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Regard vers l'Allemagne romantique






Le mot Romantisme, pour beaucoup, reste vague et se situe au niveau des sensations; une brume l'enveloppe qui permet d'échapper aux multiples définitions qu'on en peut donner; pour mieux le cerner, il convient de rechercher ses sens précis. Ce terme recouvre non seulement la poésie, mais aussi l'ensemble de la littérature; non seulement l'ensemble de la littérature, mais tous les arts, une infinité de manières d'être, de penser, de ressentir, de se comporter. Le Romantisme unit des paradoxes : ainsi, il est une révolution de l'indépendance et un retour aux traditions poétiques passées : moyen âge et Renaissance. Selon les littératures nationales, sa définition est sujette à variations. Universel, on ne saurait l'étudier en restant sur notre territoire; concept éternel, on ne peut se limiter aux lustres de son apogée; combattant, on ne doit pas ignorer les arguments de ses détracteurs.

Tout en restant national, le romantisme français connaît la nécessité vitale de sortir de nos frontières pour trouver la plus juste peinture de l'humanité : le temps n'est plus où l'ensemble humain prend la figure générale de l'homme français. On ne peut tenter de dégager ses principes et ses tendances sans recourir à l'histoire. Il porte en lui de multiples germes : ceux des écoles parnassienne, symboliste, naturaliste, sociale, surréaliste qui le suivront. Avant d'en venir à l'exploration de ce monde échappant à la fixité classique, conscient du devenir, un voyage, si court soit-il, dans l'espace et le temps s'impose.



Venu d'ailleurs, en France le Romantisme se métamorphose, prend notre visage éternel sans rien renier des marques germaniques et anglo-saxonnes. Deux grandes influences étrangères en effet apparaissent : celle de l'Allemagne, celle de l'Angleterre. Tentons un panorama permettant de mieux respirer l'air du temps avant d'en venir aux batailles d'idées, aux principes de vérité et de liberté, aux tendances individualistes et sociales, à l'affirmation de la fraternité humaine, et cela par approches successives, en commençant par l'histoire.



Vers une Europe littéraire.



Si la France d'avant la Révolution connaissait la plupart des écrivains allemands auxquels se référera le romantisme français, Germaine de Staël (1766-1817), avec De l'Allemagne, 1810, ouvrage en proie à toutes sortes d'interdits, fait comprendre ce qui nous arrive d'outre-Rhin, littérature, philosophie, art, d'une autre langue et d'un autre état d'esprit. Weimar pouvait apparaître comme l'Athènes germanique. Des noms comme ceux de Wieland, Schlegel, Goethe, Schiller, Tieck deviennent familiers, chacun d'eux étant promesse d'infinies richesses.

Le vicomte de Saint-Chamans exprime bien ce que pouvait ressentir un Français non préparé devant ces nouveautés : « J'ai quelquefois une impatience indicible de descendre de la hauteur où je m'élève avec elle (Mme de StaëL); et quand je suis perdu quelque temps dans cette fantasmagorie, rêveuse, idéaliste, romantique, mystique, métaphysique, enthousiaste et infinie, si je trouve quelqu'un qui vienne me dire simplement et sans périphrase bonjour Ou bonsoir, j'éprouve un bien-être. » Les classiques vont protester contre ces civilisés qu'ils traitent de Goths, de Bructères, de Sicambres.

Plus intelligents, plus clairvoyants, recherchant au contraire le contact avec l'étranger, d'autres feront que la France, sans rien perdre de son originalité, trouvera une nouvelle source de vitalité. Il n'est que de lire la préface de la Muse française : « Nous tiendrons le public au courant des littératures étrangères comme de la nôtre, bien persuadés qu'un patriotisme étroit en littérature est un reste de barbarie. » Ce texte est de 1823 et l'année suivante, une annonce du Globe ajoute : « Laissons tenter toutes les expériences et ne craignons de devenir anglais ni germains. Il y a dans notre ciel, dans notre organisation délicate et flexible, dans notre goût si juste et si vrai, assez de vertu pour nous maintenir ce que nous sommes. » Grâce à de telles idées, l'Europe littéraire verra se tenir un incessant congrès, les voyageurs français se rendant en Allemagne, comme Victor Cousin, 1817, Michelet, 1825, Edgar Quinet à deux reprises, 1836, 1842, Sainte-Beuve, 1829, et, dans les années 1830, Hugo, Lamartine, Musset, Dumas, Nerval. Avec le Globe, des revues font la liaison qui sont la Bibliothèque allemande et la Revue germanique. Des artistes, des intellectuels font le pèlerinage allemand qui se nomment David d'Angers, Blaze de Bury, Xavier Marmier, Saint-Marc Girardin, Saint-René Taillandier. Les poètes de transition comme Lebrun ou Soumet traduisent les chefs-d'ouvre allemands, et, auprès de Mme Necker qui traduit le Cours de littérature dramatique de Schlegel, traducteurs, adaptateurs, imitateurs pullulent comme Benjamin Constant, Barante, Stapfer, Merle d'Aubigné, Latouche, Ampère, Alexandre Duval, Merville, etc.

