Etienne Jodelle |
Madame, c'est à vous à qui premièrement J'ai voué mon esprit, et ma voix, et mon âme, A qui j'offre ces vers que d'une sainte flamme Amour même inspira à maint et maint amant. Vous lirez sous le nom de quelque autre comment L'amour de vos beaux yeux la poitrine m'enflamme ; Vous verrez sous le nom d'une autre belle Dame De vos rares beautés le plus riche ornement. Que si mon amour n'est par eux bien peint encore, Que si votre beauté assez ne s'y décore, Excusez, car Amour n'a pu si ardemment Qu'à moi ardre leur cour d'un sujet si louable : Il ne fut oncques Dame, il ne fut onc Amant, A vous de la beauté, d'amour à moi semblable. II Des Astres, des Forêts et d'Achéron l'honneur, Diane, au Monde haut, moyen et bas préside, Et ses chevaux, ses chiens, ses Euménides guide, Pour éclairer, chasser, donner mort et horreur. Tel est le lustre grand, la chasse et la frayeur, Qu'on sent sous ta beauté claire, prompte, homicide, Que le haut Jupiter, Phébus et Pluton cuide Son foudre moins pouvoir, son arc et sa terreur. Ta beauté par ses rais, par son rets, par la crainte, Rend l'âme éprise, prise et au martyre étreinte ; Luis-moi, prends-moi, tiens-moi, mais hélas ne me perds Des flambants, forts et griefs, feux, filets et encombres, Lune, Diane, Hécate, aux Cieux, Terre et Enfers, Ornant, quêtant, gênant, nos Dieux, nous et nos ombres. III De quel soleil, Diane, empruntes-tu tes traits, La flamme, la clarté de ta face divine ? Le haut Amour, grand feu du monde où il domine, Luit sur toi, puis sur nous luire ainsi tu te fais. Pour toi les beaux pensers, les paroles, les faits, Il crée en nous par toi, ni jamais trop voisine Ne voile son beau feu, qui sans fin enlumine Nos cours, faisant passer par tes yeux ses beaux rais. Sans cesse il te fait donc autour de lui tourner Pour oblique te luire, et t'armer, et t'orner, Changeant ses rais en traits pour meurtrir ce qui t'aime. Tu fais prendre, sans prendre en toi, son âpre ardeur ; Avec l'ardeur aussi, j'en prends l'âpre froideur, Car l'une vient de lui, l'autre vient de toi-même. IV Encor que toi, Diane, à Diane tu sois Pareille en traits, en grâce, en majesté céleste, En cour, et haut, et chaste, et presqu'en tout le reste Fors qu'en l'austérité des virginales lois, La riche et rare fleur, qu'en tout ton corps tu vois, Ton embonpoint, ta grâce, et ta vigueur attestent Que puisqu'un autre hymen a dénoué ton ceste Virginal, en veuvage en vieillir tu ne dois. Que donc l'an nouveau t'offre un époux qui contente De tes valeurs la France et d'amour ton attente. D'un tel vou je t'étrenne, et si ton nom si bien Ne te convient alors, toi qui n'es pas moins belle Que Vénus, prends son nom et, le mêlant au tien, Fais que Dione ensemble et Diane on t'appelle. V Si quand tu es en terre, ô Diane, ta face De ta face qui luit dans le ciel presqu'éteint L'argentine blancheur, si sur ce blanc ton teint Plein de roses l'Aurore au teint rosin efface, Si deux flambeaux du ciel les plus vifs ont pris place Dessous ton front, s'il faut que quand le Soleil ceint De rais ses cheveux blonds, et que les deux il peint De son or le plus beau, ton poil honte lui fasse, Si, Diane et Dione, en l'air de toutes parts Une odeur d'ambroisie et nectar tu épars, Si tu as tout ce qu'ont les Déesses suprêmes, Si ton esprit ressemble un Dieu logé dans toi, Je crois tous nos esprits, t'appréhendant en soi, Dans la terre jouir de tout l'heur des cieux mêmes. VI Ouand ton nom je veux faire aux effets rencontrer De la sour de Phébus, qui chaste et chasseresse Est tant au ciel qu'en terre et aux enfers Déesse, Elle fort dissemblable à toi se vient montrer. Diane ses chiens mène, et aux pans fait entrer Ses cerfs ; tu peux mener les grands héros en laisse, Ains les prendre en tes rets ; son arc le seul corps blesse, Tes traits peuvent au fond des âmes pénétrer. De son frère elle emprunte en son ciel la lumière, Dedans tes yeux flambants et rayonneux son frère Prendrait ce qui croîtrait sa lumière et ses feux. Aux Enfers elle