Alphonse de Lamartine |
Je fus dès la mamelle un homme de douleur ; Mon cour, au lieu de sang, ne roule que des larmes, Ou plutôt, de ces pleurs Dieu m'a ravi les charmes, Il a pétrifié les larmes dans mon cour ; L'amertume est mon miel, la tristesse est ma joie ; Un instinct fraternel m'attache à tout cercueil, Nul chemin ne m'arrête, à moins que je n'y voie Quelque ruine ou quelque deuil ! Si je vois des champs verts qu'un ciel pur entretienne, De doux vallons s'ouvrant pour embrasser la mer, Je passe, et je me dis avec un rire amer : Place pour le bonheur, hélas ! et non la mienne ! Mon esprit n'a d'écho qu'où l'on entend gémir, Partout où l'on pleura mon âme a sa patrie, Une terre de cendre et de larmes pétrie Est le lit où j'aime à dormir. Demandez-vous pourquoi ? je ne pourrais le dire ; De cet abîme amer je remuerais les flots, Ma bouche, pour parler n'aurait que des sanglots, Mais déchirez ce cour si vous voulez y lire. La mort dans chaque fibre a planté le couteau, Ses battements ne sont que lentes agonies, Il n'est plein que de morts comme des gémonies ; Toute mon âme est un tombeau ! Or, quand je fus aux bords où le Christ voulut naître, Je ne demandai pas les lieux sanctifiés Où les pauvres jetaient les palmes sous ses pieds, Où le Verbe à sa voix se faisait reconnaître, Où l'Hosanna courait sur ses pas triomphants, Où sa main, qu'arrosaient les pleurs des saintes femmes, Essuyant de son front la sueur et les flammes, Caressait les petits enfants ; Conduisez-moi, mon père, à la place où l'on pleure ! À ce jardin funèbre où l'homme de salut, Abandonné du père, et des hommes, voulut Suer le sang et l'eau qu'on sue avant qu'on meure ; Laissez-moi seul, allez, j'y veux sentir aussi Ce qu'il tient de douleur dans une heure infinie. Homme de désespoir, mon culte est l'agonie, Mon autel à moi, c'est ici ! Il est aux pieds poudreux du jardin des Olives, Sous l'ombre des remparts d'où s'écroula Sion, Un heu d'où le soleil écarte tout rayon, Où le Cédron tari filtre entre ses deux rives ; Josaphat en sépulcre y creuse ses coteaux ; Au lieu d'herbe, la terre y germe des ruines, Et des vieux troncs minés les traînantes racines Fendent les pierres des tombeaux. Là, s'ouvre entre deux rocs la grotte ténébreuse Où l'homme de douleur vint savourer la mort, Quand réveillant trois fois l'amitié qui s'endort, Il dit à ses amis : Veillez, l'heure est affreuse ! La lèvre, en frémissant, croit encore étancher Sur le pavé sanglant les gouttes du calice, Et la moite sueur du fatal sacrifice Sue encore aux flancs du rocher. Le front dans mes deux mains, je m'assis sur la pierre, Pensant à ce qu'avait pensé ce front divin, Et repassant en moi, de leur source à leur fin, Ces larmes dont le cours a creusé ma carrière ; Je repris mes fardeaux et je les soulevai, Je comptai mes douleurs mort à mon, vie à vie, Puis, dans un songe enfin mon âme fut ravie. Quel rêve, grand Dieu ! je rêvai ! J'avais laissé non loin, sous l'aile maternelle, Ma fille, mon enfant, mon souci, mon trésor ; Son front à chaque été s'accomplissait encor ; Mais son âme avait l'âge où le ciel les rappelle, Son image de l'oil ne pouvait s'effacer, Partout à son rayon sa trace était suivie, Et sans se retourner pour me porter envie, Nul père ne la vit passer. C'était le seul débris de ma longue tempête, Seul fruit de tant de fleurs, seul vestige d'amour, Une larme au départ, un baiser au retour, Pour mes foyers errants une éternelle fête ; C'était sur ma fenêtre un rayon de soleil, Un oiseau gazouillant qui buvait sur ma bouche, Un souffle harmonieux la nuit près de ma couche, Une caresse à mon réveil ! C'était plus ; de ma mère, hélas ! c'était l'image, Son regard par ses yeux semblait me revenir, Par elle mon passé renaissait avenir, Mon bonheur n'avait fait que changer de visage. Sa voix était l'écho de dix ans de bonheur, Son pas dans la maison remplissait l'air de charmes, Son regard dans mes yeux faisait monter les larmes, Son sourire éclairait mon cour. Son front se nuançait à ma moindre pensée ; Toujours son bel oil bleu réfléchissait le mien, ; Je voyais mes soucis teindre et mouiller le sien, Comme dans une eau claire une ombre est retracée. Mais tout ce qui montait de son cour était doux, Et sa lèvre jamais n'avait un pli sévère Qu'en joignant ses deux mains dans les mains de sa mère Pour prier Dieu sur ses genoux ! Je rêvais qu'en ces lieux je l'avais amenée, Et que je la tenais belle sur mon genou, L'un de mes bras portant.ses pieds, l'autre son cou, Ma tête sur mon front tendrement inclinée ; Ce front se renversant sur le bras paternel, Secouait l'or bruni de ses tresses soyeuses, Ses dents blanches brillaient sous ses lèvres rieuses Qu'entr'ouvrait leur rire éternel ! Pour me darder son cour et pour puiser mon âme, Toujours vers moi, toujours ses regards se levaient, Et dans le doux rayon dont mes yeux la couvraient, Dieu seul peut mesurer ce qu'il brillait de flamme, Mes