Le mérite essentiel de Mme de Staël, dans sa géniale esquisse De l'Allemagne, c'est d'ouvrir la France à ces nouveaux horizons, à un agrandissement sans lequel nous risquions de poursuivre indéfiniment des jeux dérisoires. Il faut remonter haut dans l'histoire pour trouver ceux-là, Allemands et Anglais, qui nous ont permis d'aller au-delà de nous-mêmes en créant le meilleur d'une poésie française depuis longtemps endormie. La pensée germanique venue d'Allemagne et de Suisse alémanique dépassera la période romantique et dominera tout le siècle.



Klopstock et son temps.



Au XVIIIe siècle, chez nos voisins, apparaît Friedrich-Gottlieb Klopstock (1724-1803), poète nourri de l'Antiquité, qui, dès son enfance, conçoit le projet de la Messiade dont les premiers chants paraissent en 1748. Il s'agit d'une épopée tirée de l'évangile sous l'influence de Milton. Le succès est immédiat : l'Allemagne trouve un poète national âgé de vingt-quatre ans, et, par la ferveur du culte qu'elle lui voue, excite son enthousiasme créateur. Trois ans plus tôt, il se trouvait à Zurich, se liait avec le groupe des poètes de l'école saxonne sous les auspices de Johann Christoph Gottsched (1700-1766) qui conseille à ses compatriotes de se mettre à l'école française, se veut le Boileau allemand, école qui se trouva bientôt en rivalité avec l'école suisse de Johann-Jakob Bodmer (1698-1783) et de son ami Johann-Jakob Breitinger (1701-1776). Cette école oppose la littérature anglo-saxonne au classicisme français défendu par Gottsched. Le Paradis perdu de Milton est le modèle, et l'on redécouvre les anciens monuments de la poésie allemande. La primauté de l'imagination et du merveilleux fondé sur la vraisemblance sont affirmés dans le Traité critique du merveilleux dans la poésie, 1740, de Bodmer qui préface la même année la Critique de l'art poétique de son ami.



Klopstock trouve dans cette école un parfait modèle. Il deviendra le centre d'une école littéraire lui apportant sa ferveur comme en témoigne Saint-René Taillandier : « C'était une sorte de piétisme littéraire. Cette idée d'un sacerdoce épique que Bodmer avait voulu inspirer à Klopstock, devenait peu à peu une réalité. Son poème et sa vie ne faisaient qu'un. Il transportait dans son poème les événements de sa vie; il réglait sa vie d'après les inspirations de son poème. » On saisit l'importance d'une double démarche qui sera celle des romantiques.

La Messiade est le tableau de la passion et de la résurrection du Christ, vaste mise en scène des puissances célestes et infernales comme on en trouve dans les mystères du moyen âge. Mme de Staël dit : « Lorsqu'on commence ce poème, on croit entrer dans une grande église au milieu de laquelle un orgue se fait entendre. » Sa traduction montre que le sentiment lyrique chez Klopstock atteint déjà avec une avance considérable des hauteurs comme on en trouvera chez les romantiques :



Je l'espérais de toi, ô Médiateur céleste! J'ai chanté le cantique de la nouvelle alliance; la redoutable carrière est parcourue et tu m'as pardonné mes pas chancelants.

- Reconnaissance, sentiment éternel, brûlant, exalté, lais retentir les accords de ma harpe; hâte-toi; mon cour est inondé de joie, et je verse des pleurs de ravissement.

- Je ne demande aucune récompense; n'ai-je pas déjà goûté le plaisir des anges, puisque j'ai chanté mon Dieu? L'émotion pénétra mon âme jusque dans ses profondeurs, et ce qu'il y a de plus intime en mon être lût ébranlé.