n'a que sur les morts puissance, Sur nous, ains sur les Dieux, par rigueur et clémence, Faire en la terre un ciel ou un enfer tu peux. VII Quelque heu, quelque amour, quelque loi qui t'absente Et ta déité tâche ôter de devant moi, Quelque oubli qui, contraint de heu, d'amour, de loi, Fasse qu'en tout absent de ton cour je me sente, Tu m'es, tu me seras sans fin pourtant présente Par le nom, par l'effet fatal qui est en toi ; Par tout tu es Diane, en tout rien je ne vois, Qui mon oil, qui mon cour de ta présence exempte En la terre, et non pas seulement aux forêts, De moi vivant l'objet continuel tu es, Etant Diane ; et puis si le ciel me rappelle, O Lune, ton bel oil mon heur malheurera ; Si je tombe aux Enfers, mon seul tourment sera De souffrir sans fin l'oil d'une Hécate tant belle. VIII Si quelqu'un veut savoir qui me lie et enflamme, Qui esclave a rendu ma franche liberté Et qui m'a asservi, c'est l'exquise beauté D'une que jour et nuit j'invoque et je réclame. C'est le Feu, c'est le Noud, qui lie ainsi mon âme, Qui embrase mon cour et le tient garrotté D'un lien si serré de ferme loyauté Qu'il ne saurait aimer ni servir autre Dame. Voilà le Feu, le Noud, qui me brûle, et étreint ; Voilà ce qui si fort à aimer me contraint Celle à qui j'ai voué amitié éternelle Telle que ni le temps, ni la mort ne sauroit Consommer ni dissoudre un lien si étroit De la sainte union de mon amour fidèle. IX Amour vomit sur moi sa fureur et sa rage ; Ayant, un jour, du front son bandeau délié, Voyant que ne m'étais sous lui humilié Et que ne lui avais encore fait hommage, Il me saisit au corps et en cet avantage M'a les pieds et les mains garrotté et hé ; De l'or de vos cheveux plus qu'or fin délié, Il s'est voulu servir pour faire son cordage. Puis donc que vos cheveux ont été mon lien, Madame, faites-moi, je vous prie, tant de bien, Si ne voulez souffrir que maintenant je meure, Que j'aie pour faveur un bracelet de vous, Qui puisse témoigner dorénavant à tous Qu'à perpétuité votre esclave demeure. X Ou soit que la clarté du soleil radieux Reluise dessus nous, ou soit que la nuit sombre Lui efface son jour et de son obscure ombre Renoircisse le rond de la voûte des deux, Ou soit que le dormir s'écoule dans mes yeux, Soit que de mes malheurs je recherche le nombre, Je ne puis éviter à ce mortel encombre, Ni arrêter le cours de mon mal ennuyeux. D'un malheureux destin la fortune cruelle Sans cesse me poursuit et toujours me martèle ; Ainsi journellement renaissent tous mes maux. Mais si ces passions qui m'ont l'âme asservie, Ne soulagent un peu ma misérable vie, Vienne, vienne la mort pour finir mes travaux. XI Passant dernièrement des Alpes au travers - J'entends ces Alpes hauts dont les roches cornues Paraissent en hauteur outrepasser les nues - Lorsqu'ils étaient encor de neige tout couverts, J'aperçus deux effets étrangement divers, Et choses que je crois jamais n'être advenues Ailleurs, car par le feu les neiges sont fondues, Le chaud passe le froid par tout cet univers. Autre preuve j'en fis que je n'eusse pu croire : La neige dans le feu, son élément contraire, Et moi dedans le froid de la neige, brûler Sans que la neige en fut nullement consumée ; Puis tout en un instant cette flamme allumée M'environnait de feu et me faisait geler. XII Madame, j'ai regret de quoi je n'ai cet heur De trouver le moyen de vous faire connaître De quelle affection je désire vous être Perpétuellement fidèle serviteur. Ma grande affection est au comble et hauteur De sa perfection, elle ne peut plus croître : Raison en fut la mère, et d'elle elle fit naître Ce désir que je porte enclos dedans le cour. L'Amour qui engendra ce désir-là, Madame, Se fit maître de moi, se saisit de mon âme Dès lors que vos beautés que l'on doit admirer Furent sans y penser de mes yeux aperçues ; Soudain que par les yeux le cour les eût reçues, Il n'a depuis rien fait sinon les adorer. XIII Plutôt la mort me vienne dévorer Et engloutir dans l'abîme profonde Du gouffre obscur de l'oblivieuse