Francis Jammes |
Avant que nous rentrions, nous nous promenâmes. II me semblait que nous tenions un bouquet d'âmes, et nous disions des mots qui nous faisaient nous taire. La nuit pure coulait dans l'eau du torrent vert et, sur les pics, flottaient des nuées immobiles pareilles aux nuées de quelque vieille bible. Une bonté d'amour faisait pencher ta tête; je ne sais quoi de grave et de grand comme un poète faisait nos cours pareils à de la vérité. Nous hésitions longuement et lentement à rentrer, sachant que nos bras nus devaient s'ouvrir ensemble, sans une hypocrisie et sans timidité. Plus douces que des orphelines qui ont chanté, les âmes des étoiles blanches et tristes priaient. Tu me disais des choses délicieuses que l'on a dites. Tu me disais : a Tu es un tout petit enfant. » Et ta voix se traînait sur ces mots, détachant les syllabes et disant : « Un-tout-pe-tit-en-fant. » Je te disais : nous sommes allés à la même école, quand tu avais quatre ans. N'est-ce pas que c'est drôle ? Et tu relevais la tête et tes yeux noyés de douceur me donnaient un regard qui me buvait le cour. « Petit ami », me disais-tu, « que c'est calme! » Et nous nous taisions, ne sachant plus nos âmes... Nos deux corps se sont fondus comme des pêches brûlantes de soleil sur un même pêcher. Tu disais : « Cette nuit n'a été qu'un baiser... « C'est fou. » Et quand, soûls d'amour, le jour parut, tu dis : « Que vient faire le jour ? » Tes dents mordaient mes dents et me brisaient la bouche... L'aube tremblait sur ton profil presque farouche. Je te disais : tais-toi! quand tu ne disais rien. Puis nous sommes sortis dans la campagne fraîche. Nous nous sommes assis sur un mur ébréché. Sur la montagne immense un oiseau criait. Nous avions peur qu'il ne fût triste à ainsi crier... Et moi je te disais, pour calmer ton doute : la mère de l'oiseau qui crie ainsi, comme toutes les mères des oiseaux, va lui apporter à manger. « Tu crois ? » me disais-tu, et tu me souriais. Et nous avons marché, et t'ai donné à boire de l'eau de source avec nos lèvres ensemble. Tu as crié : i Qu'elle est fraîche! Oh! qu'elle est fraîche! » ... Alors il plut. La pluie courait sur la montagne. C'était la pluie qui fait rêver les villages, la pluie au bruissaillement tendre et léger, la pluie qui tinte, la pluie qui pleure du soleil, la pluie qui arrose les clairs arcs-en-ciel, la pluie qui fait courir et frissonner les poules. Et nous fîmes attention à la boue... Nous sommes rentrés doucement pour déjeuner et, à table, nous nous sommes disputés sérieusement, et tu as failli pleurer que je n'admette pas une de tes idées... Tout cela pour, plus tard, retomber dans nos bras nus, et pour recommencer des caresses où tu pâlissais dans la lourdeur de tes beaux cheveux. Maintenant, tu es loin, amie. Mais je veux que ces vers que liront quelques lointains amis fassent qu'ils t'aiment un peu sans te connaître et que, s'ils passent un jour sous la fenêtre de cette chambre douce où nous nous sommes aimés... ils ne sachent point que c'est là... |
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Francis Jammes (1868 - 1938) |
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Portrait de Francis Jammes | |||||||||
OuvresFrancis Jammes (1868-1938). Célèbre, et lu, parmi les plus grands, sans presque quitter Orthez, son « village », Jammes le fut et devrait l'être encore. Ami de Claudel, de Larbaud, de Gide (avec lequel il se fâche), il ne ressemble qu'à lui-même, Tibulle chrétien, ou croyant païen, et mène la poésie à son allure pas toujours naïve. Car il faut quelque savante magie pour rendre édénique ce qui, déj La vie et l'Ouvre de francis jammesAprès avoir fait ses études au lycée de Pau, puis à Bordeaux, Francis Jammes se passionne pour les livres de Jules Verne. En 1886, il échoue au bac et se réfugie dans l'écriture. Il rédige alors quatre-vingt-neuf poèmes. A Orthez, il devient trois ans plus tard avoué chez un notaire mais ce travail l'ennuie. Il envoie ses essais poétiques à des revues littéraires dans lesquelles il est remarqué pa |
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