Francis Jammes |
Quand dans le brouillard qui faisait luire la boue où nageaient les lumières des grands magasins, je m'arrêtais en face des tuyaux de zinc de ta maison ancienne où, la lampe à la joue, tu brodais à côté de ton petit serin, l'odeur des îles sortait par les fentes roses de la fenêtre à carreaux verts, et je sentais que nous avions vécu bien avant d'être nés dans une colonie qu'une mer drôle arrose, et il me semblait encore que j'y étais. Je voyais de la rue les placards qui luisaient. Le salon était vieux sans doute et des insectes sous des épingles très longues avaient des têtes luisantes et noires. Ils étaient tout usés : dans le cadre étaient en débris leurs dures ailes. Par cette journée triste tout ça me revient, car il fait mauvais temps encore et, dans ma chambre, il tombe du jour gris pareil à de la cendre. Toi, les insectes, la lampe, vous êtes loin. Je me souviens du mois qu'on appelle Novembre. Si tu lisais ceci tu ne comprendrais pas : et cependant si tu pouvais comprendre et lire tu penserais aussi aux contrées exotiques, aux colonies en jasmin et en chocolat où allaient d'importants et lourds vaisseaux antiques. Quand je serai mort, si quelqu'un trouve ces vers : qu'il aille près des quais d'une ville et te cherche; qu'il t'explique ce que l'on appelle un poète et que là-bas des oiseaux d'or sont sur la mer où nous avons vécu, amie, avant de naître. Tu ne comprendras pas ces explications. Tu seras ramollie et prendras du tilleul en petit bonnet vieillot et, dans mon cercueil, je tremblerai d'avoir eu pour toi la passion du poète à qui ne reste plus que l'orgueil. J'ai voulu, par orgueil, dédier quelques vers à une personne comme toi, douce, tendre, absolument incapable de les comprendre. Près du vieux feu il y a le bruit de la mer. Tu es douce comme la Fête-Dieu qui chante. |
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Francis Jammes (1868 - 1938) |
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Portrait de Francis Jammes | |||||||||
OuvresFrancis Jammes (1868-1938). Célèbre, et lu, parmi les plus grands, sans presque quitter Orthez, son « village », Jammes le fut et devrait l'être encore. Ami de Claudel, de Larbaud, de Gide (avec lequel il se fâche), il ne ressemble qu'à lui-même, Tibulle chrétien, ou croyant païen, et mène la poésie à son allure pas toujours naïve. Car il faut quelque savante magie pour rendre édénique ce qui, déj La vie et l'Ouvre de francis jammesAprès avoir fait ses études au lycée de Pau, puis à Bordeaux, Francis Jammes se passionne pour les livres de Jules Verne. En 1886, il échoue au bac et se réfugie dans l'écriture. Il rédige alors quatre-vingt-neuf poèmes. A Orthez, il devient trois ans plus tard avoué chez un notaire mais ce travail l'ennuie. Il envoie ses essais poétiques à des revues littéraires dans lesquelles il est remarqué pa |
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