onde Qu'autre que toi l'on me voie adorer. Mon bracelet, je te veux honorer Comme mon plus précieux en ce monde : Aussi viens-tu d'une perruque blonde Qui pourrait l'or le plus beau redorer. Mon bracelet, mon cher mignon, je t'aime Plus que mes yeux, que mon cour, ni moi-même, Et me seras à jamais aussi cher Que de mes yeux m'est chère la prunelle, Si que le temps ni autre amour nouvelle Ne te feront de mon bras délâcher. XIV J'aime le vert laurier dont l'hiver ni la glace N'effacent la verdeur en tout victorieuse, Montrant l'éternité à jamais bienheureuse Que le temps, ni la mort, ne change, ni efface. J'aime du houx aussi la toujours verte face, Les poignants aiguillons de sa feuille épineuse ; J'aime le lierre aussi et sa branche amoureuse Qui le chêne ou le mur étroitement embrasse. J'aime bien tous ces trois, qui toujours verts ressemblent Aux pensers immortels qui dedans moi s'assemblent, De toi que nuit et jour, idolâtre, j'adore ; Mais ma plaie, et pointure, et le Noud qui me serre, Est plus verte, et poignante, et plus étroite encore Que n'est le vert laurier, ni le houx, ni le lierre. XV Jusqu'aux autels je n'irai seulement Me présenter victime au sacrifice ; Plus outre encor pour vous faire service, J'irai, Madame, affectionnément. Je suis à vous dédié tellement Que je ne crains gêne, mort, ou supplice ; Ce m'est assez, mais qu'en mourant je puisse Vous apporter quelque contentement. Longtemps y a que je porte, Madame -, Vous le savez - ce désir en mon âme, A tout le moins vous le devez savoir. Je suis toujours en cette même envie, Et si ne puis autre vouloir avoir Que d'employer en vous servant ma vie. XVI Que n'ai-je mes esprits un peu plus endormis, Mon cerveau plus pesant, et l'âme plus grossière Pour ne sentir si fort une douleur meurtrière, Qui fait que sans repos, languissant je gémis. Mes sens sensibles trop, ce sont mes ennemis Qui, époints jusqu'au vif d'une douleur trop fière, Ont perdu le repos, la liberté première, Pour trop sentir le mal qu'en eux ils ont permis. Si je n'eusse à clair vu ta grâce et ton mérite, Mon mal serait léger, et ma peine petite ; Mais pour voir, pour connaître et sentir jusqu'au fond Ta grâce, ta valeur, ta rigueur ennemie, Mes yeux, esprits et sens, trop clairs, trop vifs, trop prompts, Sont meurtriers, sont tyrans, sont bourreaux de ma vie. XVII Maudirai-je, Madame, ou le sort envers moi Cruel et inhumain, ou ma triste aventure Qui fait que de tout temps, misérable, j'endure Mille et mille tourments sous l'amoureuse loi ? Maudirai-je l'amour, maudirai-je de toi La grâce ou la rigueur et trop douce et trop dure ? Maudirai-je de moi une encline nature A suivre et recevoir le mal que je reçois ? Ah non ! je ne saurais autre chose maudire Que ce même qu'en moi, de plus rare, j'admire ! C'est mon affection, ma constance, et ma foi. Car tout aussi soudain qu'une maîtresse j'aime D'une ferme constance et d'un amour extrême, Soudain le sort cruel la retire de moi. XVIII Avec ton cher portrait, qui dans mon âme éprise Est mieux peint qu'il n'est peint dans ton présent si cher, Tu fis sur le dehors tailler un dur rocher, Devise que la foi constante a toujours prise. Le flot, le vent, la foudre, un dur rocher ne brise, Ta foi du temps faucheur fait l'acier reboucher Mais lors il me fallut d'autres marques chercher Pour ma foi qui l'acier du même temps méprise. Avec mon portrait même en basse taille donc Des figures tu vis, qui ne furent adonc Selon mon vrai projet par vers bien découvertes. Pour renfort des premiers, ces vers-ci que tu lis, Puissent rendre envers toi ces choses que tu vis, Avec ma foi, mon âme, et mon cour, plus ouvertes XIX Afin qu'en cet ouvrage, aux faces de dehors, Selon l'an, l'une à l'autre accordance se treuve, Dans deux temples divers se fait la double épreuve De deux effets d'aimer, plus étroits et plus forts : De Pylade et d'Oreste un débat sur leurs morts. Dans le temple Taurique, une extrême foi preuve ; Dans le temple Troyen, d'un Chorèbe s'épreuve L'amour, qui