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DU MARBRE DU PARNASSE AU «SOLUBLE DANS L'AIR»






On ne cessera de répéter que l'histoire de la poésie ne se découpe pas en tranches chronologiques. Chevauchements et imprégnations y sont la règle, sans parer des éruptions météoriques et des contre-courants. Si Baudelaire a travaillé fort longtemps aux Fleurs du Mal, elles ne paraissent en librairie qu'en 1857, c'est-à-dire vingt-cinq ans avant que Hugo ait terminé La Légende des siècles et cinq ans après que Leconte de Lisle (1818-1894), le plus illustre représentant de l'Ecole parnassienne, ait publié Les Poèmes antiques. Arthur Rimbaud (1854-1891) qui, naguère, affirmait que « les bons poètes », ce sont « les bons Parnassiens », publie Une saison en enfer, appelée à devenir la charte de la poésie du XXe siècle, l'année même (1873) où Leconte de Lisle donne ses Poèmes barbares, que la postérité recouvrira de poussière. Qu'on ne s'étonne donc pas de trouver Baudelaire an sommaire du premier Parnasse, en 1866, côte à côte avec Leconte de Lisle, Sully-Prudhomme, Hérédia, Verlaine et Mallarmé...



Que se proposait le Parnasse ? d'assurer la primauté de l'art sur son contenu, d'en finir avec l'éloquence et l'effusion, mais aussi de sacrifier à une religion toute neuve alors, celle de la science, sans négliger les incursions dans l'histoire des civilisations et des croyances. Leconte de Lisle, né dans l'île de la Réunion et qui ne s'inspirera pas peu des poèmes de son compatriote Auguste Lacaus-sade (1817-1897), est le plus marmoréen de ces poètes qui se refusent d'être émus. Tout un bestiaire exotique et tout un Panthéon grec, hindou, égyptien se fige dans ses vers majestueux et froids. On comprend que Baudelaire ait rapidement pris ses distances avec ce maître compassé et que Verlaine et Mallarmé aient fait de même. Un mérite ne peut être dénié à Leconte de Lisle, celui d'avoir porté à son comble la dignité de la poésie. Dommage qu'il l'ait saignée à blanc en la forçant à une pose intemporelle :



Ah ! tout cela, jeunesse, amour, joie et pensée.

Chants de la mer et des forêts, souffles du ciel

Emportant à plein vol l'Espérance insensée.

Qu'est-ce que tout cela qui n'est pas éternel ?



Raffinant jusqu'à la ciselure le métier parfait de leur aine, un Théodore de Banville (1823-1891), auteur d'acrobatiques Odes funambulesques, et un José-Maria de Hérédia (1842-1905) n'ont pas davantage enrichi la sensibilité poétique française. Encore y a-t-il parfois, dans l'ouvre unique du second, Les Trophées, une sourde fièvre et un mouvement communicatif :



... Et le NU, à travers le delta noir qu'il fend.

Vers Bubaste et Zais rouler son onde grasse.



Un Louis Bouilhet (1822-1869), un Léon Dierx (1838-1912) et un Jean Lahor (1840-1909) nous touchent pourtant davantage, dans la mesure même où ils se laissent aller, le premier à invectiver contre la femme :



Tu n'as jamais été dans tes jours les plus rares

Qu'un banal instrument sous mon archet vainqueur... . le second, à dire, sur un ton élégiaque,



La séculaire angoisse en notre âme assouvie... le troisième en imprimant une touche humainement désenchantée au monologue des dieux.



En revanche, Sully-Prudliomme (1839-1907) ne s'arrache à son scieotifiame moralisateur que pour tomber dans des futilités sentimentales dont le trop fameux Vase brisé est l'exemple. Mieux vaut, à tout prendre, tomber comme François Coppée (1842-1908) dans une description familière - qui ne manque, an demeurant, ni de couleur ni d'émotion - de l'épicier de Montrouge ou de l'employé aux chemins de fer.

Mais avec la démission de Coppée, qu'un Germain Nouveau (1851-1920) s'amusera fort à pasticher entre deux poèmes dignes de Rimbaud, nous sommes tout à fait sortis du Parnasse.