Le ciel et la terre disparurent à mes regards; mais bientôt l'orage se calma; le souffle de ma vie ressemblait à 1 air pur et serein d'un jour de printemps. - Ah! que je suis récompensé. N'ai-je pas vu couler les larmes des chrétiens? Et dans un autre monde peut-être m'accueilleront-ils encore avec ces célestes larmes...



Si Klopstock fit d'admirables Odes, des élégies, des drames bibliques et nationaux, il est surtout connu en France pour cette Messiade qui unit le sentiment chrétien à celui de la nature. Ses effusions lyriques, son enthousiasme, son fanatisme germanique, ses rejets de la gallomanie et aussi de certaines formes d'anglomanie, son dédain des apports antiques auront une vive influence car il s'ouvre sur l'avenir.

Cependant, c'est surtout Christoph-Martin Wieland (1733-1813) qui unissant l'imitation de l'école allemande à l'influence anglaise d'un Richardson ou d'un Fielding, sans rien renier d'un piquant voltairien, inaugurera une poésie plus diversifiée, plus universelle et plus fraternelle, se rapprochant de la France, tempérant les excès nationaux. Il saluera André Chénier du vivant de ce dernier, il s'attachera à des sujets comme Obéron et Huon de Bordeaux, travaillera dans tous les genres, apparaîtra comme une sorte de Voltaire ayant plus d'imagination poétique.



Mme de Staël le connaissait bien, comme elle connaissait Gotthold-Ephraïm Lessing (1729-1781) dont elle fit le portrait : « C'est un esprit neuf et hardi, et qui reste néanmoins à la portée du commun des hommes; sa manière de voir est allemande, sa manière de s'exprimer européenne. Dialecticien spirituel et serré dans ses arguments, l'enthousiasme pour le beau remplissait cependant le fond de son âme; il avait une ardeur sans flamme, une véhémence philosophique toujours active, et qui produisait, par des coups redoublés, des effets durables. »

Excellent comparatiste, personnel, national, il réagit contre les excès de l'imitation française tout en subissant l'influence de Diderot et des encyclopédistes.

Pour cette première période, n'oublions pas de citer Albrecht von Haller (1708-1777), Suisse de langue allemande, médecin, savant, dont on lut à Paris des poèmes comme les Alpes ou les Origines du Mal, les odes, les élégies, qui ne sont pas étrangers à la formation de l'esprit nouveau, et aussi Gottfried-August Bùrger (1747-1794) pour Lénore ou le Féroce chasseur; il est le créateur de l'émotion superstitieuse, de l'effroi romantique, poète pauhétique qu'un refrain « les morts vont vite » semble exprimer tout entier. Enfin, nous avons dit dans le précédent volume la grande influence de Salomon Gessner (1730-1788) dont les Idylles sont sans cesse traduites et imitées.



Assaut et irruption.



Autour de ces poètes, dans un immense tourbillon littéraire, des génies se pressent et les Allemands appellent cette période Sturm und Drangperiode ou « période d'assaut et d'irruption ». On verra s'affirmer un Goethe, un Schiller, un Herder. Une influence sur la France, par eux, se fera directement sentir.



De Johann-Wolfgang Goethe (1749-1832), poète comparable à Dante et à Shakespeare, Mme de Staël a montré qu'il a réuni et porté au plus haut point les caractères distinctifs de l'esprit allemand agrandi par les idées et les sentiments du moderne cosmopolitisme, trouvant en lui « une grande profondeur d'idées, la grâce qui naît de l'imagination, une sensibilité parfois fantastique, faite pour intéresser des lecteurs qui cherchent dans les livres de quoi varier leur existence monotone et veulent que la poésie leur tienne lieu d'événements véritables ». Il est le plus original, le plus universel. Tous les genres, poème épique, chanson, élégie, ballade, roman, histoire, drame, tragédie, comédie, opéra, passant par sa plume, sont transformés et portent son empreinte indélébile. Ce métamorphoseur sait tirer des effets de tous les éléments de la pensée et de toutes les situations humaines. Il est un des rares à distinguer l'avenir par-delà le présent, à ne pas repousser par le lyrisme la problématique, à aspirer à toujours plus de lumière, tout en se surveillant, en s'attachant à ne jamais être dupe de ses propres enthousiasmes.

