Etienne Jodelle |
Sans être esclave, et sans toutefois être Seul de mon bien, seul de mon cour le maître, Je me plais à servir, Car celle-là que j'aime, et sers, et prise Plus que tout bien, plus que toute franchise, Me peut à soi ravir. La liberté si chère se doit rendre Que pour tout or ne se doit jamais vendre, Mais la mienne je vends D'un plus cher prix que n'est toute richesse, Car ta beauté, qui même en est maîtresse, Est le prix que j'attends. C'est peu de cas qu'un tant aisé service Pour mériter par ta faveur propice De ta beauté le prix ; Ce prix si grand ne peut pas être même Prix de service, ains c'est un don extrême Qu'un service aurait pris. Sous un tel joug j'accours franc de courage ; Ma liberté se trouve en mon servage, Et quand mon cour voudrait Sans tel lien vivre en la servitude De l'amour faux, un joug cent fois plus rude Endurer lui faudrait. L'ardeur, le soin, la pipeuse espérance, Les chers présents, l'aigreur, la repentance, Et la honte, et la peur, Le martel âpre et le volage change, Le vain plaisir, c'est le joug où nous range Tout tel amour trompeur. Toujours l'Amour dans notre âme s'enflamme Car le désir, tierce part de notre âme, Est père des amours ; Mais celui-là sage et heureux me semble Qui en lieu sûr tout son désir rassemble Sans l'écarter toujours. Celui, je crois, qui est né pour poursuivre Plusieurs amours, semblable n'a pu vivre Aux farouches poulains En dédaignant les beautés et caresses, Vu que nos cours sont même en nos jeunesses De tels désirs tout pleins. Moi maintenant, combien que passé j'aie Des premiers ans la saison la plus gaie, En mes ans les plus forts, Non au poulain semblable je veux être Mais au cheval qui brave sert son maître Et se plaît en son mors. Ayant henni de joie après sa bride, Connaît la main qui adroite le guide ; Le peuple à l'environ L'orgueil premier de son marcher admire Et plus encore quand on le volte et vire Au gré de l'éperon. Laissant ce peuple en un moment derrière, Comme un vent vole au bout de sa carrière ; Les courbettes, les bonds, La bouche fraîche et l'haleine à toute heure Vont témoignant qu'en ouvre encor meilleure Il est bon sur les bons. Doux au monter et plus doux à l'étable, Au maniement et craintif et traitable, Aux combats furieux, Sans cesse il semble aspirer aux victoires, Presque jugeant que du maître les gloires Le rendront glorieux. Je ne suis pas présomptueux, de sorte Que tout ceci je veuille qu'on rapporte D'un tel cheval à moi ; Mais je dirai quel l'Amour qui commande A mon esprit ; autant comme il demande Le sent prompt à sa loi. Tel frein lui plaît, tel éperon l'excite ; Il s'orgueillit sous l'Amour du mérite De son gentil vouloir. Portant l'Amour, sa charge il ne dédaigne, Ains volontaire en sa sueur se baigne, S'en faisant plus valoir. Il brave, il vole, et dans moi bondit d'aise De ce qu'Amour a fait qu'il te complaise, Toi qui es son seul but ; Bien qu'il soit doux, l'Amour à la victoire Va l'animant, compagnon de sa gloire Comme auteur il en fut. Si beau sujet lui double son courage, Le cour doublé lui fait dans le visage Plus d'audace porter ; La raison marche avecques son attente D'un même pas puisqu'il croit que, contente Tu veux le contenter. Alors du tout sur lui tes deux beaux astres Luiront sans cesse, écartant tous désastres ; Et perdre il se viendra, O perte heureuse ! en tes lys, en tes roses, Car pour toujours l'heur de si rares choses Plus captif le rendra. J'ai fait assez à ma franchise apprendre Par mûrs discours que c'est ainsi se rendre Aux beaux rets que je vois ; Mais j'aime mieux être encor ton esclave Que de ce monde avoir le Roi plus brave Esclave dessous moi. Or adieu donc tout faux Amour qui mènes Aux ceps, aux fers, aux gênes, aux cadènes, Trop impiteux vainqueur ; Mon âme n'est forcère ou prisonnière, Ma Dame n'est corsaire ni geôlière, Mais garde de mon cour. Elle voudra, je crois, sur mon chef mettre Le Myrte heureux qu'Amour me veut promettre, Non le pied rude et fier ; Peut-être encore elle qui aiguillonne Dans moi l'honneur et l'audace me donne, Y mettra le laurier. Si donc pour toi je méprise et abhorre Toute autre amour qu'en moi je puis enclore, Si j'ai les yeux toujours Sur ton ponrait que mieux que dans une onde Je vois dans moi, fais que ton cour réponde Du tout à mes amours. Fais qu'en mon sort je ne rende vengée Toute autre amour par moi tant étrangée Comme Narcisse fit, Mais qu'à Pelée on me nomme sans cesse Semblable en heur, dont Téthis la Déesse Ne dédaigna le lit. Aux noces soit présent et favorable Chacun des Dieux, mais de si sainte table La Discorde soit loin ; Comme Thétis, ton ventre après fertile Dès l'an premier porte un petit Achille, Ton plaisir et ton soin. |
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Etienne Jodelle (1532 - 1573) |
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Portrait de Etienne Jodelle | |||||||||
Biographie / Ouvres1532 BibliographiePoète et dramaturge français, l'une des gloires - mais la plus méconnue - de la Pléiade, Jodelle est aussi musicien, peintre, architecte, orateur et « vaillant aux armes ». Élève de Muret au collège de Boncourt, il fait jouer dès l'âge de vingt ans une pièce, Eugène, première tentative pour créer une comédie nationale. Jodelle semble avoir écrit une autre comédie, La Rencontre, qui, elle, est perd |
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