Même quand il se croyait parnassien, Paul Verlaine (1844-1896) ne l'était guère. Ciseler « les mots comme des coupes » et faire « des vers émus, très froidement » n'était point dans sa nature subtile, féminine et fiévreuse. Les Poèmes saturniens, avec lesquels il entre en poésie l'année même (1866) où il a collaboré au Parnasse, et Les Fêtes galantes (1869) le montrent radicalement opposé à l'esthétique amidonnée de Leconte de Liste et de ses émules. Tout y est mélancolie, demi-teinte, musique douce, indécision de l'âme. « Verlaine ? un ongle de Hugo ! » dira Max Jacob. Faisons ici la part de l'excès et nous admettrons que Verlaine prolonge Hugo - et le Romantisme - de quelques très fines arborescences, développées avec un art exquis et qui, en outre, ne craignent pas de faire implicitement référence à Villon :



Tout suffocant

Et blême, quand

Sonne l'heure.

Je me souviens

Des jours anciens

Et je pleure.



Rien d'étonnant à ce que de petits vers comme ceux-là aient eu et continuent d'avoir l'oreille - et le coeur - d'un peuple qui répugne aux grands éclats et aux fumées pythiques du langage. « Verlaine ? dira encore Max Jacob : le type du poète français » et il ajoutera : « une poésie très intérieure et servie par un excellent verbe extérieur, une langue truculente, sans excessivité, et une syntaxe variée ». Luc Decaunes rappelle qu'un critique, voulant accabler Lamartine, traita ses poèmes de « romances sans paroles ». Verlaine avait-il eu connaissance de ce verdict ? C'est en tout cas dans ses Romances sans paroles (1874) qu'il est au plus près de ce qu'il cherche : une musique de mots si subtilement agencée que ses papillotements, ses fondus et ses silences nous en disent plus que les mots eux-mêmes. A la limite, on peut dire que les êtres de chair et les choses réelles que Verlaine convie dans ses poèmes les moins « rêvés » - ceux de Sagesse (1891) par exemple - ne sont guère moins fantomatiques que les êtres et les choses d'autrefois (un autrefois Louis XV, un monde gracieux en train de se corromprE) qu'il se plaît à dessiner dans ses Fêtes galantes. Tout cela, vif ou mort, la même mélodie feutrée le retient à peine de tomber en poudre et de devenir « soluble dans l'air ». Cette morbidité, on peut, certes, en voir l'origine littéraire chez Baudelaire. Mais de celui-ci, l'auteur de Jadis et naguère (1884) n'a reçu en héritage ni le dandysme ni l'esprit critique. Il a, en revanche, fait une rencontre brûlante, celle de l'adolescent Rimbaud, et, la contagion du génie aidant, il est devenu tout autre :



Or, le plus beau d'entre tous ces mauvais anges

Avait seize ans sous sa couronne de fleurs.

Les bras croisés sur les colliers et les franges

Il rêve, l'oil plein de flammes et de pleurs.



Ce poème en vers de onze pieds (« préfère l'impair ! ») n'est pas seul à témoigner de l'espèce d'échauffement lyrique auquel Verlaine est parvenu pendant la période la plus tumultueuse (1871-1873) de ses amours avec Rimbaud. Sa vraie voix n'est pas là, pourtant, mais dans La Bonne Chanson de 1870, celle de ses amours avec Mathilde. Rien qu'en laissant aller son cour à la rencontre de la femme et de la nature, inextricablement mêlées, Verlaine trouve des accents, à la fois classiques et neufs, qui ne sauraient périr :



Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches

Et puis voici mon cour qui ne bat que pour vous...

J'arrive tout couvert encore de rosée...



On l'aime moins quand il affirme : « moi, je vois la vie en rouge » ; encore moins dans ses poèmes de la fin où, s'il a plus que jamais la maîtrise de sa langue, il ne s'en sert guère que pour des gaudrioles scabreuses sans réel intérêt ; on lui sait gré d'avoir secoué le carcan de la rime, « ce bijou d'un sou » ; on reconnaît une force d'expression certaine à ses effusions mariales de Sagesse :



L'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable et l'on ne peut, enfin, lui contester d'avoir été l'un des phares les plus sûrs du Symbolisme.