En France, c'est surtout Werther qui plut, et cela par l'expérience de la passion qui s'y manifeste, mais ce ne fut pas sans réserves. La comparaison avec René ne fut pas toujours favorable au poète allemand. L'école classique fit la fine bouche et, si les romantiques l'admirèrent, son influence ne fut pas immédiate ni décisive. N'en fut-il pas de même pour Faust malgré la traduction de Gérard de Nerval qui enchanta Goethe vieillissant? L'adversaire des romantiques, l'académicien Louis-Simon Auger (1772-1829) s'en prend à ceux qui, selon lui, « échangeraient Phèdre et Iphigénie contre Faust et Goetz de Berlichingen », titres qu'il dut prononcer du bout des lèvres. Mais on doit ajouter qu'il fit beaucoup rire. De Werther naîtront bien des ouvres françaises, de Delphine à Volupté en passant par Obermann, Valérie, le Peintre de Salzbourg et Adolphe. Après les auteurs d'idylles imitées de Gessner, apparut la rencontre violente du moi décuplé avec les orages de la nature. Chateaubriand, comme les romantiques français, s'en inspireront. Jusqu'à Paul Valéry, les Faust se multiplieront. Entre Faust, jeune premier romantique, le diabolique Méphisto, la tragique Marguerite, que d'inspirations possibles jusque dans le roman populaire!



Pour Friedrich von Schiller (1759-1805), l'influence est lente à se manifester en France, mais en 1821, ses Poésies sont connues par son traducteur Camille Jordan. En édulcorant ses poèmes, en arrangeant ses drames à la mode française, les adaptateurs le trahirent. On lui préféra même Zacharias Werner (1768-1823), dramaturge mystique qui n'a pas sa dimension. Quant à Johann Gottfried Herder (1744-1803), ami de Goethe, bon connaisseur de la France, il renverse les barrières entre peuple et poésie. Pour lui, la poésie véritable doit être puisée dans le fonds national et populaire. Il recueille les ballades populaires anonymes à travers toute l'Europe, il s'intéresse aux origines du langage, il offre par ses recherches lointaines les possibilités d'un profond rajeunissement. Goethe retrouve chez lui, avec ravissement, la force splendide de l'art venu du peuple. Prophète du romantisme international, il s'attache sans cesse à l'histoire générale de la poésie. Les Allemands ne retiendront que le côté national de son ouvre tandis que les Français, assez tard, apprécient son souffle humanitaire, surtout un Edgar Quinet qui le traduit et l'imite, mais ses idées, son romantisme social sont utilement propagés.



C'est à Friedrich Schlegel (1772-1829) que Mme de Staël confie l'éducation de ses enfants. Il est bien connu de Benjamin Constant, de Mme Récamier, de Barante, de Sismondi, de Bernadotte qui se l'attache. Dans son Cours de littérature dramatique, traduit en France en 1814, il étudie les théâtres ancien et moderne, se montre injuste envers Molière et le théâtre français, s'enthousiasme pour Shakespeare et pour les Espagnols. Par lui, nous le verrons plus loin, le grand Will, par-delà tant d'oppositions, par-delà les maigres traductions de Ducis, fera, comme Byron et Walter Scott, une rentrée en force dans notre pays sous des signes romantiques.



Les Fantastiques.



Un des plus grands conteurs fantastiques de tous les temps, Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (1776-1822), composa avec les fruits de son imagination, en y mêlant une exaltation mystique et une ardente sensualité, dans une liberté totale, se laissant guider par son humeur et par les événements de sa vie des Contes qui sont dans toutes les mémoires.

