soupir de la montagne aux muqueuses d'ânesse, île qui joue de la guitare au moindre appel. Vous allez vous dissoudre. Une fillette assise Parmi ses propres yeux - dix mille : une forêt ! - Leur dira : « Devenez des lézards : c'est de mise À votre âge. » L'exil, le cosmos, quel attrait De l'invisible ! Univers glauque... On vous rejette Comme pépins de poire. Égoïste aujourd'hui-Soleil sans indulgence : il vous rend vos squelettes, Vos muscles, vos poumons. Vous n'avez pas séduit Vos suzerains. Voyez, vous êtes ordinaires Comme un dindon malade ou comme, le mardi, Un jeu de cartes sans joueurs. Pourquoi parfaire Un miracle, un salut ? Vous n'avez rien prédit. |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Alain Bosquet (1919 - 1998) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Alain Bosquet | |||||||||
La chronologie1919 March 28th: the birth in Odessa, Russia of Anatole BISK (occasionally BISQUE), son of Alexandre and Berthe Turiansky. His paternal ancestors, originally from Alsace and Belgium, established themselves in the Ukraine in the middle of the nineteenth century to work in railroad construction there. His father was a manufacturer, but also a poet. It was he who first translated Rainer Maria Rilke i Ouvres d'alain bosquetPoésie AperÇu biographique |
|||||||||