Il est bon toutefois de répéter ce qu'il disait de ce mouvement, dont l'acte de naissance est un article de Jean Moréas paru le 18 septembre 1886 dans Le Figaro : « Symbolisme ? Connais pas ! Ce doit être un mot allemand. » En vérité, le mouvement en question ne fit que cristalliser nombre d'aspirations mal définies dont les autres phares du Symbolisme - Rimbaud, Lautréamont, Nouveau, Cros. Corbière et Mallarmé - suggéraient l'orientation plutôt que la nature. Le romantisme allemand, la philosophie de Hegel et de Scho-penhauer, la musique de Wagner, Swinburne et les préraphaélites anglais ont pareillement influencé les symbolistes français. Il faut aussi songer à leur instinctive opposition à l'évolution de la société vers un rationalisme de plus en plus abstrait. Ce que recouvre le mot « symbolisme » est, au demeurant, assez vague dans leur esprit. Aussi bien, comme le dira Mircéa Eliade, " rares sont les phénomènes qui n'impliquent pas un certain symbolisme . et si le Symbolisme « fut le trait distinctif des premiers signes de l'humanité >, on ne voit point que les poètes symbolistes soient allés plus avant et plus profond dans la pratique, confondant le plus souvent l'allégorie, qui est du ressort de l'esthétique, et le symbole proprement dit, dont la clé n'appartient qu'aux initiés.



Arthur Rimbaud (1854-1891) fut-il détenteur et des symboles et de leurs clés ? « J'ai trouvé le système », dit-il, et cela peut aussi bien s'appliquer à une méthode d'écriture qui participerait à la fois de l'automatisme, du collage et de la référence non explicite à des faits personnels ou des écrits de rencontre, qu'à une secrète conception existentielle et métaphysique, étrangère à son temps et à son milieu. On a dit, et c'est vrai, qu'il avait à ses débuts, emprunté à Hugo (mais quel poète du xixe n'a pas emprunté à Hugo ?). Son admiration pour Baudelaire est par ailleurs attestée dans une lettre de mai 1871 : « le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu ». On a facilement trouvé dans les illustrations du Journal des Voyages quelques ébauches de l'imagerie hallucinée du Bateau ivre :



Comme je descendais des fleuves impassibles...

Je courus ! Et les Péninsules démarrées

N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants et l'on a pu déceler le point de départ d'un poème aussi céleste que Michel et Christine dans un vaudeville de Scribe. On n'a pas pour autant expbqué que, dès sa seizième année, l'enfant de Charleville ait pu, avec l'autorité désinvolte d'un maître, produire des poèmes « classiques » où s'additionnent toutes les conquêtes de la poésie antérieure, ceux-là même qu'il envoie ou apporte à Verlaine, en 1871, soit, pour nous en tenir aux plus beaux, outre Le Bateau ivre : Les Effarés, Roman, Soleil et chair, Le Dormeur du val, le verlainien Sensation :



Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien.

Par la Nature, - heureux comme avec une femme. et l'extraordinaire sonnet des Voyelles :



A noir, E blanc, I rouge, U vert, 0 bleu, voyelles...



On n'a pas davantage expliqué, dans Les Illuminations (1886), le pouvoir du mot « Wasserfall » préféré à « chute d'eau », la c cloche de feu rose » qui « sonne dans les nuages », l'idée qu'aux différentes clés musicales le poète puisse ajouter « la clé de l'amour », pour ne rien dire de la présence, parmi ces poèmes en prose, parfois réduits à quelques Phrases, composés entre 1871 et 1873, des deux premiers poèmes en vers libres - Marine et Mouvement - qu'on ait écrits en France (1). Même si, dans Une saison en enfer (1873), le seul de ses livres qui sera imprimé de son vivant (2), Rimbaud définit ainsi son « alchimie du verbe » : « je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens », nous restons encore incapables d'analyser sa fascinante expérience. Aussi bien celle-ci a-t-elle donné lieu à des interprétations, voire à des utilisations fort diverses. C'est à la lecture de Rimbaud que Paul Claudel devra sa conversion ; Daniel-Rops christianisera de même cette « beauté du diable » qui écrivait « merde à Dieu » sur les murs de Charleville ; Rolland de Renéville, à partir du « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens », dont Rimbaud recommandait la pratique en mai 1871 et de ses références à des lectures orientales, voit en lui une sorte de mystique hindou mâtiné de derviche tourneur ; la participation, non prouvée au demeurant, de Rimbaud à la Commune et, flagrante, son adhésion à celle-ci, dont les héroïques feux et flammes colorent Les Mains de Jeanne-Marie, permettent enfin à d'aucuns de le tenir pour un poète révolutionnaire au sens pob-tique du terme (1).