fait son cour n'avoir soin de son corps. Ouvrant l'ouvrage, on voit une foi plus étreinte, Qui à toi, par Diane en l'un des côtés peinte, Sur un autel de Foi, quand même il se ferait Pour elle autel de mort, jusqu'à tout est jurée, Et qui là sur toute autre amour fort assurée, De mort, et de toute autre amour, triompherait. XX Des trois sortes d'aimer, la première exprimée En ceci, c'est l'instinct, qui peut le plus mouvoir L'homme envers l'homme, alors que d'un hautain devoir La propre vie est moins qu'une autre vie aimée. L'autre moindre, et plus fort toutefois enflammée, C'est l'amour que peut plus l'homme à la femme avoir. La tierce c'est la nôtre, ayant un tel pouvoir, De la femme la foi vers la femme animée. Que des deux hommes donc taillés ici, les nouds Tant forts cèdent à nous ! Que sur tes ardents feux - O amour - cet amour entier soit encor maître. L'autel même de mort ferait foi de ceci, Que l'autel de Foi montre. A jamais donc ainsi Diane en Anne, et Anne en Diane puisse être. XXI Je vivais mais je meurs, et mon cour, gouverneur De ces membres, se loge autre part ; je te prie, Si tu veux que j'achève en ce monde ma vie, Rends-le moi, ou me rends, au lieu de lui, ton cour. Ainsi tu me rendras à moi-même, et tel heur Te rendras même à toi ; ainsi l'amour qui lie Le seul amant, liera et l'amant et l'amie. Autrement ta rigueur ferait double malheur, Car tu perdras tous deux : moi premier qui trop t'aime Et toi qui, n'aimant rien, voudras haïr toi-même. Mais, las ! si l'on reproche à l'un et l'autre un jour, Et l'une et l'autre faute, à moi qui trop t'estime, A toi qui trop me hais, plus grand sera ton crime, D'autant plus que la haine est pire que l'amour. XXII Quelle humeur, mais quel crime alors qu'on se dispense D'éventer les faveurs qu'on reçoit en amour, Qu'on ouvre au bruit la voie, et que d'un heureux tour Moins que du bruit, de l'heur être heureux on se pense, Qu'on ravit, sacrilège, à l'amour le silence Qui le garde et l'escorte, épiant tout autour ; L'odeur qu'au jour on met se perd de jour en jour, Le découvert trésor souvent son maître offense. Par cet heur, par cet art de celer et tâcher Que tel bien puisse même à Phébus se cacher. Qui voit, comme il vit Mars et Vénus, toute chose, On bannit hors d'amour tout mal qui lui fait tort, Dol, blâme, change, envie, effroi, remords et mort, Et des deux parts, maîtresse, on double l'ardeur close. XXIII Quel heur, Anchise, à toi, quand Vénus sur les bords Du Sïmoente vint son cour à ton cour joindre ! Quel heur à toi, Paris, quand Onone un peu moindre Que l'autre, en toi, berger, chercha pareils accords ! Heureux te fit la Lune, Endymion, alors Que tant de nuits sa bouche à toi se vint rejoindre ! Tu fus, Céphale, heureux, quand l'amour vint époindre L'Aurore sur ton veuf, et pâle, et triste corps ! Ces quatre, étant mortels, des Déesses se virent Aimés, mais leurs amours assez ne se couvrirent. Au silence est mon bien : par lui, Maîtresse, à toi Dans mon cour plein, content et couvert, je n'égale Vénus, Onone, Lune, Aurore, ni à moi Leur Anchise, Paris, Endymion, Céphale. XXIV Je te rends grâce, Amour, et quiconque des Dieux Favorise aux amants, non de la Dame acquise Par moi, qui de vous, Dieux, devait être conquise, Tant sa grâce et beauté se rend digne des Cieux ; Non pour l'espoir que j'ai qu'elle, qui par ses yeux Pleins de rais et de feux mon cour sans cesse attise, Pourra mieux apaiser la flamme en l'âme éprise Pour, même en l'apaisant, l'attiser encor mieux. Tels bienfaits envers vous étreignent mon service, O Dieu, ô cher Amour ! Mais plus grand bénéfice Ce m'est que vous couvrez ma flamme aux yeux de tous. Mon heur être céleste et divin je proteste ; Si donc à tous mortels vous cachez l'heur céleste, A tous mortels cachez l'heur qui m'égale à vous. XXV La roche du Caucase où du vieil Prométhée L'aigle vengeur sans fin va le cour becquetant Et la roche où Sisyphe en vain va remontant, Lâchant toujours au haut sa pierre en vain portée, Vont à plusieurs amants dont