Alphonse de Lamartine |
Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie ? Dans son brillant exil mon cour en a frémi ; Il résonne de loin dans mon âme attendrie, Comme les pas connus ou la voix d'un ami. Montagnes que voilait le brouillard de l'automne, Vallons que tapissait le givre du matin, Saules dont l'émondeur effeuillait la couronne, Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain, Murs noircis par les ans, coteaux, sentier rapide, Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour Attendaient goutte à goutte une eau rare et limpide, Et, leur urne à la main, s'entretenaient du jour, Chaumière où du foyer étincelait la flamme, Toit que le pèlerin aimait à voir fumer, Objets inanimés, avez-vous donc une âme Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? J'ai vu des deux d'azur, où la nuit est sans voiles, Dorés jusqu'au matin sous les pieds des étoiles, Arrondir sur mon front dans leur arc infini Leur dôme de cristal qu'aucun vent n'a terni ! J'ai vu des monts voilés de citrons et d'olives Réfléchir dans les eaux leurs ombres fugitives, Et dans leurs frais vallons, au souffle du zéphyr, Bercer sur l'épi mûr le cep prêt à mûrir ; Sur des bords où les mers ont à peine un murmure, J'ai vu des flots brillants l'onduleuse ceinture Presser et relâcher dans l'azur de ses plis De leurs caps dentelés les contours assouplis, S'étendre dans le golfe en nappes de lumière, Blanchir l'écueil fumant de gerbes de poussière, Porter dans le lointain d'un occident vermeil Des îles qui semblaient le lit d'or du soleil, Ou, s'ouvrant devant moi sans rideau, sans limite, Me montrer l'infini que le mystère habite ! J'ai vu ces fiers sommets, pyramides des airs, Où l'été repliait le manteau des hivers, Jusqu'au sein des vallons descendant par étages, Entrecouper leurs flancs de hameaux et d'ombrages, De pics et de rochers ici se hérisser, En pentes de gazon plus loin fuir et glisser, Lancer en arcs fumants, avec un bruit de foudre, Leurs torrents en écume et leurs fleuves en poudre, Sur leurs flancs éclairés, obscurcis tour à tour, Former des vagues d'ombre et des îles de jour, Creuser de frais vallons que la pensée adore, Remonter, redescendre, et remonter encore, Puis les derniers degrés de leurs vastes remparts, À travers les sapins et les chênes épars Dans le miroir des lacs qui dorment sous leur ombre Jeter leurs reflets verts ou leur image sombre, Et sur le tiède azur de ces limpides eaux Faire onduler leur neige et flotter leurs coteaux ! J'ai visité ces bords et ce divin asile Qu'a choisis pour dormir l'ombre du doux Virgile, Ces champs que la Sibylle à ses yeux déroula, Et Cume et l'Elysée ; et mon cour n'est pas là !... Mais il est sur la terre une montagne aride Qui ne porte en ses flancs ni bois ni flot limpide, Dont par l'effort des ans l'humble sommet miné, Et sous son propre poids jour par jour incliné, Dépouillé de son sol fuyant dans les ravines, Garde à peine un buis sec qui montre ses racines, Et se couvre partout de rocs prêts à crouler Que sous son pied léger le chevreau fait rouler. Ces débris par leur chute ont formé d'âge en âge Un coteau qui décroît et, d'étage en étage, Porte, à l'abri des murs dont ils sont étayés, Quelques avares champs de nos sueurs payés, Quelques ceps dont les bras, cherchant en vain l'érable, Serpentent sur la terre ou rampent sur le sable, Quelques buissons de ronce, où l'enfant des hameaux Cueille un fruit oublié qu'il dispute aux oiseaux, Où la maigre brebis des chaumières voisines Broute en laissant sa laine en tribut aux épines ; Lieux que ni le doux bruit des eaux pendant l'été, Ni le frémissement du feuillage agité, Ni l'hymne aérien du rossignol qui veille, Ne rappellent au cour, n'enchantent pour l'oreille ; Mais que, sous les rayons d'un ciel toujours d'airain, La cigale assourdit de son cri souterrain. Il est dans ces déserts un toit rustique et sombre Que la montagne seule abrite de son ombre, Et dont les murs, battus par la pluie et les vents, Portent leur âge écrit sous la mousse des ans. Sur le seuil désuni de trois marches de pierre