Plus juste est de voir en lui, avec Henry Miller, un « Colomb de la Jeunesse, qui élargit les limites de ce domaine, encore mal exploré ». A cet adolescent qui, en trois ans, a « épuisé l'art de générations entières » et garde plusieurs générations d'avance sur la nôtre, il suffit des quelques images édéniques qu'il a arrachées à sa propre Saison en enfer pour entretenir en nous l'espoir d'une vie qui ne sera plus « une farce à mener par tous ». Pour Miller, « on doit à sa venue que ceux d'entre nous qui sont encore capables de sensibilité et de concevoir le futur, ont été transformés en flèches de désir pour Vautre rive ».

Le « j'attende Dieu avec gourmandise » murmuré par Rimbaud entre deux blasphèmes et le « c'était mal » dont il qualifie son ouvre, au seuil de la mort, dix-huit ans après en avoir tracé la dernière ligne pour aller en quelque sorte la vivre dans la fournaise du réel, se contredisent moins qu'ils ne suggèrent les ambitions spirituelles de la poésie moderne - en contradiction avec le strict caractère o ontologique » qu'un Jacques Maritain accorde à la poésie - dont Rimbaud reste le promoteur incontesté.



Isidore Ducasse (1846-1870) dont le pseudonyme, « comte de Lautréamont », démarque le nom d'un personnage d'Eugène Sue, Latréaumont, et qui, baptisant son héros « Maldoror », fait très évidemment un calembour à partir d'un « mal d'aurore » où l'on peut voir à la fois une malédiction et un espoir, est bien proche de Rimbaud par ses fureurs, mais il est plus théâtral, moins alchimique et plus critique. Vampirisme, tortures, subversions et perversions (qui font paraître bien blême le satanisme de BaudelairE), tel est le « matériel » des Chants de Maldoror. Il y a là du romantisme lycanthropique - à la Borel - et, bien que Lautréamont n'ait pu lire Une saison en enfer, nombre des « sophismes de la folie » exploités par Rimbaud, mais aussi, dans la prose ample et redondante de cet effréné, une étrange parenté stylistique avec Bossuet et Chateaubriand :



« Vieil océan, tu es le symbole de l'identité : toujours égal à toi -même... Je te salue, vieil océan ! »



Enfin, imposant au réel des perspectives fantastiques et promouvant toute une faune grinçante, cruelle, obscène, au rang d'accusatrice implacable de Dieu, une audace imaginatrice qui multiplie les rapprochements les plus insolites - « la rencontre fortuite sur une table de vivisection, d'un parapluie et d'une machine à coudre » - avec une autorité que les « objets surréalistes » de 1925 n'auront pas toujours. Certes, il y a dans Les Chants de Maldoror une part certaine de pastiche et de canular (Lautréamont, qui démontera dans ses Poésies tous les rouages de Pexcessivité, n'a jamais pu se tenir, quand il les utilisait lui-même, d'en pousser à fond le mécanismE), mais bien moindre que la part d'enthousiaste conviction lyrique.



A côté de ce « cauchemar qui tient la plume », Germain Nouveau (1852-1922), ami de Verlaine et de Rimbaud, partagé entre le catholicisme et la vénération panique du soleil, le goût de l'enluminure et celui du plain-chant, fait figure de « rêve qui tient la lyre », que ce soit dans ses Valenlines erotiques ou dans La Doctrine de l'amour, son grand livre religieux :



C'est Apollon chrétien, c'est Vénus catholique

Se levant sur le monde enchanté par sa foi.



Ce haut poète, qui se baptise « Humilie » et va errer, jusqu'à sa mort, sur les routes de Provence, ne trouvera sa juste gloire qu'au XXe siècle.

