Etienne Jodelle |
I Vous, ô Dieux, qui à vous presque égalé m'avez Et qu'on feint comme moi serfs de la Cyprienne, Et vous, doctes amants, qui d'ardeur délienne Vivant par mille morts vos ardeurs écrivez, Vous, esprits que la mort n'a point d'amour privés Et qui encor, au frais de l'ombre élyséenne, Rechantant par vos vers votre flamme ancienne, De vos pâles moitiés les ombres resuivez, Si quelquefois ces vers jusques au Ciel arrivent, Si pour jamais ces vers en notre monde vivent Et que jusqu'aux Enfers descende ma fureur, Appréhendez combien ma haine est équitable, Faites que de ma fausse ennemie exécrable Sans fin le Ciel, la Terre, et l'Enfer aient horreur. II O toi qui as, et pour mère, et pour père, De Jupiter le saint chef, et qui fais Quand il te plaît, et la guerre, et la paix, Si je suis tien, si seul je te révère, Et si pour toi je dépite la mère Du faux Amour, qui de feux, et de traits, De paix, de guerre, et rigueurs, et attraits Tâchait plonger ton poète en misère, Viens, viens ici, si venger tu me veux, De ta Gorgone épreins-moi les cheveux, De tes Dragons Torde panse pressure, Enivre-moi du fleuve neuf fois tors, Fais-moi vomir, contre une, telle ordure, Qui plus en cache, et en l'âme, et au corps. III Dès que ce Dieu sous qui la lourde masse De ce grand Tout brouillé s'écartela, Les deux plus hauts clairement étoila, Et d'animaux remplit la terre basse, Et dès que l'homme au portrait de sa face Heureusement sur la terre il moula, Duquel l'esprit presqu'au sien égala, Heurant ainsi sa plus prochaine race, Hélas ! ce Dieu, hélas ! ce Dieu vit bien Quel deviendrait cet homme terrien Qui plus en plus son intellect surhausse. Donc tout soudain la femme va bâtir Pour asservir l'homme et l'anéantir Aux faux cuider d'une volupté fausse. IV Je m'étais retiré du peuple et, solitaire, Je tâchais tous les jours de jouir saintement Des célestes vertus que jadis justement Jupiter retira des yeux du populaire. Jà les unes venaient devers moi se retraire, Les autres j'appelais de moment en moment Quand l'Amour, traître hélas ! - las trop fatalement ! - Te fit, ô ma Pandore, en mal'heure me plaire. Je vis, je vins, je pris, mais m'ouvrant ton vaisseau, Tu vins lâcher sur moi un escadron nouveau De vices monstrueux, qui mes vertus m'emblèrent. Ah ! si les Dieux ont fait pour même cruauté Deux Pandores, au moins que n'as-tu la beauté, Puisque de tout leur beau la première ils comblèrent ! V Myrrhe brûlait jadis d'une flamme enragée, Osant souiller au lit la place maternelle ; Scylle jadis, tondant la tête paternelle, Avait bien l'amour vraie en trahison changée ; Arachne, ayant des Arts la Déesse outragée, Enflait bien son gros fiel d'une fierté rebelle ; Gorgon s'horribla bien quand sa tête tant belle Se vit de noirs serpents en lieu de poil chargée ; Médée employa trop ses charmes et ses herbes Quand, brûlant Créon, Creuse et leurs palais superbes, Vengea sur eux la foi par Jason mal gardée. Mais tu es cent fois plus, sur ton point de vieillesse, Pute, traîtresse, fière, horrible, et charmeresse, Que Myrrhe, Scylle, Arachne, et Méduse, et Médée. VI O traîtres vers, trop traîtres contre moi, Qui souffle en vous une immortelle vie, Vous m'appâtez, et croissez mon envie, Me déguisant tout ce que j'aperçois. Je ne vois rien dedans elle pourquoi A l'aimer tant ma rage me convie ; Mais nonobstant ma pauvre âme asservie Ne me la feint telle que je la vois. C'est donc par vous, c'est par vous, traîtres carmes, Qui me liez moi-même dans mes charmes, Vous son seul fard, vous son seul ornement ; Jà si longtemps faisant d'un Diable un Ange, Vous m'ouvrez l'oil en l'injuste louange, Et m'aveuglez en l'injuste tourment. VII Combien de fois mes vers ont-ils doré Ces cheveux noirs dignes d'une Méduse ? Combien de fois ce teint noir qui m'amuse, Ai-je de lys et roses coloré ? Combien ce front de rides labouré Ai-je aplani ? Et quel a fait ma Muse Ce gros sourcil, où folle elle s'abuse, Ayant sur lui l'arc d'Amour figuré ? Quel ai-je fait son oil se renfonçant ? Quel ai-je fait son grand nez rougissant ? Quelle sa bouche ? Et ces noires dents, quelles ? Quel ai-je fait le reste de ce corps, Qui, me sentant endurer mille morts, Vivait heureux de mes peines mortelles ? |
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Etienne Jodelle (1532 - 1573) |
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Portrait de Etienne Jodelle | |||||||||
Biographie / Ouvres1532 BibliographiePoète et dramaturge français, l'une des gloires - mais la plus méconnue - de la Pléiade, Jodelle est aussi musicien, peintre, architecte, orateur et « vaillant aux armes ». Élève de Muret au collège de Boncourt, il fait jouer dès l'âge de vingt ans une pièce, Eugène, première tentative pour créer une comédie nationale. Jodelle semble avoir écrit une autre comédie, La Rencontre, qui, elle, est perd |
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