Le hasard a planté les racines d'un lierre Qui, redoublant cent fois ses nouds entrelacés, Cache l'affront du temps sous ses bras élancés, Et, recourbant en arc sa volute rustique, Fait le seul ornement du champêtre portique. Un jardin qui descend au revers d'un coteau Y présente au couchant son sable altéré d'eau ; La pierre sans ciment, que l'hiver a noircie, En borne tristement l'enceinte rétrécie ; La terre, que la bêche ouvre à chaque saison, Y montre à nu son sein sans ombre et sans gazon ; Ni ruisseau sous des bois, ni fraîcheur, ni murmure ; Seulement sept tilleuls par le soc oubliés, Protégeant un peu d'herbe étendue à leurs pieds, Y versent dans l'automne une ombre tiède et rare, D'autant plus douce au front sous un ciel plus avare ; Arbres dont le sommeil et des songes si beaux Dans mon heureuse enfance habitaient les rameaux ! Dans le champêtre enclos qui soupire après l'onde, Un puits dans le rocher cache son eau profonde, Où le vieillard qui puise, après de longs efforts. Dépose en gémissant son urne sur les bords ; Une aire où le fléau sur l'argile étendue Bat à coups cadencés la gerbe répandue, Où la blanche colombe et l'humble passereau Se disputent l'épi qu'oublia le râteau : Et sur la terre épars des instruments rustiques, Des jougs rompus, des chars dormant sous les portiques, Des essieux dont l'ornière a brisé les rayons, Et des socs émoussés qu'ont usés les sillons. Rien n'y console l'oil de sa prison stérile, Ni les dômes dorés d'une superbe ville, Ni le chemin poudreux, ni le fleuve lointain, Ni les toits blanchissants aux clartés du matin ; Seulement, répandus de distance en distance, De sauvages abris qu'habite l'indigence, Le long d'étroits sentiers en désordre semés, Montrent leur toit de chaume et leurs murs enfumés, Où le vieillard, assis au seuil de sa demeure, Dans son berceau de jonc endort l'enfant qui pleure ; Enfin un sol sans ombre et des cieux sans couleur, Et des vallons sans onde ! - Et c'est là qu'est mon cour ! Ce sont là les séjours, les sites, les rivages Dont mon âme attendrie évoque les images, Et dont pendant les nuits mes songes les plus beaux Pour enchanter mes yeux composent leurs tableaux ! Là chaque heure du jour, chaque aspect des montagnes, Chaque son qui le soir s'élève des campagnes, Chaque mois qui revient, comme un pas des saisons, Reverdir ou faner les bois ou les gazons, La lune qui décroît ou s'arrondit dans l'ombre, L'étoile qui gravit sur la colline sombre, Les troupeaux des hauts lieux chassés par les frimas. Des coteaux aux vallons descendant pas à pas, Le vent, l'épine en fleurs, l'herbe verte ou flétrie, Le soc dans le sillon, l'onde dans la prairie, Tout m'y parle une langue aux intimes accents Dont les mots, entendus dans l'âme et dans les sens, Sont des bruits, des parfums, des foudres, des orages, Des rochers, des torrents, et ces douces images, Et ces vieux souvenirs dormant au fond de nous, Qu'un site nous conserve et qu'il nous rend plus doux. Là mon cour en tout lieu se retrouve lui-même ! Tout s'y souvient de moi, tout m'y connaît, tout m'aime ! Mon oil trouve un ami dans tout cet horizon. Chaque arbre a son histoire et chaque pierre un nom. Qu'importe que ce nom, comme Thèbe ou Palmire, Ne nous rappelle pas les fastes d'un empire, Le sang humain versé pour le choix des tyrans, Ou ces fléaux de Dieu que l'homme appelle grands ? Ce site où la pensée a rattaché sa trame, Ces lieux encor tout pleins des fastes de notre âme, Sont aussi grands pour nous que ces champs du destin Où naquit, où tomba quelque empire incertain : Rien n'est vil ! rien n'est grand ! l'âme en est la mesure ! Un cour palpite au nom de quelque humble masure, Et sous les monuments des héros et des dieux Le pasteur passe et siffle en détournant les yeux ! Voilà le banc rustique où s'asseyait mon père, La salle où résonnait sa voix mâle et sévère, Quand les pasteurs assis sur leurs socs renversés Lui comptaient les sillons par chaque heure tracés. Ou qu'encor palpitant des scènes de sa gloire. De l'échafaud des rois il nous disait l'histoire, Et, plein du grand