La gloire de Charles Gros (1842-1888) sera pareillement tardive. Tout comme Nouveau, il a pourtant grandement contribué à l'éclosion du Symbolisme. Inventeur du phonographe et de la photographie des couleurs, il s'est complu en inventions poétiques que sa fantaisie de parolier pour café-concert a sans doute empêchées d'être prises au sérieux. Si tout le monde connaît son monologue du Hareng saur :



J'ai composé cette histoire - simple, simple, simple.

Pour mettre en fureur les gens - graves, graves, graves.

Et amuser les enfants - petits, petits, petits. on a par trop oublié son Coffret de Santal, plein de propositions insolites, d'humour noir et de suaves désespérances :



Je suis un homme mort depuis plusieurs années

Mes os sont recouverts par les roses fanées.



Alors que Cros fut, tout de même, un peu compris de son vivant, Tristan Corbière (1845-1875) ne fut découvert - le mérite en revient à Verlaine, qui lui fit place dans ses Poètes maudits - que huit ans après sa mort, laquelle avait suivi de .peu la publication de son unique recueil. Les An.ours jaunes. Si acharné qu'il soit à ridiculiser l'excès de sentimentalité et d'éloquence du Romantisme, Corbière est bel et bien un hyper-romantique en ce sens que toute son ouvre est l'expression violente, contrastée, contestataire de son « moi » physique et mental. Laid, maladif, écrasé par la personnalité de son père, le navigateur et écrivain maritime Edouard Corbière, le poète des Amours jaunes se baptise Triste, puis Tristan à la fois pour se différencier de l'auteur de ses jours et pour s'identifier à un héros, celtique et marin, qui incarne l'insurrection permanente du rêve et de l'amour. Lui-même, « rafale » aussi bien par la femme que par la mer, à laquelle il n'oppose que la fragile étrave d'un cotre de plaisance, trouve sa victoire dans les vers rocailleux, sanguins, bourrés d'images neuves qu'il jette, sans grand souci de la prosodie, à la face de son destin et dont le ton est très fréquemment testamentaire :



Il se tua d'ardeur, et mourut de paresse...

Son seul regret fut de n'être pas sa maîtresse...

Ci-gît, cour sans cour, mal planté.

Trop réussi - comme raté...



Symboliste par les mystérieuses propositions de ses Rondels pour après, où ses éclats de voix s'achèvent en murmures, Corbière est également « moderniste », au moins autant que Baudelaire et Laforgue, et d'ores et déjà surréaliste avec les incursions, quasi automatiques, de ses Litanies du sommeil :



Sommeil ! Râtelier du Pégase fringant...

Sommeil ! Long corridor où plangore le vent...

Immense vache à lait dont nous sommes les veaux...



Aucune forcerie de ce genre dans la personne et dans l'ouvre de Stéphane Mallarmé (1842-1898) qui, pour s'être accommodé d'un destin étriqué, impropre à ses exigeantes et interminables méditations sur l'avenir totalitaire de la poésie, mérite bien un peu le surnom dont Leconte de Lisle l'accabla : « le Sphinx des Batignolles ». Tout en gardant ses liens avec le Parnasse, et toute sa reconnaissance envers Baudelaire qui lui a appris la valeur plastique et sonore du mot, Mallarmé commence par des rêveries ondoyantes, ramifiées à l'infini et s'enfonce, dès 1863, dans une Hêrodiade pour laquelle il met au point une poétique capable de « peindre non la chose mais l'effet qu'elle produit ». Il en vient cependant à des ambitions plus hautes, dont son Après-midi d'un Faune, (1875) est l'illustration et qu'il précise avec l'autorité d"un chef d'école : « Un souci musical domine et je l'interpréterai selon sa visée la plus large. Symboliste, Décadente ou Mystique, les Ecoles adoptent, comme rencontre, le point d'un idéalisme qui (pareillement aux fugues, aux sonateS) refuse les matériaux naturels et, comme brutale, une pensée directe les ordonnant, pour ne garder de rien que la suggestion. »



