Etienne Jodelle |
L'Esprit auquel les Dieux et la Nature, L'astre bénin, la sage nourriture, L'art et l'expérience Ont fait tant d'heur que son désir suprême Recherche en tout la perfection même De qui tient son essence, Bien qu'en son choix tantôt il se propose Pour objet l'une et tantôt l'autre chose, Variable en son change Comme de tout le cours est variable, Il est pourtant en son but immuable Et jamais ne s'y change. C'est son seul but que d'aimer et de suivre L'objet parfait et en lui toujours vivre Tant que parfait il dure ; Mais quand l'objet se change avecques l'âge, De changer lors ce n'est de lui l'outrage, Mais c'est du temps l'injure. Je ne veux point prendre tant d'arrogance Que de vouloir que parfait on me pense, Mais il faut que je die Que rien ne peut, fors la chose parfaite, Ni me ravir, ni rendre au joug sujette Ma raison et ma vie. Celui qui sait l'architecture antique, Corinthienne, ionique, dorique, Aussitôt qu'il découvre Quelque palais où l'ordre et où la grâce Est offensée, aussitôt il se lasse Du regard d'un telle oeuvre. Et quand le Temps ravisseur, qui dévore Tout ouvre beau, nous laisse voir encore Dedans quelque ruine La beauté grande et l'art d'un édifice Qui par les traits de quelque frontispice Tout entier se devine, On juge bien pour lors que chose telle Durant son temps fut parfaitement belle ; Mais quant à la demeure, Nul en ce lieu ne peut choisir son aise Et n'y a nul à qui tout ce heu plaise Si ce n'est pour une heure. Celui qui sait l'architecture vraie De cet Amour que ma loi veut que j'aie Du défaut se retire, Et quand il voit des choses les mieux nées Par tant de temps de grâces ruinées, Sans aimer il admire. Je sais fort bien reconnaître une Dame, Soit quant au corps, soit même quant à l'âme, Quelle les Dieux l'ont faite ; Je sais encor les fautes mieux connaître, J'en sais l'Idée et sais ce qu'il faut être Avant qu'être parfaite. Vivant toujours en la constance vraie De n'aimer rien que paravant je n'aie Des perfections preuve, Je sais choisir ou bien rejeter celle Qui est parfaite ou vulgairement belle Sans que pris je me treuve. Ayant choisi, moi-même je viens rendre, Et en prenant moi-même me sens prendre Si fort que l'âme mienne, Ayant trouvé le bien qu'elle désire, Ayant atteint le but où elle tire, Se fait serve à la sienne. Tout autant vit l'affection extrême Dans moi que vit la perfection même ; Mais avec la ruine, Tant des beautés qui tout le corps décorent Que des beautés qui tout l'esprit honorent, L'affection décline. Je ne fais plus que remarquer les traces Où j'avais vu paravant tant de grâces, Et louant tout l'ouvrage, Je suis marri que notre grande ouvrière Ne fait durer la beauté journalière Contre l'effort de l'âge. J'accuse encor la céleste ordonnance D'avoir comblé d'une telle abondance Et ce corps, et cette âme, Pour tout soudain ses bienfaits en retraire Et leur laisser seulement au contraire Le regret et le blâme. Lors en gardant ma constance première, Je sors de là pour jeter ma lumière Sur quelque autre excellence, Car de vouloir tant seulement pour une Garder en moi la constance commune Ce serait inconstance. Lorsque premier de moi tu fus choisie, Tu enflambais le Ciel de jalousie Tant tu étais parfaite ; Alors tu fus digne objet de mon âme Puisque le Ciel ne veut qu'elle s'enflamme D'une chose imparfaite. Mais maintenant que l'on voit inconstante Cette beauté et qu'on voit permanente Dans moi la brave chasse Dont je poursuis toujours un bien suprême, Change avec moi en accusant toi-même Le cour comme la face. Tel sans raison le plus souvent accuse Qui a beaucoup plus de besoin d'excuse ; M'accusant de la sorte, Tu dois penser, puisque mon ardeur vive S'étend, qu'il faut que mon mal qui arrive De toi, non de moi, sorte. S'il sort de toi, tu es seule coupable Et moi je reste encore plus louable D'avoir telle constance Que mon amour qui fut vers toi si grande, Sur l'autre Amour qui sans fin me commande, N'a point eu de puissance. Toi, donc, au lieu de souffrir quelque peine, Soit du regret de cette beauté vaine, Soit de moi qui se change, Réjouis-toi d'avoir été servie D'ami parfait, puisque toute sa vie Au seul parfait se range. Et t'enrôlant au nombre des parfaites, Moque-toi lors de tes beautés défaites Ainsi que de fumées, Et crois que Dieu toutes beautés volages Eût fait durer s'il voulait qu'en tous âges Nous vous eussions aimées. Car quoi qu'on die il faut que l'on confesse Que quand on met l'amour en la maîtresse, La beauté le fait faire ; Si la beauté de son sujet s'étrange, Il faut qu'Amour avec l'objet se change, C'est chose nécessaire. Et quand quelqu'un de sa maîtresse âgée Ne veut en soi voir la flamme changée Jusqu'à la sépulture, Il n'en faut pas une constance faire : C'est s'obstiner et se rendre contraire Aux lois de la Nature. Et si tu dis que je t'aimais à l'heure Pour le seul corps et que l'amour meilleure Ne se voit si légère, Je le veux bien ; mais s'il faut que je t'aime D'esprit, encore je t'aimerai de même Que j'aimerais ma mère. Mêmes encore (qui est-ce qui l'ignore ?) Leur âge vieil, qui les femmes dédore Tout ainsi qu'une image, Leur ôte aussi de l'esprit l'allégresse : Appelle donc l'amour vers la vieillesse Aveuglement et rage. Si tu me dis que tout ce discours montre Que je fais cas de la seule rencontre Sans en aimer pas une, Vu que jamais on ne vit en ce monde Rien de parfait et vu que là je fonde Cette Amour non commune, J'entends d'autant que l'homme on peut connaître, J'entends d'autant que parfaite peut être Notre essence mortelle, Autant qu'était parfaite en tout la tienne Et autant qu'est parfaite encor la mienne, Aimant d'une Amour telle. |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Etienne Jodelle (1532 - 1573) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Etienne Jodelle | |||||||||
Biographie / Ouvres1532 BibliographiePoète et dramaturge français, l'une des gloires - mais la plus méconnue - de la Pléiade, Jodelle est aussi musicien, peintre, architecte, orateur et « vaillant aux armes ». Élève de Muret au collège de Boncourt, il fait jouer dès l'âge de vingt ans une pièce, Eugène, première tentative pour créer une comédie nationale. Jodelle semble avoir écrit une autre comédie, La Rencontre, qui, elle, est perd |
|||||||||