l'âme est tourmentée, Ou bien se feint de l'être, un sujet apportant, Montrant qu'ils vont encor la peine surmontant, Qui aux deux roches fut à ces deux arrêtée. Moi qui ne veux point feindre un tel mal, pour objet De mes yeux, pour seul but de mon cour, pour sujet De mes vers, j'ai la roche où d'une ardeur extrême Je prétends tout ainsi qu'on ferait au sommet Du rocher épineux où la vertu l'on met. Aussi si j'y atteins, j'atteins la vertu même. XXVI Des maux qu'un désespoir ou qu'un espoir contraire, Coup sur coup dedans moi l'un de l'autre naissant, M'enflammant de désirs et de pleurs me glaçant, Par frissons, par brasiers continus m'ont pu faire, Des maux que j'ai soufferts pour voir maint adversaire S'opposer à mon but, et des maux plus puissants Dont tes beaux traits, sans fin dans mon cour repassant, Semblent en lui ma vie et défaire et refaire, De mes ennuis, chagrins, regrets, fureurs, douleurs, Langueurs, pleurs et sanglots, enfants de mes malheurs, Ni du cruel délai s'il faut encor attendre, Je ne me plains pourvu qu'un Oui, qu'un Nenni Me fasse heureuse vie ou mort heureuse prendre, Mort qui de vie égale à cent morts m'ait banni. XXVII En ce jour que le bois, le champ, le pré verdoie Et qu'en signe d'un vert tant désirable et gai, Avec maint ardent vou l'amant plante son mai Pour marque que l'amour reverdissant flamboie, Le ciel au lieu de moi dedans ton cour envoie Pour mai un bon vouloir, et verdoyant, et vrai, Ayant vraie racine et qui sans long délai Porte à tous deux un fruit d'heur, d'amour et de joie. En un Printemps d'amour l'égard trop froidureux Des biens ne fasse naître un hiver malheureux. Aux riches nonchalants on voit les biens décroître ; Au cour et noble et vrai, par peine le bien croît ; Si par l'égard des biens le cour des tiens décroît, Par tel mai fais leur cour et mon espoir recroître. XXVIII Et quoi ? tu fuis Amour ? Dis-tu pas : et pourquoi ? Et n'est-ce pas celui qui règne et qui domine Bravement par-dessus cette ronde machine, Et qui tient tout le monde esclave sous sa loi ? Est-il Prince qui vive, Empereur, ni grand Roi, Qui dessous son pouvoir humblement ne s'incline ? Et tu dis que ton cour obstiné détermine De fuir cet Amour, le chassant loin de toi ? Contre toi, contre Amour, feras-tu la rebelle ? Tu n'es même qu'Amour, et l'Amour je t'appelle ; Il se campe, il se sied dedans toi ce vainqueur. Hélas ! je le sais bien, je l'ai vu en ta face Décocher mille traits de tes yeux en mon cour. Et quoi, le voudrais-tu déloger de sa place ? XXIX Celle qui est au vif de quelque amour atteinte, Quel Dieu ou quel Argus empêcher la pourrait D'accomplir un amour mutuel qu'elle auroit ? Amour donne toujours moyen à la contrainte. Mais qui a la vertu dans son cour bien empreinte Et qui ne veut aimer fors que ce qu'elle doit, Quel Dieu, quel Jupiter rallumer lui feroit D'un autre amour le feu de sa poitrine sainte ? Que sert doncques le guet, ou Argus aux cent yeux Le fort de la vertu immuable vaut mieux : Argus s'aveugla bien par le saint caducée. Dont ce temps, dont mon sort, dont mon aigreur Ni une pluie d'or au giron amassée Puisse contraindre ou vaincre un vouloir en amour. XXX Comme un qui s'est perdu dans la forêt profonde, Loin de chemin, d'orée, et d'adresse, et de gens, Comme un qui en la mer grosse d'horribles vents Se voit presque engloutir des grands vagues de l'onde, Comme un qui erre aux champs lorsque la nuit au monde Ravit toute clarté, j'avais perdu longtemps Voie, route et lumière, et presque avec le sens Perdu longtemps l'objet où plus mon heur se fonde. Mais quand on voit - ayant ces maux fini leur tour - Aux bois, en mer, aux champs, le bout, le port, le jour, Ce bien présent plus grand que son mal on vient croire. Moi donc qui ai tout tel en votre absence été, J'oublie, en revoyant votre heureuse clarté, Forêt, tourmente, et nuit, longue, orageuse et noire. XXXI En mon cour, en mon chef, l'un source de la vie, L'autre siège de l'âme, un amour haut et saint Votre sacré portrait a si vivement