En somme, il s'agit à la fois de reprendre à la « musique à programme » (Berlioz, WagneR) les moyens poétiques dont elle s'est emparée et d'imiter l'emploi qu'elle en a su faire. Mais Mallarmé est avant tout un visuel et le transfert de sa vision dans la musique des mots - « une syntaxe picturale pliée aux lois de l'esthétique musicale », dit Camille Soula - aboutit à une ambiguïté dans le traitement de la troisième dimension, celle de la profondeur, autrement dit : de la durée. Rompant, qu'il le veuille ou non, avec le « discours », Mallarmé nous livre des fresques ou des tableautins qui se développent dans l'espace et non dans le temps. Restent « quelques figures belles aux intersections »... et la beauté de « la totale arabesque qui les relie », laquelle « a de vertigineux sauts en un effroi que reconnue ; et d'anxieux accords » :



Gloire du long désir. Idées

Tout en moi s'exaltait de voir

La famille des Iridées

Surgir à ce nouveau devoir...



« Mon art est une impasse », dira Mallarmé à Louis le Cardonnel. Il avait raison dans la mesure où sa véritable ambition, confessée en 1885 à Verlaine, était mystique : écrire le bvre qui contiendrait « l'explication orphique de la terre ». Il avait tort en ce sens que Parchitectonie verbale et visuelle à laquelle il aboutit dans Igitur et, surtout, dans Un coup de dés, ouvre des perspectives considérables à l'expression poétique. Les poètes du xxe siècle, qui s'interrogeront avec tant de curiosité sur le fonctionnement du langage et la fonction même de la poésie, ne seront pas loin de diviniser cet homme qui ne séparait pas l'idée du symbole et qui, s'il eut la religion exagéré du substantif, ne cessa de proclamer que la poésie est « l'expression, par le langage humain ramené à son rythme essentiel du sens mystérieux de l'existence ».



Les Symbolistes qui avaient trouvé en Verlaine et Mallarmé deux chefs de file en vérité fort dissemblables, s'aventurèrent chacun à sa manière dans les « forêts des symboles » dont Baudelaire avait, d'ores et déjà, dégagé les « piliers ». Tous n'eurent pas, comme Verlaine, le goût de l'évaneBcence. Tous ne se proposèrent pas, comme Mallarmé, de



Donner un sens plus pur aux mots de la tribu mais tous firent passer « la musique avant toute chose » et travaillèrent dans une gamme infiniment nuancée, debus-syste, assez proche de celle des Impressionnistes.



Jules Laforgue (1860-1887), qui ressemble beaucoup â Corbière, joue les pierrots lunaires avec un humour doux-amer dans Les Complaintes mais, dans Le Sanglot de la terre, se hausse à des altitudes cosmogoniques dans une manière à la fois dramatique, épique et grinçante. La voix d'Apollinaire est déjà perceptible dans ses Derniers Vers, où le vers libre et le vers traditionnel se combinent avec bonheur :



Soleils plénipotentiaires des travaux en blonds

Pactoles Des spectacles agricoles.

Où êtes-vous ensevelis ?



Saint-Pol Roux (1861-1940), dit « le Magnifique », en qui les Surréalistes salueront un de leurs plus sûrs précurseurs, conforma son comportement et son écriture à ses rêves : « le style, c'est la vie ». Dans Les Reposoirs de la procession, la Rêpoêtique, la Supplique du Christ et dans ses recueils et drames, pareillement éloquents, orfèvres à l'excès mais traversés de fulgurations merveilleuses, cette espèce de mage accumule les images étranges, les vues neuves sur le langage, la civilisation, la faculté humaine de « corriger Dieu ».



On rejoint des paysages plus mesurés et mieux connus, délimités qu'ils sont par Chénier et Hérédia, avec Henri de Régnier (1864-1936) et ses gracieux Poèmes anciens et romanesques. Gustave Kahn (1859-1936), qui a mérité de passer à la postérité pour avoir légiféré en matière de vers-librisme, Stuart Merill (1863-1915) et François Vielé-Griffin (1864-1937), tous deux Américains, Rémy de Gourmont (1858-1915), excellent critique et poète sensuel ont moins durablement ouvré qu'Albert Saraain (1858-1900), dont on relit encore avec émotion certains vers de Au Jardin de l'Infante, et moins contribué à l'évolution de la poésie française que Charles Van Lerbergbe (1861-1907), René Ghil (1862-1925), Maurice Maeterlinck (1862-1949) et Max Elskamp (1862-1931).



