Etienne Jodelle |
Madame, si jamais ma douce liberté Dessous ta dure main esclave n'eût été, Si t'aimant seulement d'une fausse apparence Je n'eusse été captif au vrai sous ta puissance, Etant en ton endroit feint et de double cour Plutôt que vrai ami et loyal serviteur, Et si sans me piquer et sans jamais me prendre, J'eusse voulu tâcher amoureuse te rendre, Toujours feignant beaucoup et n'aimant que fort peu, Brûler dedans la glace, et glacer dans le feu, Ha ! je serais encor bienheureux en ta grâce Comme j'étais avant que si fort je t'aimasse ! Ou ne serais à toi si fort assujetti Que je ne puisse prendre ailleurs autre parti Ains demeurant toujours mon cour en sa franchise, Sans que j'eusse été pris, je te tiendrais éprise. Mais d'autant que j'ai mis sans fard, sans fiction, En toi seule mon cour et mon affection D'autant que je me suis d'un cour trop volontaire Rendu à toi captif plus que n'est le forfaire, Et que tu as connu que je n'avais en moi Autre espoir, autre amour, autre désir qu'en toi, Tu as soudain de moi détourné ton courage, Et ce qui te devait encore davantage Emouvoir à l'amour et ton cour enflammer, Cela t'a fait du tout délaisser à m'aimer. En toi qui paravant m'étais si favorable, J'ai vu un changement si bizarre et muable Que de ton feu premier je n'ai point aperçu Rien que la cendre morte en la place du feu ; Et ce qui t'a ainsi légèrement changée, Ce dont tu t'es sentie être plus outragée, Et ce qu'à mon amour m'a fait un plus grand tort, N'est sinon mon amour trop ardent et trop fort. Si je t'eusse porté l'amitié froide et lente, La tienne en eût été beaucoup plus violente, Si bien que sans aimer j'eusse aisément acquis Ton amour, qu'en aimant acquérir je ne puis : Et si j'eusse voulu dissimuler et feindre D'un cour traître et méchant et d'un parler non moindre, Je n'eusse été de toi aimé tant seulement Mais je t'eusse trompée aussi, bien aisément. Je sais ce que l'on dit, je sais ce qu'il faut faire Pour pouvoir lâchement les courages attraire ; Je sais la sotte ruse, le langage commun, Et les traits décevants desquels use un chacun, Qu'il ne faut que jamais l'amant se passionne, Et que pour être aimé il ne s'affectionne. Je crois bien que cela peut entrer dans le cour D'un lâche, d'un méchant, d'un traître, et d'un trompeur ; Mais moi qui ne suis né avec si méchante âme, Qui te voulais aimer et non tromper, ma Dame, Je pensais conserver ton amour par amour Et non pour te brasser et faire un méchant tour, Et croyais, en suivant la loi de la Nature, Que l'amour de l'amour reçût sa nourriture. Mais quoi ? je ne te fus jamais si odieux Qu'en ce temps (ô bon Dieu) que je t'aimais le mieux Je sais que rien en moi ne t'a pu tant déplaire Que tout ce que l'amour me contraignait à faire : La peur, la jalousie, et les mortels soupçons, Que tu nommais en moi si mauvaises façons, Qui te déplaisaient tant, n'était-ce l'Amour même Qui causait en mon cour ses furies extrêmes ? Et si je n'eusse été d'Amour époinçonné, Je n'eusse aussi de toi rien craint ni soupçonné. J'en avais bien raison : car déjà toi, légère, Commençais à changer ta volonté première, Et si mal satisfaire à l'amour mutuel Que tu n'avais plaisir qu'à me donner martel. Que si lors j'eusse été quelque trompeur ou traître, J'eusse bien fait semblant de rien n'y reconnaître ; Mais me sentant ainsi moquer et outrager, J'eusse épié le temps propre pour m'en venger ; Je ne l'ai pas voulu, et pour toute vengeance Je ne t'ai rien caché ni passé sous silence ; Et t'ayant découvert mon amour librement, La crainte et le soupçon d'où venait mon tourment, Je n'ai vu que l'amour et mon libre langage Qui t'aient hors de moi diverti le courage. Et si c'était Amour qui sans dissimuler Conduisait mes façons et me faisait parler, Alors que ma façon t'a été déplaisante ? Mon amour t'a déplu, sans fard, trop violente, Car ma voix et mon geste étaient tant seulement D'une si grande amour l'organe et l'instrument. Donques pour bien aimer je suis hors de ta grâce ? Et donques mon amour de ton amour me chasse ? O destin malheureux ! ô dure cruauté ! Malheureux fut le jour que je vis ta beauté, Malheureux fut le lieu de notre connaissance, Et moi plus malheureux d'être sous ta puissance. Car je ne puis, Madame, ores me délier, Je ne te puis laisser, je ne puis l'oublier, Et malgré tes rigueurs cruelles et étranges, Je ne te puis changer, encor que tu me changes : Il ne peut dans mon cour entrer autre que toi, Et toujours solitaire à part je ramentois Tes gracieux propos, et le privé langage Que tu tenais avant que changer de courage. Il me souvient encor du bien et du bonheur Que j'avais tous les jours recevant ta faveur, Quand ta main me serrant d'une étroite caresse Me faisait les serments d'une sainte promesse, Ou alors que ton bras, en gage de ta foi, Tant amoureusement s'étendait dessus moi, Ou quand ton ris, ton oil, et tes lèvres vermeilles Doucement me baisant me promettaient merveilles, Ou bien en ce temps-là que je chassais d'autour De toi ceux qui venaient pour te faire l'amour. Ah ! que ne suis-je mort en ce temps-là, Madame, Que nous étions tous deux esprits de même flamme, N'étant pas moins aimé que j'étais amoureux ! Ah ! que je fusse mort content et bienheureux ! Je n'aurais vu au temps de ma grande espérance, De ton plus grand amour et plus grande assurance, Où plus je devais être en ta foi assuré, Un autre ami à moi si soudain préféré, Ni je ne t'aurais vue, d'un cour parjure et traître, A moi, ton serviteur, telle faute commettre. O qui serait celui qui, de ce souvenir, De point ne larmoyer se pourrait contenir ? Je dépite le Ciel, la Fortune cruelle, Le destin, et le sort, qui pour être fidèle M'ordonnent maintenant d'endurer plus grand mal Que si j'avais été parjure et déloyal. Je dépite l'Enfer, car il n'est pas possible De me faire souffrir un tourment plus horrible, Pour le juste loyer d'un damnable forfait, Que celui que je sens pour avoir satisfait Au devoir, à l'amour, et à cette promesse Que je dois, que je porte, et garde à ma maîtresse ; Et faut, sans trouver foi en elle, ni amour, Que je lui sois fidèle et l'aime sans séjour ; Et que sans nul espoir de recouvrer sa grâce, En ce cruel enfer ma jeunesse se passe Sans pouvoir relier ma déjointe moitié, Ni sans pouvoir ailleurs chercher d'autre amitié. |
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Etienne Jodelle (1532 - 1573) |
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Portrait de Etienne Jodelle | |||||||||
Biographie / Ouvres1532 BibliographiePoète et dramaturge français, l'une des gloires - mais la plus méconnue - de la Pléiade, Jodelle est aussi musicien, peintre, architecte, orateur et « vaillant aux armes ». Élève de Muret au collège de Boncourt, il fait jouer dès l'âge de vingt ans une pièce, Eugène, première tentative pour créer une comédie nationale. Jodelle semble avoir écrit une autre comédie, La Rencontre, qui, elle, est perd |
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