Essais littéraire |
I. - La crise du naturalisme Il serait illusoire de croire que sur le plan romanesque la période 1850-1890 fut exclusivement « réaliste ». Si l'on doit reconnaître que durant ces années c'est surtout dans la poésie que se sont réfugiées les nostalgies de l'idéal et déployées les richesses du rêve et de l'imaginaire, force est de constater aussi la persistance, sous le règne de Flaubert et de Zola, d'un courant intimiste et psychologique hérité du romantisme. Ainsi E. Fromentin (1820-1876), quand il donne en 1862 son Dominique, peut-il apparaître comme le dernier des autobiographes de la lignée des Chateaubriand et B. Constant même si chez lui la veine intimiste est plus maîtrisée que chez ses devanciers et si son écriture se montre disciplinée, assagie, jusqu'à la discrétion. Différentes, inégales, les ouvres romanesques de Gobineau (1816-1882) marquent une pareille indifférence à l'égard des leçons du réalisme, que ce soient ses romans psychologiques, Adélaïde, Mademoiselle Irnois, son grand récit de voyage intitulé Les Pléiades (1874) ou ses intéressantes Nouvelles asiatiques qui restent son chef-d'ouvre. Pourtant, si dès 1885 les esthétiques réaliste et naturaliste semblent devoir reculer, ce n'est pas tant sous les coups d'une contestation extérieure que sous ceux de certains de leurs anciens adeptes. À cet égard, l'année 1887 paraît décisive : au moment même où Brunetière publie son essai sur La Banqueroute du naturalisme, la « bande à Zola », entendons le groupe des fervents et assidus disciples des soirées de Médan, s'effrite et se déchire. Indignés par la publication de La Terre, roman dans lequel Us estiment que leur maître est « descendu au fond de l'immondice », cinq « médanistes », Rosny, Descaves, Margueritte, Bonnetain et Guiches, entrent dans la « dissidence » et publient un réquisitoire qui fera date, le Manifeste des Cinq. A vrai dire celui-ci affectera moins Zola que ne l'avait touché, trois ans auparavant, la « trahison » d'un de ses plus fidèles disciples, J. K. Huys-mans (1848-1907). Celui qui avait épousé avec enthousiasme toutes les théories naturalistes et rédigé d'abord trois romans, Les Sours Vatard, En ménage et A Vau-l'eau, dans la plus stricte observance des principes de l'école, devait en effet publier en 1884 un roman jugé inacceptable par Zola : A Rebours. Comment l'auteur de L'Assommoir aurait-il pu effectivement admettre ce livre et son héros, Des Esseintes, sorte de « cousin équivoque de René, admirateur éperdu de Baudelaire et de Barbey », écrit très bien M. Fumaroli, détracteur des impostures du réel objectif, amoureux de ses fantasmes et collectionneur des artifices les plus baroques? Dans une passionnante Préface, rédigée seulement en 1903, Huysmans justifiera son roman, véritable pastiche des excès naturalistes, et son personnage, incarnation de l'existence et de la rhétorique décadentes, par le désir d'échapper à un cercle vicieux et de chercher une autre voie : « Le naturalisme s'essoufflait à tourner la meule dans le même cercle. La somme des observations que chacun avait emmagasinées, en les prenant sur soi-même et sur les autres, commençait à s'épuiser. (...) Nous devions nous demander si le naturalisme n'aboutissait pas à une impasse et si nous n'allions pas bientôt nous heurter contre le mur du fond, » Ce que fondamentalement Huysmans venait de contester c'était le primat du naturalisme comme forme expérimentale du roman. Pour lui un autre roman, sous d'autres formes, pouvait et devait faire éclater l'épaisseur sclérosante où le genre risquait de s'enliser : Il y avait beaucoup de choses, ajoutait-il, que Zola ne pouvait comprendre ; d'abord ce besoin que j'éprouvais d'ouvrir les fenêtres, de fuir un milieu où j'étouffais ; puis le désir qui m'appréhendait de secouer les préjugés, de briser les limites du roman, d'y faire entrer l'art, la science, l'histoire, de ne plus se servir, en un mot, de cette forme que comme d'an cadre pour y insérer de plus sérieux travaux. » Pour Huysmans lui-même le renouveau viendra de sa « conversion » et de son mysticisme dans lesquels il puisera l'inspiration de romans d'un lyrisme parfois véhément, Là-bas, En Route, La Cathédrale, L'Oblat. En tout cas la brèche était désormais ouverte. D'autres, comme