Van Lerberghe, dans La Chanson d'Eve, s'affirme comme le plus impressionniste des Symbolistes et l'un des plus hantés par le mystère. Ghil, dans les quatorze volumes de Dire du mieux, Dire des sangs, Dire de la loi, a ambitionné de peindre une fresque complète de l'humanité en usant d'une « instrumentation verbale » renouvelée du Rimbaud des Voyelles et, quoi qu'il s'en défendît, de la syntaxe mallar-méenne. Les excessives torsions et guillochures de son langage n'empêchent pas celui-ci d'avoir une présence physique assez étonnante. Hommes du Nord, comme Ghil (mais nés de l'autre côté de la frontièrE), Van Lerberghe, Maeterlinck et Elskamp n'en sollicitent pas le6 contrastes et les vigueurs mais les brumes, les moiteurs et certaine bonhomie matoise. Cette influence belge sur le Symbolisme français est des plus heureuses. Pour le Maeterlinck des Serres chaudes, le symbole le plus pur est peut-être celui « qui a heu à l'insu du poète et même à l'encontre de ses intentions s. Max Elskamp, lui, ramène dans la poésie le petit peuple et ses façons de dire :



J'ai triste d'une ville en bois...



Ainsi contribuent-ils, l'un à engager le Symbolisme dans la quête de l'inconscient, l'autre à lui donner pour justification l'inventive faconde populaire. Les mélancoliques rêveries d'un autre Belge, Georges Rodenbach (1855-1898), n'ont point cet intérêt alors que, Belge lui aussi, Emile Verhaercn (1855-1916) imprime à la poésie de langue française un mouvement considérable. Mais peut-on tenir Verhaeren pour un symboliste ? L'auteur des Villes tentaculaires et des Forces tumultueuses, certes, a sacrifié, à ses débuts, à la musicalité de la syntaxe et du sentiment, mais il 6'est tôt laissé aller à sa nature, qui était d'un romantique à tous crins, traversé de visions et de scansions, pour exprimer le « beau tumulte humain ». Les masses laborieuses, le monde industriel,



L'âpre et terrible loi qui régit l'univers voilà ce qu'il chante, avec un noble paroxysme, une tragique ferveur. Hugo, Whitman, et Browning l'ont marqué. Il ouvre, quant à lui, la voie de l'Una-nimisme.



A cette irruption du Nord et de la modernité dans la conscience poétique française, Jean Moréas (1856-1910) et ses amis de l'Ecole romane (Maurice du Plessy6, Raymond de La Tailhède, Ernest Ray-naud, Charles Maurras, Xaxier de Magallon, François-Paul Alibert, etc.) opposèrent, à partir de 1892, une croisade méridionale au nom du « vrai Classicisme » et de la « vraie Antiquité ». Alors que nombre de ces poètes - notamment Emmanuel Signoret (1872-1900) - réussissaient à retendre la lyre traditionnelle pour en tirer des accents vigoureux et même enflammés, Jean Moréas, en Stances parfaites, formulait des sentences et des recommandationa morales qui justifieront parfaitement la perplexité de Georges-Emmanuel Clancier : « Sagesse ou littérature ? » Il est intéressant de noter que, dans le même temps, la poésie de langue d'oc, qui se référait au même soleil antique, s'essoufflait en gentillesses félibréennes à l'ombre de l'immense Frédéric Mistral (1830-1914).



Robert de Souza (1865-1940) eut beau dire, au début du XXe siècle, que le Symbolisme était la seule école vivante, celui-ci ne recrutait plus que des épigones comme Charles Guérin (1873-1907), dont le Semeur de cendres (1900) n'est point sans beautés, des francs-tireurs narquois, comme Fagus (1872-1933), ou gentiment précieux, comme Tristan Klingsor (1874-1966), et n'avait pas grande défense à opposer aux moqueries de Georges Fourest (1864-1945) et de sa Négresse blonde, renouvelées de celles de Gabriel Vicaire et Henri Beauclair, auteurs de Les Délinquescences, « poèmes décadents d'Adoré Floupette » (1885). La Phalange, école néo-symboliste fondée par Jean Royère (1871-1956), n'eut guère plus de succès. Le Symbolisme, pourtant, n'avait pas fini d'exercer son influence, mais de façon diffuse. En tant que mouvement, il était bel et bien mort.

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