Alain Bosquet |
Au temps du premier alphabet, tu as connu l'exil. C'était la fête : on changeait de rivage comme la mer change d'écume. On oubliait les villes pour quelques villes plus ouvertes. On se disait adieu en des mots étrangers, avant de dire : « Bonjour, je crois que je vous aime. » Elève de la peur, tu t'es choisi quelques idoles : le grec, les maths, le latin, la chimie et, pour faire bon poids, deux Charlemagne, l'un barbu, l'autre imberbe. Puis vint une raison : il faut que l'être se fasse doux comme un néant, pour s'accepter il faut aussi que le néant, cher épagneul, laisse la place à l'être, encore maladroit. Survint bientôt la déraison : les équateurs étaient nombreux et venaient boire dans les mains, comme font les cigognes à l'heure du soupir. Rage et Rimbaud : tu as brûlé les livres, et les parents, et les royaumes, et les si pâles Républiques. Tu as fait quelques guerres comme on faisait l'amour, là-bas sous l'équinoxe, où les palétuviers, en expirant, murmurent : « Ne craignez rien, votre comète vous pardonne. » Il faut tuer pour devenir adulte. Il faut creuser sa tombe pour enfin croire en soi. Tu as connu l'horreur des certitudes, des évidences et des choses trop simples. A chaque femme étreinte, tu déclarais : « Merci, votre peau, je la garde ; et votre âme, pardon, à qui appartient-elle ? » Tu as gagné ta vie, mais combien de survies as-tu perdues ? Aujourd'hui, tu consultes les objets, et la muraille, et le trottoir, et les ciseaux : tu les estimes plus que tes semblables. Tu n'as pas d'autre vérité que ta métamorphose, qui saigne comme un bouf devant son abattoir. Chaque matin, tu crées le monde, comme il se doit, sans qu'il le sache. Tu as grandi à la sueur de ton refus. Travailleur manuel, tu as cueilli les neiges les plus tendres et recousu les lunes qu'on déchire. Le réel, tu l'apprends, n'est plus dans la réalité. Tu as vieilli comme la pomme qui attend sur la table qu'un inconnu la morde à pleines dents. C'est ta mémoire en laisse que tu promènes dans les ports, vieux chat qui doucement se rouille. Tu as pris ta retraite. Autour de toi les mots sont vides : on dirait quelques noix vers la fin de décembre. Et tes poèmes grincent comme font les serrures privées de porte. L'identité s'en va dans une toux. Tu es heureux de te savoir plus anonyme qu'une éponge saisie par une main tranchée. |
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Alain Bosquet (1919 - 1998) |
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Portrait de Alain Bosquet | |||||||||
La chronologie1919 March 28th: the birth in Odessa, Russia of Anatole BISK (occasionally BISQUE), son of Alexandre and Berthe Turiansky. His paternal ancestors, originally from Alsace and Belgium, established themselves in the Ukraine in the middle of the nineteenth century to work in railroad construction there. His father was a manufacturer, but also a poet. It was he who first translated Rainer Maria Rilke i Ouvres d'alain bosquetPoésie AperÇu biographique |
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