Alphonse de Lamartine |
Que me fait le coteau, le toit, la vigne aride ? Que me ferait le ciel, si le ciel était vide ? Je ne vois en ces lieux que ceux qui n'y sont pas ! Pourquoi ramènes-tu mes regrets sur leur trace ? Des bonheurs disparus se rappeler la place, C'est rouvrir des cercueils pour revoir des trépas ! Le mur est gris, la tuile est rousse, L'hiver a rongé le ciment ; Des pierres disjointes la mousse Verdit l'humide fondement ; Les gouttières, que rien n'essuie, Laissent, en rigoles de suie, S'égoutter le ciel pluvieux, Traçant sur la vide demeure Ces noirs sillons par où l'on pleure, Que les veuves ont sous les yeux ; La porte où file l'araignée, Qui n'entend plus le doux accueil, Reste immobile et dédaignée Et ne tourne plus sur son seuil ; Les volets que le moineau souille, Détachés de leurs gonds de rouille, Battent nuit et jour le granit ; Les vitraux brisés par les grêles Livrent aux vieilles hirondelles Un libre passage à leur nid ! Leur gazouillement sur les dalles Couvertes de duvets flottants Est la seule voix de ces salles Pleines des silences du temps. De la solitaire demeure Une ombre lourde d'heure en heure Se détache sur le gazon : Et cette ombre, couchée et morte, Est la seule chose qui sorte Tout le jour de cette maison ! Efface ce séjour, ô Dieu ! de ma paupière, Ou rends-le-moi semblable à celui d'autrefois, Quand la maison vibrait comme un grand cour de pierre De tous ces cours joyeux qui battaient sous ses toits. A l'heure où la rosée au soleil s'évapore Tous ces volets fermés s'ouvraient à sa chaleur, Pour y laisser entrer, avec la tiède aurore, Les nocturnes parfums de nos vignes en fleur. On eût dit que ces murs respiraient comme un être Des pampres réjouis la jeune exhalaison ; La vie apparaissait rose, à chaque fenêtre, Sous les beaux traits d'enfants nichés dans la maison. Leurs blonds cheveux, épars au vent de la montagne, Les filles se passant leurs deux mains sur les yeux, Jetaient des cris de joie à l'écho des montagnes Ou sur leurs seins naissants croisaient leurs doigts pieux. La mère, de sa couche à ces doux bruits levée, Sur ces fronts inégaux se penchait tour à tour, Comme la poule heureuse assemble sa couvée, Leur apprenant les mots qui bénissent le jour. Moins de balbutiements sortent du nid sonore, Quand, au rayon d'été qui vient la réveiller, L'hirondelle au plafond qui les abrite encore, À ses petits sans plume apprend à gazouiller. Et les bruits du foyer que l'aube fait renaître, Les pas des serviteurs sur les degrés de bois, Les aboiements du chien qui voit sortir son maître, Le mendiant plaintif qui fait pleurer sa voix, Montaient avec le jour ; et, dans les intervalles, Sous des doigts de quinze ans répétant leur leçon, Les claviers résonnaient ainsi que des cigales Qui font tinter l'oreille au temps de la moisson ! III Puis ces bruits d'année en année Baissèrent d'une vie, hélas ! et d'une voix, Une fenêtre en deuil, à l'ombre condamnée, Se ferma sous le bord des toits. Printemps après printemps de belles fiancées Suivirent de chers ravisseurs, Et, par la mère en pleurs sur le seuil embrassées, Partirent en baisant leurs sours. Puis sortit un matin pour le champ où l'on pleure Le cercueil tardif de l'aïeul, Puis un autre, et puis deux, et puis dans la demeure Un vieillard morne resta seul ! Puis la maison glissa sur la pente rapide Où le temps entasse les jours ; Puis la porte à jamais se ferma sur le vide, Et l'ortie envahit les cours !... IV Ô famille ! ô mystère ! ô cour de la nature ! Où l'amour dilaté dans toute créature Se resserre en foyer pour couver des berceaux, Goutte de sang puisée à l'artère du monde Qui court de cour en cour toujours chaude et féconde, Et qui se ramifie en éternels ruisseaux ! Chaleur du sein de mère où Dieu nous fit éclore, Qui du duvet natal nous enveloppe encore Quand le vent d'hiver siffle à la place des lits, Arrière-goût du lait dont la femme nous sèvre, Qui même en tarissant nous embaume la lèvre ; Etreinte de deux bras par l'amour amollis ! Premier rayon du ciel vu dans des yeux de femmes, Premier foyer d'une âme où s'allument nos âmes, Premiers bruits de baisers au cour retentissants ! Adieux, retours, départs pour de lointaines rives, Mémoire qui revient