lui, faisaient ou allaient pouvoir « faire à tout prix du neuf ». II. - Expériences surnaturalistes Contesté en tant que forme et en tant que support d'une certaine idéologie, le roman, qui a déjà derrière lui ses grandes heures, reste cependant un genre fécond dans le dernier quart du siècle. Il est à remarquer néanmoins que les fissures relevées dans l'édifice des conceptions réaliste et naturaliste ont leurs corrélations sur le simple plan formel : la nouvelle, le conte, le libre récit retrouvent, avec le renouveau de l'inspiration, un rang que leur avait arraché depuis trente ans le roman pur et simple. C'est que l'idéologie et l'inspiration intempestives de quelques écrivains avaient sans doute besoin, pour mieux se signifier, de formes, elles aussi, intempestives. Au premier rang de ces contestataires il faut citer Barbey d'Aurevilly (1808-1889) dont la moindre des caractéristiques n'est pas d'avoir connu le succès à soixante ans seulement ! Dandy célèbre, reconverti avec l'âge à un catholicisme intransigeant, il fut l'un des premiers à parier sur Baudelaire contre les « papes » du positivisme et du matérialisme. Ce fougueux polémiste, aux idées d'un autre temps, se fit un devoir de vitupérer les théories de Zola, d'en caricaturer les excès, et de réhabiliter ce qu'il croyait en être le principe contraire, l'imagination : « Qu'importe la vérité exacte, pointillée, méticuleuse des faits, écrivait-il dans la préface de L'Ensorcelée (1854), pourvu que les horizons se reconnaissent, que les caractères et les mours restent avec leur physionomie, et que l'imagination dise à la mémoire muette : « c'est bien cela! ». » Cette imagination il la mit lui-même au service de ses romans historiques « rétro », comme Le Chevalier des Touches (1864), mais en fit surtout l'instrument d'appréhension et d'évocation d'un surnaturel satanique dont débordent ses saisissantes nouvelles groupées en 1874 dans le recueil des Diaboliques. Souvent captivantes, quelquefois trop naïves, toujours surprenantes, ces a histoires » où les héroïnes sont autant de possédées font parfois oublier que Barbey fut aussi l'un des grands de ce que Huysmans appelait « la littérature ecclé-siale moderne » : Il fut le seul artiste, ajoutait-il, au pur sens du mot, que produisit le catholicisme de ce temps, (...) dont l'audace faisait braire la bedeaadaille qu'exaspérait la véhémence explosive de ses phrases. » Sans lui contester ce rang, on peut rapprocher de la personnalité de Barbey celle de cet autre légitimiste et catholique rigoureux, lui aussi romancier « surnaturaliste », Villiers de l'Isle-Adam (1838-1889). De vieille noblesse, mais ruinée, Villiers fut bien autant que Barbey l'apôtre de la lutte contre une démocratie qu'il ne pouvait comprendre et un positivisme bourgeois qu'il ne pouvait que haïr. Malheureux dans ses tentatives théâtrales, sa plume de romancier lui valut plus de satisfactions. On lui doit la plus violente satire du bourgeois du xixe siècle et la plus dure dénonciation du règne de l'argent et des « impostures » de la science, dans son Tribulat Bonhomet de 1887 où le dérisoire « agrégé de physiologie » est livré aux sarcasmes d'un auteur conforté par ses inébranlables certitudes de vieux noble. C'est peut-être parce qu'il fut un impitoyable détracteur du réalisme que Villiers fut aussi l'un de nos meilleurs auteurs de contes fantastiques et de nouvelles mystérieuses (Contes cruels, 1883 et Nouveaux contes cruels, 1888 ; Histoires insolites, 1888) où transparait sa double admiration pour le Baudelaire déchiffreur de « symboles a et l'Edgar Poe technicien du « suspense ». littéraire. Ajoutons à ces deux grands noms celui de Léon Bloy (1846-1917) qui forme avec eux le singulier trio des écrivains catholiques et polémistes de cette fin de siècle. D'une éloquence fougueuse, ce grand pamphlétaire, de la trempe des L. Veuillot et E. Hello, nous a laissé deux romans « vécus », Le Désespéré (1876) et La Femme pauvre (1897). L'enfer de la souffrance y remplace l'enfer sata-nique de Barbey et les arcanes de l'occultisme de Villiers ; l'écrivain s'y est voulu « en communion d'impatience avec tous les révoltés, tous les déçus, tous les inexaucés, tous les damnés de ce monde ». |
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