peint Que par mort ne sera sa peinture ravie. Car l'une n'étant point à la mort asservie, Ce qui est peint au vif dedans elle, et empreint Au cour dans le désir qui ne peut être éteint Sans l'âme, en l'âme vit bien que le corps dévie. Mais las ! l'oil de mon corps, qui ne se peut passer De voir incessamment ce que voit son penser, Fait qu'avec telle ardeur je vous requiers tel gage. Votre image, de grâce, au corps ne refusez Ou bientôt par langueur, si de refus usez, II verra l'âme au ciel emporter votre image. XXXII Allez, mes vers, enfants d'un deuil tant ennuyeux Que mon pleur plus que l'encre amoitit cette carte ! Las, allez ! Puisqu'il faut que mon Soleil s'écarte, Accompagnez la nue épaisse de mes yeux ! Allez mes pleurs, sourdant d'un cour tant curieux De ces beaux rais qu'il faut qu'avecques eux il parte ! Allez doncques, mon cour, l'âme ferait la quarte, Mais dans moi ce Soleil veut s'en servir bien mieux ! Or puisqu'il faut que vif, en mourant, je demeure, De peur que le renom d'un si beau feu ne meure, Allez tous trois, au moins dire jusqu'en ce lieu, Dont le vers, l'oil, le cour, et l'âme anend sa force, Le triste mot, hélas ! Vous ne pouvez qu'on force Ce qui nuit ! Dites donc : adieu, mon Dieu, adieu. XXXIII Il faut que pour ton mai quiconque soit celui, Madame, qui plus digne en son esprit t'adore, D'un vert et grand laurier à ta porte il honore Ton beau nom, tes beautés, tes vertus aujourd'hui. Si mon double laurier sèche presque d'ennui, Dont ce temps, dont mon sort, dont mon aigreur dévore Sa verdeur et grandeur, si crois-tu faire encore Qu'Apollon et Mars même auront honneur en lui. Mais il faut que cet autre en plantant ce mai brave, Ces vers-ci pris de moi dedans Pécorce il grave : Au nom pour qui l'honneur des Françoises fut tel, Aux beautés, aux vertus, de notre temps la gloire, Pour trois couronnes faire à la triplé victoire, Voué, sacré, planté fut cet arbre immortel. XXXIV Recherche qui voudra cet Amour qui domine Comme l'on dit, les Dieux, les hommes, les esprits, Qu'on feint le premier né des Dieux, et qui a pris Eternellement soin de cette grand'machine, Dont l'arc, le trait, la trousse et la torche divine N'a rien que la vertu pour son but et son prix, Sans passions, douleurs, remords, larmes et cris : Quant à moi, je croirai que tel on l'imagine, Et qu'au monde il n'est point. Quant aux fausses amorces De l'autre aveugle Amour, j'en dépite les forces. Mais je crois si Amour aucun nous vient des Cieux, C'est lorsque deux moitiés par mariage unies Quittent pour l'amour vrai dont se paissent leurs vies Tout amour fantastique et tout amour sans yeux. XXXV Pourrais-je voir l'heureuse et fatale journée Où deux âmes, deux cours et deux corps enlacés Dans le beau ret d'amour se verront caressés Egalement tous deux du doux nom d'Hyménée, Lorsqu'étant avec Anne Antoinette enchaînée Tous nos esprits seront l'un de l'autre embrassés, Et mêlés l'un dans l'autre, et sans être lassés De connaître l'autre âme être pour l'autre née ? Plutôt que ce doux bien m'échappe hors des mains Et qu'Amour et les Dieux me soient tant inhumains, Je désire, ô Amour, que tu changes ta flèche A celle de la Mort, afin de m'en tuer ; Mais, si tu fais ce bien, que, pour perpétuer Ton fait, jamais la Mort n'y puisse faire brèche. XXXVI Tout cet hiver par l'âpre et l'aigre véhémence De longue maladie a sur moi tempêté Plus que sur un vaisseau dans la mer tourmenté N'eût fait son orageuse et froide violence. Mais de mes maux le pire était la dure absence De mon Soleil sans qui je haïrais la clarté De l'autre qui, m'ayant son printemps présenté, De ma Dame me rend quant et quant la présence. Mais comme de l'hiver la queue on voit durer, Le printemps fait mon corps aussi bien endurer Que l'hiver et le Ciel de mes maux ne se lasse. Or si ma faute, hélas ! faite en mon long séjour, De ne voir mon Soleil le rend trouble au retour, Mon malheur du printemps mes maux de l'hiver passe. XXXVII Sans pleurer - car je hais la coutumière feinte De nos