Francis Jammes |
I Je suis dans un pré où coule l'eau froide dans l'herbe, le long des cerisiers, sur des joncs, des cailloux. Les filles mettront les fleurs du pré vert en gerbes pour la procession quand le temps sera doux : les fleurs qu'on appelle bouquets faits, les joncs roses. Les jeunes filles seront en blanc et, le soir, la procession jonchera le reposoir et le curé dira de bien, bien belles choses. II Il élèvera le Saint-Sacrement doré, et les larmes viendront aux yeux - ô gloire, gloire, gloire à Dieu, dira-t-on, que son nom soit sacré, il est le Dieu puissant, le Dieu de la victoire! Les encensoirs fumeront et les fleurs en l'air se mêleront; les filles feront leur voix aiguë, et la procession reviendra dans la rue vers quatre heures, quand le soir est encore clair. III Les ronces pendent dans le chemin, le vent passe dans les feuilles transparentes des peupliers, et dans le lavoir jaune il y a des laveuses, et souvent des linges à côté sont plies. Les canards, les poussins jaunes sont dans la boue, les grillons chantent dans la haie, les moucherons au-dessus de l'eau volent en faisant des ronds. Les frelons volent et les petits enfants jouent. IV Le ciel est bleu. Les herbes près de l'eau sont bleues, et au soleil les maisons en chaux sont plus blanches, et les paysans suivent à longs pas les boufs et derrière la herse qui racle ils se penchent. Le vent souffle tout doucement sur le blé vert, mais je passe ennuyé devant toutes ces choses et sur les ajoncs qui piquent près des jardins et près des fermes bien fraîches où aboient les chiens, sur le farouche rouge et sur le trèfle rose. V Bien que je m'ennuie, moi, je veux retourner là quand je serai malade encore, voir des bûches dans les vieux jardins et secouer les lilas pour faire pleuvoir les hannetons, boire aux cruches sur l'évier frais, dans la cuisine qui sent fort, et rester seul avec moi d'un air doux et triste et puis me promener seul sans aller trop vite. VI Les nuages sont blancs, la terre grise est tiède. Devant la ferme l'évier frais sue en dehors; cet évier est une pierre usée qui est froide même à midi, quand tout est chaud et que tout dort. Les lézards courent sur les briques des murailles dont les ongles peuvent enlever des morceaux. Il fait chaud, il fait chaud, il fait chaud, il fait chaud, et l'on s'égratigne les jambes aux broussailles. VII La terre se fendille et nous avons été cueillir de la mousse pour une croix de tombe; elle était jaune et sèche et j'ai gratté pour l'arracher; sur des flaques d'eau jaune tombent des feuilles, et au fond il y a des têtards. Dans les prés il y a des fleurs fines qui bougent; les pies viennent en criant sur les chênes ronds, et sitôt que quelqu'un arrive elles s'en vont. Vers sept heures tout le fond du ciel est très rouge. VIII Il y a sur la place un soleil chaud et blanc. Sur la place on entend des marteaux qui résonnent dans la forge noire et rouge : un retombement. Les poulets piquent le grain dans la paille jaune. L'herbe a poussé entre les pavés près des bancs où sont des femmes qui causent et qui s'arrêtent de bavarder pour regarder passer les gens. On dirait que les coqs ont du sang à la crête. IX Il y a des roses sur le mur où il a plu; et dans la haie aussi et les feuilles sont molles. Ce matin il y a du brouillard gris, et plus on regarde loin, il est épais. Il se pose sur le coteau au haut des feuilles de pins noirs; il fait un peu frais, mais pas trop. Je viens de voir des laitières près du mur mouillé plein de roses. X Sur la route il y a un peuplier écorcé dont le bois blanc est un peu jauni par la pluie; j'avais les doigts froids pour les y avoir passés. L'osier mouillé qui tient les portes des champs crie; le foin du parc est couché; dans la haie on voit des branches noires de bois sec pleines de gouttes; une pie est posée sur le bord de la route, la pluie coule de la paille des chars et des toits. XI Le temps est gris, sans nuages : les hirondelles poussent des cris dans le ciel gris, humide et froid et elles font des croix noires avec leurs ailes. Leur cri est aigu et long au-dessus des toits d'où la fumée sort doucement des briques rouges. L'intérieur des mansardes est noir et profond, et l'on ne peut pas voir ce qu'il y a au fond. Il commence à pleuvoir un peu à grosses gouttes. |
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Francis Jammes (1868 - 1938) |
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Portrait de Francis Jammes | |||||||||
OuvresFrancis Jammes (1868-1938). Célèbre, et lu, parmi les plus grands, sans presque quitter Orthez, son « village », Jammes le fut et devrait l'être encore. Ami de Claudel, de Larbaud, de Gide (avec lequel il se fâche), il ne ressemble qu'à lui-même, Tibulle chrétien, ou croyant païen, et mène la poésie à son allure pas toujours naïve. Car il faut quelque savante magie pour rendre édénique ce qui, déj La vie et l'Ouvre de francis jammesAprès avoir fait ses études au lycée de Pau, puis à Bordeaux, Francis Jammes se passionne pour les livres de Jules Verne. En 1886, il échoue au bac et se réfugie dans l'écriture. Il rédige alors quatre-vingt-neuf poèmes. A Orthez, il devient trois ans plus tard avoué chez un notaire mais ce travail l'ennuie. Il envoie ses essais poétiques à des revues littéraires dans lesquelles il est remarqué pa |
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