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Francis Jammes



Septembre - Poéme


Poéme / Poémes d'Francis Jammes





Le mois de
Septembre, expliquent les savants

qui ont des bonnets carrés pour voir s'il fait du vent,

est soumis au régime de la
Balance.

A cette époque, les bateaux sur la mer dansent

furieusement.
Les livres parlent d'équinoxe.

J'en ai même vu un où sont des paradoxes,

des écliptiques, des zodiaques et des reflux

qui expliquent la terre au moment de
Septembre.



C'est d'une grande poésie et, dans ma chambre,

j'ai vu sur le papier des ronds blancs et noirs,

avec des rubans et des rayons emplis d'astres.

Et cela fait penser à
Christophe
Colomb,

ce fou sublime qui allait devant lui,

et qu'un méchant roi a mis en prison

parce que l'ingratitude est la sour de la jalousie.



Maintenant je chanterai les animaux de ce mois, qui sont les mêmes que ceux des autres, je le crois, mais je ne nommerai que les principaux, à cause du papier qui coûte cher aux poètes.



Muse!
Inspire-moi et que le simple pipeau où je m'essaie enchante aux rives de ces eaux les poètes amis qui président aux luttes.



L'âne, aux longues oreilles, baisse la tête.

Les paysans aisés lui fichent des culottes,

car le mois de
Septembre est couronné d'abeilles

qui dorent la grappe gluante de la treille,

puis s'envolent et piquent les pauvres aliborons.

Le coq pressé, luit et monte à califourchon sur la poule pour qu'elle fasse des oufs.
Il s'éveille dès l'heure où, remontant aux deux, le soleil, dissipant les brouillards de l'aurore, emplit de majesté la campagne sonore.



Le bouf lent, que l'on vit dans les fêtes antiques, est utile entre tous à nos us domestiques.
On voit sa bonne tête et son goitre bougeant quitter l'étable ombreuse et, des crottes aux cuisses, il s'achemine vers l'horizon d'un bleu d'argent, précédé du troupeau naïf des roses génisses.



Autre animal : sur l'eau, la libellule bleue

vibre immobilement près d'un jonc coupé en deux.



La chèvre, à la barbe en pointe, au corps noueux, au poil rude : elle broute, près des fossés poudreux, les vignes sauvages avec un bruit de ciseaux.



Les brebis sont devant le berger :

sur elles on dirait toujours qu'il a neigé.

Le chien qui les garde est très agité.

Il gambade et l'on voit sous le bras du berger,

comme une loque, un agneau nouveau-né

qu'essaie de lécher sa mère sanglante.

Le cochon : on le voit, sur le fumier des fermes,

renifler quelque pelure de pomme de terre.

Il est aussi ridicule, aussi laid qu'on voudra,

mais personne au monde ne m'empêchera

de frissonner, lorsqu'on le saigne, et qu'on entend

sortir un cri aigu et long, de temps en temps,

de son pauvre gros cou saigné par une brute,

et qu'il ferme les yeux et tord son groin

sanglant pour demander pitié à l'homme

qui a seul une âme et de la pitié - en somme.



Aux fils du télégraphe, on voit les hirondelles qui font rêver d'amour les chastes demoiselles.



Ane, bouf, cochon, génisses, d'autres, je les ai vus

bien souvent au marché d'Orthez, au crépuscule

de
Septembre, quand le soleil, sombrant sur les auberges,

faisait luire au loin les ardoises et les verres.

Les voix qui discutaient faisaient remuer l'ombre.

Les paysans étaient grandis par les aiguillons.

Les chars criaient, écailleux de boue, ébranlés.

Des faucheurs essayaient des faux sur un pavé.

Des bouviers essayaient le son rauque des cloches.

Des cuves qui puaient la figue étaient traînées

vers les pressoirs pleins de nuit.



Et, alors, j'ai pensé, les larmes aux yeux, par ces beaux soirs de
Septembre, que le
Bon
Dieu est au
Ciel; qu'il me faudra quitter, un jour ou l'autre, le calme de ma petite chambre; que je devrai m'en aller là où sont les domestiques et les purs, non point orgueilleusement comme un
Christophe
Colomb à travers les éléments, mais tout bonnement et tout simplement, comme je fais ces vers, et donnant à des parents la main comme quand j'étais un tout petit et que, pour marcher, je devais courir, et que je pleurais, ô mon
Dieu ! sans savoir pourquoi et sans savoir sur qui, et sans savoir de quoi.



Qu'importent donc
Septembre et sa faune et sa flore ?
Qu'importent donc hiver, printemps, été, automne ?
Qu'importe que l'on sème, avec les amandiers, les pâles cerisiers et les abricotiers ?



Qu'importent les produits pour le printemps prochain ?
Qu'importent du persil et du cerfeuil les graines, le céleri qu'on butte et la laitue amère, s'il faut mourir ?

J'aurai passé sur la terre, et l'on m'aura appelé sceptique et poète, parce que j'aurai ri à force de pleurer, parce que j'ai compris que
Dieu est si grand qu'il faut nous dédaigner devant lui en riant.



ô
Muse!
Apaise un cour douloureux.
Si ma cendre doit un jour retourner aux vignes de
Septembre : fais, du sang de mon cour, naître une grappe d'or, douce à la grive agile et pépieuse.
Mais encore : que la fille qui passera, un jour, auprès, la cueille et la mange en riant, sans penser au tombeau où mon cour dormira éternellement beau.
Qu'elle la mange et dise à ses amies :
Septembre, cette année, a mûri longuement ces grains d'ambre, j'ai mangé cette grappe douce, et suis contente.



Et maintenant, amis c'est à vous de gonfler à vos pipeaux, vos joues aimées des belles filles.
Je me rends : car, déjà, par l'azur des charmilles, ainsi que des oiseaux, sortent vos notes tendres.
Allez.
Chantez les mois qui ne sont pas
Septembre.



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Francis Jammes
(1868 - 1938)
 
  Francis Jammes - Portrait  
 
Portrait de Francis Jammes

Ouvres

Francis Jammes (1868-1938). Célèbre, et lu, parmi les plus grands, sans presque quitter Orthez, son « village », Jammes le fut et devrait l'être encore. Ami de Claudel, de Larbaud, de Gide (avec lequel il se fâche), il ne ressemble qu'à lui-même, Tibulle chrétien, ou croyant païen, et mène la poésie à son allure pas toujours naïve. Car il faut quelque savante magie pour rendre édénique ce qui, déj

La vie et l'Ouvre de francis jammes

Après avoir fait ses études au lycée de Pau, puis à Bordeaux, Francis Jammes se passionne pour les livres de Jules Verne. En 1886, il échoue au bac et se réfugie dans l'écriture. Il rédige alors quatre-vingt-neuf poèmes. A Orthez, il devient trois ans plus tard avoué chez un notaire mais ce travail l'ennuie. Il envoie ses essais poétiques à des revues littéraires dans lesquelles il est remarqué pa

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