combat qu'il avait combattu, En racontant sa vie enseignait la vertu ! Voilà la place vide où ma mère à toute heure Au plus léger soupir sortait de sa demeure, Et, nous faisant porter ou la laine ou le pain, Vêtissait l'indigence ou nourrissait la faim ; Voilà les toits de chaume où sa main attentive Versait sur la blessure ou le miel ou l'olive, Ouvrait près du chevet des vieillards expirants Ce livre où l'espérance est permise aux mourants, Recueillait leurs soupirs sur leur bouche oppressée, Faisait tourner vers Dieu leur dernière pensée, Et tenant par la main les plus jeunes de nous, À la veuve, à l'enfant, qui tombaient à genoux, Disait, en essuyant les pleurs de leurs paupières : Je vous donne un peu d'or, rendez-leur vos prières ! Voilà le seuil, à l'ombre, où son pied nous berçait, La branche du figuier que sa main abaissait, Voici l'étroit sentier où, quand l'airain sonore Dans le temple lointain vibrait avec l'aurore, Nous montions sur sa trace à l'autel du Seigneur Offrir deux purs encens, innocence et bonheur ! C'est ici que sa voix pieuse et solennelle Nous expliquait un Dieu que nous sentions en elle, Et nous montrant l'épi dans son germe enfermé, La grappe distillant son breuvage embaumé, La génisse en lait pur changeant le suc des plantes, Le rocher qui s'entr'ouvre aux sources ruisselantes, La laine des brebis dérobée aux rameaux Servant à tapisser les doux nids des oiseaux, Et le soleil exact à ses douze demeures, Partageant aux climats les saisons et les heures, Et ces astres des nuits que Dieu seul peut compter, Mondes où la pensée ose à peine monter, Nous enseignait la foi par la reconnaissance, Et faisait admirer à notre simple enfance Comment l'astre et l'insecte invisible à nos yeux Avaient, ainsi que nous, leur père dans les cieux ! Ces bruyères, ces champs, ces vignes, ces prairies, Ont tous leurs souvenirs et leurs ombres chéries. Là, mes sours folâtraient, et le vent dans leurs jeux Les suivait en jouant avec leurs blonds cheveux ! Là, guidant les bergers aux sommets des collines, J'allumais des bûchers de bois mort et d'épines, Et mes yeux, suspendus aux flammes du foyer, Passaient heure après heure à les voir ondoyer. Là, contre la fureur de l'aquilon rapide Le saule caverneux nous prétait son tronc vide, Et j'écoutais siffler dans son feuillage mort Des brises dont mon âme a retenu l'accord. Voilà le peuplier qui, penché sur l'abîme, Dans la saison des nids nous berçait sur sa cime, Le ruisseau dans les prés dont les dormantes eaux Submergeaient lentement nos barques de roseaux, Le chêne, le rocher, le moulin monotone, Et le mur au soleil où, dans les jours d'automne, Je venais sur la pierre, assis près des vieillards, Suivre le jour qui meurt de mes derniers regards ! Tout est encor debout ; tout renaît à sa place : De nos pas sur le sable on suit encor la trace ; Rien ne manque à ces lieux qu'un cour pour en jouir, Mais, hélas ! l'heure baisse et va s'évanouir. La vie a dispersé, comme l'épi sur l'aire, Loin du champ paternel les enfants et la mère, Et ce foyer chéri ressemble aux nids déserts D'où l'hirondelle a fui pendant de longs hivers ! Déjà l'herbe qui croît sur les dalles antiques Efface autour des murs les sentiers domestiques, Ht le lierre, flottant comme un manteau de deuil, Couvre à demi la porte et rampe sur le seuil ; Bientôt peut-être !... écarte, ô mon Dieu ! ce présage ! Bientôt un étranger, inconnu du village, Viendra, l'or à la main, s'emparer de ces lieux Qu'habite encor pour nous l'ombre de nos aïeux, Et d'où nos souvenirs des berceaux et des tombes S'enfuiront à sa voix, comme un nid de colombes Dont la hache a fauché l'arbre dans les forêts, Et qui ne savent plus où se poser après ! Ne permets pas, Seigneur, ce deuil et cet outrage ! Ne souffre pas, mon Dieu, que notre humble héritage Passe de mains en mains troqué contre un vil prix, Comme le toit du vice ou le champ des proscrits ! Qu'un avide étranger vienne d'un pied superbe Fouler l'humble sillon de nos berceaux sur l'herbe, Dépouiller l'orphelin, grossir, compter son or Aux lieux où l'indigence