amants, qui n'ont que leurs pleurs pour sujet - D'un cour ardent, dolent, dévot, soumis, abjet, Je me jette aux saints pieds de toi, maîtresse sainte. La feinte n'a mon âme à tel acte contrainte : Tel esprit ne peut être à la feinte sujet, Mais jà depuis cinq mois j'ai toujours pour objet Ma faute qui s'est même à telle amende étreinte. Pardonne donc, Déesse, accuse mon malheur, Non pas moi, dont le Ciel jaloux empêche l'heur, Si tu dis mes malheurs chasser ta bienveillance. Vu qu'on ne doit l'amant si malheureux aimer, Viens ton cour pour mon bien contre mon mal armer : J'aurai du bien le comble, et du mal la vengeance. XXXVIII Quand ton nom je veux feindre, ô Françoise divine, Des Françaises l'honneur, je puis bien te nommer Vénus pour tes beautés, mais ta façon d'aimer Ne convient point au nom de Vénus la marine ; De l'attique Pallas, ta voix et ta doctrine Mérite encor le nom, mais tu ne veux t'armer Fors des rais de tes yeux dont tu viens enflammer Dans mon cerveau mon sens, mon cour dans ma poitrine. Diane délienne, un presque pareil port Te peut faire appeler, mais l'aigre ou le doux sort Dessous le joug d'Hymen dès longtemps te rend serve. Je veux - laissant aux Grecs dont ces noms sont venus Leurs Déesses - te dire et Françoise Vénus, Et Françoise Diane, et Françoise Minerve. XXXIX Admirant ta blancheur, beauté, majesté, gloire, Qui sur ton front placée orgueillit tout ton port, Et ce qui de l'esprit comme un oracle sort, Car c'est un Dieu renclos qui meut ce corps d'ivoire, Digne de te servir je ne me saurais croire, Eussé-je un cour plus haut et tout un autre sort Et mon corps logea-t-il pour te venger de mon Quelque grand' Muse, fille et mère de Mémoire. Comme de te servir indigne je me sens, Je sens pour te louer incapables mes sens ; Si faut-il que je t'aime et faut que je te chante. Ta faveur qui fera mon humblesse hausser, Ta déité qui fait mon esprit renforcer, Rend mon service digne, et ma Muse puissante. XL De moi-même je suis dévotieux, Madame ; C'est d'où me vient vers toi telle adoration. Mais ce Saint Jour requiert autre dévotion Si mon amour pour toi n'occupait toute l'âme. Ce prompt Démon qui voit que mon zèle j'enflamme, Baisant la croix, oyant la sainte Passion, De sa flamme jaloux, vient par tentation Mon esprit retirer de l'autre Sainte Flamme. Il m'offre hélas ! la croix qu'il me faudrait porter Si tu me viens ta grâce et ta présence ôter, Me faisant de ton ciel redescendre en la terre. Jà la peur, mon tyran, crucifier me veut, Et ma croix enserrer dans un enfer me peut Au lieu que l'autre croix hors d'enfer nous desserre. XLI Sappho, la docte Grecque à qui Phaon vint plaire Chantant ses feux, de Muse acquêta le surnom ; Corrine vraie ou fausse aux vers a pris renom, Dont le Romain Ovide a voulu la portraire. Pétrarque Italien, pour un Phébus se faire, De l'immortel laurier alla choisir le nom ; Notre Ronsard Français ne tâche aussi sinon Par l'amour de Cassandre un Phébus contrefaire. Si tu daignes m'aimer, Défie, si tu veux Chanter ta flamme ainsi que docte tu le peux, Si je chante Délie, un prix nous pourrons prendre En hautesse d'amour, en ardeur, et en art, Sur Sappho, sur Ovide, et Pétrarque, et Ronsard, Sur Phaon, et Corrine, et sur Laure, et Cassandre. XLII Je me trouve et me perds, je m'assure et m'effroie, En ma mort je revis, je vois sans penser voir, Car tu as d'éclairer et d'obscurcir pouvoir, Mais tout orage noir et rouge éclair flamboie. Mon front qui cache et montre avec tristesse, joie, Le silence parlant, l'ignorance au savoir Témoignent mon hautain et mon humble devoir : Tel est tout cour qu'espoir et désespoir guerroie. Fier en ma honte et plein de frissons chaleureux, Blâmant, louant, fuyant, cherchant l'art amoureux, Demi-brut, demi-dieu je suis devant ta face, Quand d'un oil favorable et rigoureux, je crois, Au retour tu me vois, moi las ! qui ne suis moi : O clairvoyant aveugle, ô Amour, flamme et glace ! XLIII Je ne suis de ceux-là que tu m'as dit se plaindre Que leur Dame jamais ne