Il crée, comme l'a défini Saint-Marc Girardin, un état complet de toutes les impressions instinctives de notre âme, en dégageant celles qui échappent à la réflexion philosophique. En 1829 et en 1833, ces récits, sous le titre apocryphe de Contes fantastiques, paraissent en France sous la plume du traducteur François-Adolphe Loève-Veimars (1801-1854). (De ce dernier, on souligne au passage le rôle important dans le mouvement romantique : il adapte aussi Goethe, Wieland, Wilhelm Hauff, Heinrich Zschokke et fait connaître la littérature populaire anglaise.) Dès la parution des Contes fantastiques, naît un enthousiasme chez les écrivains comme Saint-Marc Girardin, Nodier, Aloysius Bertrand, Jules Janin, Marinier, Sand, Nerval, Gautier, qu'on retrouvera chez les musiciens tels que le Berlioz de la Symphonie fantastique, puis dans les Contes d'Hoffmann de Barbier et Carré, dans ceux d'Offenbach, en attendant la Coppélia de Léo Delibes. Par Hoffmann, le réalisme poétique et fantastique fait son entrée dans la littérature. Edgar Poe et Baudelaire l'admireront. Il représente en France, au XIXe siècle, l'image la plus populaire du romantisme allemand. Marcel Schneider qui, comme Marcel Brion, est proche de lui, le dit bien : « Hoffmann a ouvert la voie, il a indiqué le chemin : après lui chacun se précipite. On n'a plus à démontrer ce que lui doivent Nerval, Musset, Sand, Nodier, Gautier, Baudelaire, Champfleury, Cladel, Barbey, Villiers, Maupassant, tant d'autres. L'étude de l'influence de Hoffmann sur les écrivains français du XIXe siècle ferait à elle seule un gros volume... » De plus, notre historien du fantastique ajoute dans son étude les noms de Balzac, Berbiguier l'ennemi des farfadets, Emile Deschamps, Alexandre Dumas, Erckmann-Chatrian, fantastiques en de hauts lieux de leurs ouvres. Ces proses nous entraînent sûrement en pays poétique. Le climat même de la société rêvante, dont celui de la poésie dans le poème, s'en trouve transformé.

Il en est de même pour tous ces fantastiques allemands qui se nomment Jean-Paul, Novalis, Schlegel, Tieck, La Motte-Fouqué, Wackenroder, Gôrres, Bonaventura, Bettina et Achim von Arnim, les frères Grimm, Eichendorff, Chamisso, Kerner, Môrike, Bûch-ner... Des phénomènes d'apparentement, de transmutations quasi magiques apparaissent, le plus significatif étant un Gérard de Nerval en qui Hôlderlin, Kleist, Klopstock, Goethe, Bùrger, Zed-litz, se rejoignent tout en le laissant enfant du Valois.



Heine et quelques autres.



Henri Heine (1797-1856) apporte une présence particulière. Il est de tous le plus français. Ses origines israélites le placent en marge de la communauté germanique : il connaît l'exil en France à partir de 1831. Francophile, non sans critiques, d'esprit européen, fils de la Révolution, allié du socialisme, ami de Karl Marx, il est sans cesse en proie à des déchirements intérieurs, à la misère physique autant que morale. Il essaiera d'établir un pont entre la France et l'Allemagne, connaîtra une évolution intellectuelle traversée de paradoxes, se déclarera un des plus malades parmi les fils de « ce vieux monde malade ». Il reste l'homme seul par excellence. Son ouvre est noire, traversée d'effrois comme dans son Romanzero, 1851. Ces chants jaillis de l'enfer de la souffrance sont le « livre d'or des vaincus », la marque d'un pessimisme lyrique. Faut-il rappeler le sort fait à ses frères alors que le nazisme fit interdire ses livres?



Chronologiquement, il ne précède pas notre romantisme français, mais on n'aurait su l'éloigner de ce court tableau, tout comme d'ailleurs Nikolaus Lenau (1802-1850), Franz Stelzha-mer (1802-1874), Hermann von Gilm (1812-1864), Friedrich Hebbel (1813-1863), Theodor Storm (1817-1888) et Éduard Môrike (1804-1875). Il faut encore rappeler des poètes comme Ludwig Uhland (1787-1862) dont Goethe aime les ballades et les poèmes lyriques, Justinius Kerner (1786-1862) qui étudie le magnétisme et la possession démoniaque et écrit des ballades, Gustav Schwab (1792-1850) qui met la vieille poésie populaire à la portée de ses contemporains et traduit en 1826 les Méditations de Lamartine, Wilhelm Muller (1794-1827) dont les Lieder sont prêts pour la musique de Schubert. Et non plus les principaux chantres du théâtre romantique, La Motte-Fouqué (1777-1843), Heinrich von Kleist (1777-1811), Franz Grillparzer (1791-1872), Karl Lebrecht Immermann (1796-1840), Zacharias Werner (1768-1823), puis Georg Bûchner (1813-1837).

Diderot écrivait déjà : « La lecture des bons ouvrages de Kant, de Schubart, de Klopstock, de Schiller, de Goethe, de Novalis, excite en nous une impression profonde et solennelle assez semblable à celle que nous cause la vue du temps du moyen âge. »

Les romantiques allemands seront les plus farouches combattants de notre classicisme : « La poésie de la toilette qui est celle des Français, n'a plus accès chez nous qu'à la toilette des dames. » Un anonyme écrit encore que la poésie n'est contenue ni dans l'abbé Delille « ni dans tout ce que le goût français prend ordinairement pour de la poésie ».