avait seule un trésor, Et blasphémer ton nom sous ces mêmes portiques Où ma mère à nos voix enseignait tes cantiques ! Ah ! que plutôt cent fois, aux vents abandonné, Le toit pende en lambeaux sur le mur incliné ; Que les fleurs du tombeau, les mauves, les épines, Sur les parvis brisés germent dans les ruines ! Que le lézard dormant s'y réchauffe au soleil, Que Philomèle y chante aux heures du sommeil, Que l'humble passereau, les colombes fidèles, Y rassemblent en paix leurs petits sous leurs ailes, Et que l'oiseau du ciel vienne bâtir son nid Aux lieux où l'innocence est autrefois son lit ! Ah ! si le nombre écrit sous l'oil des destinées Jusqu'aux cheveux blanchis prolonge mes années, Puissé-je, heureux vieillard, y voir baisser mes jours Parmi ces monuments de mes simples amours ! Et quand ces toits bénis et ces tristes décombres Ne seront plus pour moi peuplés que par des ombres, Y retrouver au moins dans les noms, dans les lieux, Tant d'êtres adorés disparus de mes yeux ! Et vous, qui survivrez à ma cendre glacée, Si vous voulez charmer ma dernière pensée, Un jour, élevez-moi... ! non ! ne m'élevez rien ! Mais près des lieux où dort l'humble espoir du chrétien, Creusez-moi dans ces champs la couche que j'envie Et ce dernier sillon où germe une autre vie ! Etendez sur ma tête un lit d'herbes des champs Que l'agneau du hameau broute encore au printemps, Où l'oiseau, dont mes sours ont peuplé ces asiles, Vienne aimer et chanter durant mes nuits tranquilles ; Là, pour marquer la place où vous m'allez coucher, Roulez de la montagne un fragment de rocher ; Que nul ciseau surtout ne le taille et n'efface La mousse des vieux jours qui brunit sa surface, Et d'hiver en hiver incrustée à ses flancs, Donne en lettre vivante une date à ses ans ! Point de siècle ou de nom sur cette agreste page ! Devant l'éternité tout siècle est du même âge, Et celui dont la voix réveille le trépas A défaut d'un vain nom ne nous oubliera pas ! Là, sous des cieux connus, sous les collines sombres, Qui couvrirent jadis mon berceau de leurs ombres, Plus près du sol natal, de l'air et du soleil, D'un sommeil plus léger j'attendrai le réveil ! Là, ma cendre, mêlée à la terre qui m'aime, Retrouvera la vie avant mon esprit même, Verdira dans les prés, fleurira dans les fleurs, Boira des nuits d'été les parfums et les pleurs ; Et, quand du jour sans soir la première étincelle Viendra m'y réveiller pour l'aurore éternelle, En ouvrant mes regards je reverrai des lieux Adorés de mon cour et connus de mes yeux, Les pierres du hameau, le clocher, la montagne, Le lit sec du torrent et l'aride campagne ; Et, rassemblant de l'oil tous les êtres chéris Dont l'ombre près de moi dormait sous ces débris, Avec des sours, un père et l'âme d'une mère, Ne laissant plus de cendre en dépôt à la terre, Comme le passager qui des vagues descend Jette encore au navire un oil reconnaissant, Nos voix diront ensemble à ces lieux pleins de charmes L'adieu, le seul adieu qui n'aura point de larmes ! |
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Alphonse de Lamartine (1790 - 1869) |
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Portrait de Alphonse de Lamartine | |||||||||
Biographie / OuvresAlphonse de Lamartine est né à Mâcon en 1790. Après une enfance passée à Milly, Lamartine voyage en Italie, puis se met au service de Louis XVIII. C'est à cette époque qu'il commence à composer de la poésie. Son premier ouvrage, Les Méditations poétiques, publié en 1820, reçoit un succès retentissant et il n'est pas exagéré d'affirmer que ce livre est le premier recueil romantique de la littératur ChronologieLamartine est né à Mâcon, tout à la fin de 1890 ou au commencement de 1891. Son grand-père avait exercé autrefois une charge dans la maison d'Orléans, et s'était ensuite retiré en province. La Révolution frappa sa famille comme toutes celles qui tenaient à l'ordre ancien par leur naissance et leurs opinions : les plus reculés souvenirs de M. de Lamartine le reportent à la maison d'arrêt où on le m |
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