leur donna martel ; Vu l'âme véhémente, un dur martel m'est tel Qu'il peut plus à la mort qu'à l'amour me contraindre. S'il peut doncques l'amour avec ma vie éteindre, En tout amour je chasse un poison si mortel ; Puis ayant mon sujet haut, céleste, immortel, Humble et petit, pourrais-je en moi tel mal empreindre ? Mais las ! d'avoir peur d'être en ton cour effacé, Craindre qu'un Delta double en chiffre entrelacé Ne soit plus pour mon nom, craindre qu'en ton absence Tu ne me fasses plus tes lettres recevoir, Ce n'est pas un martel, c'est d'amour le devoir Qui montre en froide peur l'ardente révérence. XLIV Aux communes douleurs qui poindre en ce jour viennent Tous cours chrétiens, Pétrarque alla chanter qu'il prit De ses douleurs la source, et par là nous apprit Que les ruses d'Amour dépourvus nous surprennent. En ces jours où les cieux, la mort, les pleurs retiennent Nos cours ardents, quel heu reste au feu qui l'éprit ? Il ne se gardait pas du lacs qui le surprit Non plus que moi des rets qui plus fort me reprennent. Bien qu'Amour sache assez qu'il est en moi trop fort, Pour croître du tourment, non du désir, l'effort, Il arme la peur froide, et l'aigre défiance. Pétrarque à l'heure eût pu perdre sans grand'douleur L'heur inconnu ; ma perte aurait, las ! ce malheur D'avoir de l'heur perdu si haute connaissance. XLV Par quel sort, par quel art pourrais-je à ton cour rendre, Au moins s'il peut vers moi s'engourdir de froideur, Cette vive, gentille et vertueuse ardeur Qui vint pour moi soudain de soi-même s'éprendre ? Et quoi ? la pourrais-tu comme auparavant prendre Pour fatale rencontre, et parlant en rondeur D'esprit, comme je crois la juger pour grand heur, Qui plus à ton esprit contentement engendre ? Tel que je m'en sentais, indigne je m'en sens, Mais de ta foi ma foi s'accroît avec le temps. Quel moyen donc ? si c'est par grandeur, je le quitte ; Si par armes et gloire, au haut cour nos malheurs S'opposent ; si par vers, tu as des vers meilleurs. Ton haut jugement peut sauver seul mon mérite. XLVI Chaque temple en ce jour donne argument fort ample De joie, refaisant son haut faîte sonner Et d'un chant gai son chour et sa nef résonner, Où chaque image à nu découverte on contemple. En l'église je prends de l'Eglise l'exemple : Je veux le deuil, la peur, la peine abandonner, Et en blancheur soudain telle noirceur tourner Si je te puis sans robe adorer dans ton temple. Le grand jour de demain disposé d'être beau Peut avec un printemps me tirer du tombeau Si de vaincre ma mort tu prends soudaine envie : Je dirai, sans vouloir rien à Dieu comparer, Que s'il peut revivant nos vies réparer, Revivant par toi-même, à toi je rendrai vie. XLVII En tous maux que peut faire un amoureux orage Pleuvoir dessus ma tête, il me plaît d'assurer Et séréner mon front, et sans deuil mesurer De l'âme l'allégresse à celle du visage. Ta fille tendrelette, admirable en cet âge Où elle tète encor, vient tes coups endurer Sur ses petites mains, sans crier, sans pleurer, Sans frayeur, sans aigrir visage ni courage. Pour te baiser, son col allonger tu lui vois A chaque coup de bust qu'elle sent sur ses doigts Quand, mauvaise, tu fais un jeu de lui mal faire. De geste tout pareil, quand tu viendras user De rudesse envers moi, je veux tes mains baiser, Si un baiser meilleur au moins ne te vient plaire. |
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Etienne Jodelle (1532 - 1573) |
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Portrait de Etienne Jodelle | |||||||||
Biographie / Ouvres1532 BibliographiePoète et dramaturge français, l'une des gloires - mais la plus méconnue - de la Pléiade, Jodelle est aussi musicien, peintre, architecte, orateur et « vaillant aux armes ». Élève de Muret au collège de Boncourt, il fait jouer dès l'âge de vingt ans une pièce, Eugène, première tentative pour créer une comédie nationale. Jodelle semble avoir écrit une autre comédie, La Rencontre, qui, elle, est perd |
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