pendant les nuits pensives À ce foyer des cours, univers des absents ! Ah ! que tout fils dise anathème À l'insensé qui vous blasphème ! Rêveur du groupe universel, Qu'il embrasse, au lieu de sa mère, Sa froide et stoïque chimère Qui n'a ni cour, ni lait, ni sel ! Du foyer proscrit volontaire, Qu'il cherche en vain sur cette terre Un père au visage attendri ; Que tout foyer lui soit de glace, Et qu'il change à jamais de place Sans qu'aucun lieu lui jette un cri ! Envieux du champ de famille, Que, pareil au frelon qui pille L'humble ruche adossée au mur, Il maudisse la loi divine Qui donne un sol à la racine Pour multiplier le fruit mûr ! Que sur l'herbe des cimetières Il foule, indifférent, les pierres Sans savoir laquelle prier ! Qu'il réponde au nom qui le nomme Sans savoir s'il est né d'un homme Ou s'il est fils d'un meurtrier !... Dieu ! qui révèle aux cours mieux qu'à l'intelligence ! Resserre autour de nous, faits de joie et de pleurs, Ces groupes rétrécis où de ta providence Dans la chaleur du sang nous sentons les chaleurs ; Où, sous la porte bien close, La jeune nichée éclose Des saintetés de l'amour Passe du lait de la mère Au pain savoureux qu'un père Pétrit des sueurs du jour ; Où ces beaux fronts de famille, Penchés sur l'âtre et l'aiguille, Prolongent leurs soirs pieux : 0 soirs ! ô douces veillées Dont les images mouillées Flottent dans l'eau de nos yeux ! Oui, je vous revois tous, et toutes, âmes mortes ! Ô chers essaims groupés aux fenêtres, aux portes ! Les bras tendus vers vous, je crois vous ressaisir, Comme on croit dans les eaux embrasser des visages Dont le miroir trompeur réfléchit les images, Mais glace le baiser aux lèvres du désir. Toi qui fis la mémoire, est-ce pour qu'on oublie ?... Non, c'est pour rendre au temps à la fin tous ses jours, Pour faire confluer, là-bas, en un seul cours, Le passé, l'avenir, ces deux moitiés de vie Dont l'une dit jamais et l'autre dit toujours. Ce passé, doux Éden dont notre âme est sortie, De notre éternité ne fait-il pas partie ? Où le temps a cessé tout n'est-il pas présent ? Dans l'immuable sein qui contiendra nos âmes Ne rejoindrons-nous pas tout ce que nous aimâmes Au foyer qui n'a plus d'absent ? Toi qui formas ces nids rembourrés de tendresses Où la nichée humaine est chaude de caresses, Est-ce pour en faire un cercueil ? N'as-tu pas dans un pan de tes globes sans nombre Une pente au soleil, une vallée à l'ombre Pour y rebâtir ce doux seuil ? Non plus grand, non plus beau, mais pareil, mais le même, Où l'instinct serre un cour contre les cours qu'il aime, Où le chaume et la tuile abritent tout l'essaim, Où le père gouverne, où la mère aime et prie, Où dans ses petits-fils l'aïeule est réjouie De voir multiplier son sein ! Toi qui permets, ô père ! aux pauvres hirondelles De fuir sous d'autres deux la saison des frimas, N'as-tu donc pas aussi pour tes petits sans ailes D'autres toits préparés dans tes divins climats ? 0 douce Providence ! ô mère de famille Dont l'immense foyer de tant d'enfants fourmille, Et qui les vois pleurer souriante au milieu, Souviens-toi, cour du ciel, que la terre est ta fille Et que l'homme est parent de Dieu ! |
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Alphonse de Lamartine (1790 - 1869) |
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Portrait de Alphonse de Lamartine | |||||||||
Biographie / OuvresAlphonse de Lamartine est né à Mâcon en 1790. Après une enfance passée à Milly, Lamartine voyage en Italie, puis se met au service de Louis XVIII. C'est à cette époque qu'il commence à composer de la poésie. Son premier ouvrage, Les Méditations poétiques, publié en 1820, reçoit un succès retentissant et il n'est pas exagéré d'affirmer que ce livre est le premier recueil romantique de la littératur ChronologieLamartine est né à Mâcon, tout à la fin de 1890 ou au commencement de 1891. Son grand-père avait exercé autrefois une charge dans la maison d'Orléans, et s'était ensuite retiré en province. La Révolution frappa sa famille comme toutes celles qui tenaient à l'ordre ancien par leur naissance et leurs opinions : les plus reculés souvenirs de M. de Lamartine le reportent à la maison d'arrêt où on le m |
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