Francis Vielé-Griffin |
Un pont saute le fleuve Bondissant d'île en île Entre des saules et des peupliers ; Passons ; tout chant résonne aux arches, L'heure bleue est neuve Où près de moi tu marches. J'ai des baisers par mille Et par milliers. Irons-nous aux vignobles pampres. Irons-nous par l'herbe des prés, Ou sous la pénombre des jeunes frênes, Irons-nous par delà les couchants empourprés ? - Toute route est lointaine. Belle heure, il faut nous séparer. Toi de rêves et de roses parée, Vers le vague et la nuit à jamais égarée... Je t'attendis pourtant comme une amante. J'ai fait mon âme pure à rêver ta venue, J'ai fait ma chasteté de ton épaule nue Frissonnant du baiser de mon attente ; De loin, quand je levai les yeux, de loin, C'était toi qui fanais dans les jeunes foins, C'était toi qui cueillais la vendange nouvelle, Et c'était ton pas, tout frisson d'ailes ; Tu fus mon espoir, et te voici venue, Rieuse et frêle en ta beauté nue. Ceinte de joie et d'amour, et qui fuis... Entre hier et demain il n'est pas d'aujourd'hui Et je ne t'ai pas - sur mon âme ! - connue. Jours de deuil qui vous en allez Comme des cygnes noirs aux lacs crépusculaires, La barque est vide que vous traînez ; Je vais au but des rêves inégalés, Je vais à l'orient des candeurs claires Où l'on brandit ses songes dégainés ! Jusqu'à la route, ardue aux seuls qui n'ont pas foi, La forêt se meurt en broussailles ; - Route des pays bleus où le plus digne est roi, Route prédestinée Qui court, radieuse comme une année, Par la plaine des représailles !... De là-bas, où l'aube éclôt, Né comme une larme d'un sanglot, S'en vient, à jamais, flot sur flot, Vers le jour qui meurt et la nuit qui pleure, Le fleuve qui plus que l'heure ne demeure... Rêve d'Eden aux sources claires, Rêves des longs jardins embaumés, Aumône jetée à toutes nos prières Pour ce que nos cours se sont aimés : Voici mort d'hier notre jour fêté, L'Agneau de l'offrande, nous l'avons immolé, Le flot est loin que nous avons guetté, Le fleuve fleuri s'est écoulé, Une fleur est morte en ce soir d'été ; Mon cour ne s'en est pas consolé. Fleuves d'amour imperturbés Où j'ai lavé le carnage de vivre ; Ciels de clarté dont la splendeur délivre ; Mers de douceurs aux lointains courbés Vers des pays dont le nom vague enivre... Toujours plus avant ! La route est courue Des petits désirs et des lâches orgueils ; Mon âme est forte et fut secourue Par des baisers de joie et des larmes de deuils .....Vois, au ras du coteau, cette étoile apparue... Et je lui dis : « Songes-tu, douce amour, que ton rêve Est scellé d'un baiser à peine ? Que toute chanson est brève ? Que toute promesse est vaine ? Songes-tu que tes lèvres sont douces Pour un peu de temps seulement ? » Elle dit : « Ta voix me repousse Et ton bras m'étreint, mon amant ! » Et je lui dis : « Sais-tu qui je suis ? Qui je fus ? Qui je serai, demain, à matines ? Si je suis orgueilleux ou confus De ta rose pudeur enfantine ? Sais-tu si je vaux ton trésor Que je pille en un baiser de feu ? » Elle dit : >< N'es-tu pas, encore, Mon père, et mon frère, et mon Dieu ? » Et je lui dis : « Veux-tu donc mourir, Que tu me parles d'une voix lointaine ? Il n'est plus de parole à dire, ô ma Vie, Plus de parole humaine ! Et toi ? que m'es-tu, qui m'étreins D'un rêve d'Eternité ?... » Elle dit : « Celle-là que tu crains : La mort de tes vanités ! » Tout ce qu'il saigne de vin Des pressoirs de l'aurore Au gris flanc des amphores, Le boirons-nous demain ? Et tout ce qu'il poudroie à l'occident. D'or prodigué, Quel geste fatigué Doit l'amasser, ce soir, pour des luxes d'amant ? Printemps, tes beaux clairs milliers d'émeraudes, Les foulerai-je, encor, vers l'autre été ? Sur nos cieux en grisaille un hiver rôde Depuis l'Eternité ? Crois : Vie ou Mort, que t'importe, En l'éblouissement d'amour ? Prie en ton âme forte : Que t'importe nuit et jour ? Car tu sauras des rêves vastes Si tu sais l'unique loi : // n 'estpas de nuit sous les astres. Et toute l'ombre est en toi. Aime : Honte ou Gloire, qu'importe, A toi, dont voici le tour ? Chante de ta voix qui porte Le message de tout amour ? Car tu diras le chant des fastes Si tu dis ton ultime émoi : // n 'est pas de fatals désastres, Toute la défaite est en toi. |
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Francis Vielé-Griffin (1864 - 1937) |
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Portrait de Francis Vielé-Griffin | |||||||||
Biographie / chronologie1863 - Le 26 mai, naissance à Norfolk en Virginie, d'Egbert Ludovicus Vielé, « Bertie », quatrième enfani de Térésa Griffin et du Général Egbcrt Vielé, gouverneur militaire de la Virginie pendant la Guerre de Sécession. Bibliographie / OuvresORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE |
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