Un mot encore pour reconnaître l'apport des études dues à Johann Joachim Winckelmann (1717-1768), créateur de la critique d'art, fondateur de la science du Beau, Friedrich Wolf (1759-1824), Georg-Friedrich Creuzer (1771-1858) et mentionner tous ceux qui appartiennent à l'histoire de la philosophie, Kant, Fichte, Hegel, Lavater, Pestalozzi qui conquièrent les domaines de la métaphysique.



Un Blûcher littéraire?



Durant le siècle, les relations ouvertes par Mme de Staël se perpétueront. Bien des Allemands ont bu à la source française et à la source anglaise, et, par leur génie particulier, ont apporté des sources nouvelles de création. On découvrira non une Allemagne, mais des Allemagnes prenant le visage de tel ou tel de ses écrivains, de ses poètes, de ses philosophes, avec la grande déception de la guerre de 1870 pour ceux qui croyaient à une seule Allemagne idyllique et rêveuse, mais cela est une autre histoire.



Mme de Staël est-elle, selon le mot de Musset, « un Blûcher littéraire »? Elle apporte dans ses bagages cette littérature sentimentale et mélancolique, se libérant des règles, faisant concurrence aux anciens modèles grecs et latins qui donnera à la France la plus belle image de sa voisine. Elle regarda l'époque de la Révolution comme une ère nouvelle permettant le déploiement de nouvelles ressources intellectuelles par l'infinie perfectibilité de la nature humaine. Elle fut déçue : « l'empire des anciennes habitudes » tenait bon, même s'il était ébranlé. De l'Allemagne correspond à son souci de perfectibilité. Elle a fait un tableau de ce que nous aimons outre-Rhin en y ajoutant du charme, en ne reniant rien des difficultés de son entreprise, en restant accessible au plus grand nombre. Qu'elle présente Goethe ou Schiller, elle sait les situer dans leur climat. Elle n'omet pas les philosophes. A sa narration, elle ajoute sa sensibilité propre, sa fantaisie, avec un fond d'humanisme véritable : celui qui peut arracher l'homme pensant à sa solitude.

Cette femme du XVIIIe siècle, par ses fréquentations, son originalité, l'avance qu'elle a sur son temps, manifeste une présence exceptionnelle et inégalée; elle est, comme dit Mme Necker, « un génie audacieux et une femme malheureuse ». Ceux qui ont eu le privilège de lire sa correspondance commencée dès le plus jeune âge sont pétris d'admiration devant cet esprit européen.

Certes, le lecteur de Delphine, 1802, ou de Corinne, 1807, verra bientôt qu'elle n'est pas dégagée tout à fait de son temps. Son imagination ne trouve pas toujours la langue, le style de narration et de composition qui conviennent, mais on retiendra cette tentative d'exposer la condition féminine dans une société faite par les hommes pour les hommes. Il faut aller au-delà de l'expression écrite et faire preuve d'imagination pour rejoindre ce qu'elle porte et qu'elle n'exprime pas toujours avec la force attendue.

C'est bien dans De l'Allemagne qu'elle s'exprime le mieux. Quelques extraits nous permettront peut-être de suivre son regard et d'ajouter des traits à ce portrait difficile du romantisme que nous tentons d'établir peu à peu :



Les Allemands, réunissant tout à la fois, ce qui est très rare, l'imagination et le recueillement contemplatif, sont plus capables que d'autres de la poésie lyrique. Les Modernes ne peuvent se passer d'une certaine profondeur d idées dont une religion spiritualiste leur a donné l'habitude; et si cependant cette profondeur n'était point revêtue d'images, ce ne serait pas de la poésie : il faut donc que la nature grandisse aux yeux de l'homme, pour qu'il puisse s'en servir comme l'emblème de ses pensées...

Le nom du romantisme a été introduit nouvellement en Allemagne pour désigner la poésie dont les chants des troubadours ont été l'origine, celle qui est née de la chevalerie et du christianisme. Si l'on n'admet pas que le paganisme et le christianisme, le Nord et le Midi, l'Antiquité et le Moyen Age, la chevalerie et les institutions grecques, se sont partagé l'empire de la littérature, l'on ne parviendra jamais à juger sous un point de vue philosophique le goût antique et le goût moderne...

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