Francis Jammes |
Les villages brillent au soleil dans les plaines, pleins de clochers, de rivières, d'auberges noires. Au soleil ou sous la pluie grise ou dans la neige avec des cris aigus de coqs, avec des blés, avec des chars qui vont lentement aux labours, avec des charrues qui sont couleur de la lune, avec des voix de paysans qui ont des sabots lourds, avec des femmes qui ont la peau en terre brune, avec des matins bleus, avec des soirées bleues, avec des champs de paille qui sentent la menthe, avec des fontaines crues où l'eau claire chante, avec des oiseaux qui font balancer leur queue, avec des jardins, des vieilles paralysées, des sons d'angelus, des piaillements de poules, avec des chants de vêpres et de noires croisées et des hommes qui chantent et d'autres qui se soûlent; avec des églises calmes où, quand il y a des journées de chaleur, on sent une odeur fade et fraîche et un si grand silence qu'on dirait qu'une chaise a grincé dans le froid; avec des routes longues et blanches où dansent les cailloux au soleil, avec des kilomètres, avec les pigeons des demeures des vieux prêtres, avec des gens qui rient et d'autres de souffrance; avec la nuit qui tombe sur les grands champs, avec des grincements de char, des paysans calmes qui semblent réfléchir et qui ont l'air au loin de se fondre dans la nuit lentement et grands; avec de pauvres boufs qui beuglent dans l'étable, les cris longs et poignants des cochons qu'on égorge, avec des verres épais posés sur les tables et des femmes portant leurs petits sur la gorge; avec des voleurs qui vont entre deux gendarmes, avec le tonnerre qui ouvre les grands chênes en faisant un bruit de char tout rempli de pierres qui roulerait dans un bas-fond tout noir et large; avec un petit oiseau, dans le vieux jardin, qui crie tout seul auprès des roses de la vigne, avec des enfants qui vont pêcher à la ligne, avec le bougement bleu du vent dans les lins; avec la terre, avec la mer, avec le ciel, avec des feux lointains qui semblent respirer sur les collines quand la nuit vient de tomber, et qu'un homme chante au loin dans le grand silence ; avec des sentiers où, quand c'est le mois d'octobre, le vent fait voler les feuilles des châtaigniers qui grattent les petits cailloux ronds des sentiers; avec des soirs de pluie pleins de lumière jaune, avec des chiens qui aboient au loin longuement après les lièvres, et le mois de Marie sonnant, et puis les vieux curés des tristes presbytères qui lisent près des roses, le soir, leur bréviaire; avec les étables où sont les douces génisses et les vaches poussant de longs gémissements, et les cochons qu'on tue en les saignant longtemps, et leurs cris aigus de mort quand ils s'affaiblissent; avec les oiseaux gais dont la voix est mouillée, près de l'eau, sur les petites branches qui plient; et, sautant comme des boules roulent, les pies qui crient et dont la voix semble toute rouillée. Ainsi vont, dans les larges plaines, les villages éparpillés qui chantent dans l'air bleu et clair, ou qui se taisent, sous le ciel couleur de fer, sous les raies de pluie fine en travers qui bruissaillent ; avec un chat immobile au milieu d'un champ, avec les femmes à pas lents qui songent, laissant tomber les grains de maïs et comme si elles pensaient qu'il ne faut pas contrarier la terre; avec les hommes qui prennent dans un tamis de l'engrais qu'ils lancent fort, au-dessus de terre, qui fait au soleil un nuage de poussière; avec la nuit épaisse où tout est endormi. Ainsi vont les doux villages éparpillés sur les coteaux, aux flancs des coteaux, à leurs pieds, dans les plaines, dans les vallées, le long des gaves, près des routes, près des villes et des montagnes; avec les clochers minces au-dessus des toits, avec, sur les chemins qui se croisent, des croix, avec des troupeaux longs qui ont des cloches rauques et le berger fatigué traînant ses sabots; avec des roues de moulin noires battant l'eau claire et faisant au soleil de la poudrure en verre, avec le bois à l'odeur aigre et forte, avec des piverts qui cognent les arbres de leur bec; avec les vignes au soleil et les ajoncs, les villages s'étendent ainsi parmi les plaines : il y en a encore et encore et les graines sortent, les clochers sont pleins d'oiseaux et les sillons; avec la caille qui court inquiètement, avec le lièvre blessé qui crie plein de sang noir, avec les ruisseaux en cuivre, quand c'est le soir, qui ont i'air de se cailler très lentement; avec les palombes aux yeux rouges et tout ronds qui arrivent de loin dans le gris des nuages et les grues qui grincent dans le froid et qui font, comme des serrures rouillées, un bruit sauvage; avec les paysans en noir allant le matin à quelque enterrement de quelque vieux village où ils iront manger du pain et du fromage et boire dans un verre épais un peu de vin; avec les prairies d'eau où se coulent les râles, avec les crimes qu'on commet sur les chemins et les mendiants idiots avec des képis sales mendiant des sous noirs avec leurs pauvres mains; avec la prétention des hommes politiques, avec le bruit glacé des sabots dans la rue et les journaux collés sur la place publique sur laquelle passe un long vol de grandes grues; avec les oiseaux attachés par une patte que font souffrir des enfants devant les portes, des enfants que l'on peigne, aux figures plates, aux figures en suif rouge luisantes et béates ; avec les grands coteaux où le soleil est doux et le bois frais où claque la tiède pluie d'orage, et les arrêts, quand ils marchent, des grands boufs roux que conduit en sifflant un enfant du village. |
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Francis Jammes (1868 - 1938) |
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Portrait de Francis Jammes | |||||||||
OuvresFrancis Jammes (1868-1938). Célèbre, et lu, parmi les plus grands, sans presque quitter Orthez, son « village », Jammes le fut et devrait l'être encore. Ami de Claudel, de Larbaud, de Gide (avec lequel il se fâche), il ne ressemble qu'à lui-même, Tibulle chrétien, ou croyant païen, et mène la poésie à son allure pas toujours naïve. Car il faut quelque savante magie pour rendre édénique ce qui, déj La vie et l'Ouvre de francis jammesAprès avoir fait ses études au lycée de Pau, puis à Bordeaux, Francis Jammes se passionne pour les livres de Jules Verne. En 1886, il échoue au bac et se réfugie dans l'écriture. Il rédige alors quatre-vingt-neuf poèmes. A Orthez, il devient trois ans plus tard avoué chez un notaire mais ce travail l'ennuie. Il envoie ses essais poétiques à des revues littéraires dans lesquelles il est remarqué pa |
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