lèvres ne savaient d'amour où se poser, Elle les appelait comme un enfant qui joue, Et les faisait flotter de sa bouche à sa joue Qu'elle dérobait au baiser ! Et je disais à Dieu dans ce cour qu'elle enivre ; Mon Dieu ! tant que ces yeux luiront autour de moi, Je n'aurai que des chants et des grâces pour toi, Dans cette vie en fleurs c'est assez de revivre, Va ! donne-lui ma part de tes tons les plus doux, Effeuille sous mes pas ses jours en espérance, Prépare-lui sa couche, entr'ouvre-lui d'avance Les bras enchaînés d'un époux ! Et tout en m'enivrant de joie et de prière, Mes regards et mon cour ne s'apercevaient pas Que ce front devenait plus pesant sur mon bras, Que ces pieds me glaçaient les mains, comme la pierre, Julia ! Julia ! d'où vient que tu pâlis ? Pourquoi ce front mouillé, cette couleur qui change ? Parle-moi ! souris-moi ! Pas de ces jeux, mon ange ! Rouvre-moi tes yeux où je lis ! Mais le bleu du trépas cernait sa lèvre rose, Le sourire y mourait à peine commencé, Son souffle raccourci devenait plus pressé, Comme les battements d'une aile qui se pose ; L'oreille sur son cour j'attendais ses élans, Et quand le dernier souffle eut enlevé son âme, Mon cour mourut en moi comme un fruit que la femme Porte mort et froid dans ses flancs ! Et sur mes bras raidis, portant plus que ma vie, Tel qu'un homme qui marche après le coup mortel, Je me levai, debout je marchai vers l'autel Et j'étendis l'enfant sur la pierre attiédie, Et ma lèvre à ses yeux fermés vint se coller, Et ce front déjà marbre était tout tiède encore, Comme la place au nid d'où l'oiseau d'une aurore Vient à peine de s'envoler ! Et je sentis ainsi, dans une heure éternelle, Passer des mers d'angoisse et des siècles d'horreur, Et la douleur combla la place où fut mon cour, Et je dis à mon Dieu : Mon Dieu ! je n'avais qu'elle ! Tous mes amours s'étaient noyés dans cet amour, Elle avait remplacé ceux que la mon retranche, C'était l'unique fruit demeuré sur la branche Après les vents d'un mauvais jour. C'était le seul anneau de ma chaîne brisée, Le seul coin pur et bleu dans tout mon horizon, Pour que son nom sonnât plus doux dans la maison, D'un nom mélodieux nous l'avions baptisée. C'était mon univers, mon mouvement, mon bruit, La voix qui m'enchantait dans toutes mes demeures, Le charme ou le souci de mes yeux, de mes heures, Mon matin, mon soir et ma nuit ; Le miroir où mon cour s'aimait dans son image, Le plus pur de mes jours sur ce front arrêté, Un rayon permanent de ma félicité, Tous tes dons rassemblés, Seigneur, sur un visage ; Doux fardeau qu'à mon cou sa mère suspendait, Yeux où brillaient mes yeux, âme à mon sein ravie, Voix où vivrait ma voix, vie où vivait ma vie, Ciel vivant qui me regardait ! Eh bien ! prends ! assouvis, implacable justice, D'agonie et de mort ce besoin immortel ; Moi-même, je l'étends sur ton funèbre autel ; Si je l'ai tout vidé, brise enfin mon calice ! Ma fille ! mon enfant ! mon souffle ! la voilà ! La voilà ! j'ai coupé seulement ces deux tresses Dont elle m'enchaînait hier dans ses caresses, Et je n'ai gardé que cela !... Un sanglot m'étouffa, je m'éveillai ; la pierre Suintait sous mon corps d'une sueur de sang ; Ma main froide glaçait mon front en y passant ; L'horreur avait gelé deux pleurs sous ma paupière ; Je m'enfuis ; l'aigle au nid est moins prompt à courir. Des sanglots étouffés sortaient de ma demeure, L'amour seul suspendait pour moi sa dernière heure, Elle m'attendait pour mourir ! Maintenant, tout est mort dans ma maison aride, Deux yeux toujours pleurant sont toujours devant moi ; Je vais sans savoir où, j'attends sans savoir quoi ; Mes bras s'ouvrent à rien et se ferment à vide. Tous mes jours et mes nuits sont de même couleur, La prière en mon sein avec l'espoir est morte, Mais c'est Dieu qui t'écrase ; ô mon âme ! sois forte, Baise sa main sous la douleur ! |
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Alphonse de Lamartine (1790 - 1869) |
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Portrait de Alphonse de Lamartine | |||||||||
Biographie / OuvresAlphonse de Lamartine est né à Mâcon en 1790. Après une enfance passée à Milly, Lamartine voyage en Italie, puis se met au service de Louis XVIII. C'est à cette époque qu'il commence à composer de la poésie. Son premier ouvrage, Les Méditations poétiques, publié en 1820, reçoit un succès retentissant et il n'est pas exagéré d'affirmer que ce livre est le premier recueil romantique de la littératur ChronologieLamartine est né à Mâcon, tout à la fin de 1890 ou au commencement de 1891. Son grand-père avait exercé autrefois une charge dans la maison d'Orléans, et s'était ensuite retiré en province. La Révolution frappa sa famille comme toutes celles qui tenaient à l'ordre ancien par leur naissance et leurs opinions : les plus reculés souvenirs de M. de Lamartine le reportent à la maison d'arrêt où on le m |
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