Francis Vielé-Griffin |
Le vent nous précède et nous pousse, La poussière de nos pas Les devance, chère douce, Qui ris bien, mais ne souris pas ; Je suis de tout là-bas, où tinte Une cloche d'argent dans le jour. Où s'espace la demi-teinte Du peuplier et du labour ; Tout t'y semblerait triste et pâle, Le fleuve et la plaine et les cieux : J'y sais une chose sans égale : Le Sourire silencieux. Te dirai-je tout ce voyage, Et la route qui mène ici ? Veux-tu savoir ma vie, mon âge Et mes bonheurs, et mon souci ? Veux-tu que je rêve un poème, Que je fredonne ma chanson ? Que je déclame que je t'aime, Ou que je te parle raison ? Quelle langue sera la nôtre, La tienne, ou la mienne, ou la leur ? Ou nous aimerons-nous l'un l'autre D'un parfum, d'une saveur ? Maintenant que la paix nous assemble, Nous ne savons que rire à deux ; La guerre est mieux propice, il semble, Aux beaux discours prestigieux. L'amour n'est pas de se connaître - La haine, savante, le sait ! - L'amour n'est joyeux qu'à voir naître, Comme le jour, et si tôt lassé ; La belle science, ma belle, Que celle de mon cour sans foi ! La vaine science que celle Qui m'ouvrirait ton âme, à toi. Si tu veux comprendre cette heure Qui nous fait proches et lointains, Pensons à tout ce qui demeure : Ce chapiteau, l'odeur des thyms, Le ciel bleu brûlant sur nos têtes, L'ombre longue des cyprès égaux Qu'on voudrait, au gré du poète Grouper à l'entour de tombeaux ; Pensons à tout, hors à nous-mêmes, Les éphémères, les passants ; Roulons aux bandeaux des poèmes Ce jour tout embaumé d'encens. * Dois-je passer ma route, amie, Et courir vers la mer en fleurs ? L'heure que nous aurions dormie S'en est volée, au ciel, ailleurs ; Ta bouche est savoureuse encore Du premier baiser que j'y pris : Notre amour n'a connu d'aurore Ni de couchant ; n'est-ce pas, à ce prix. Qu'il est immortel et proclame, D'entre nos lèvres qu'il scella, Qu'un seul baiser féconde l'âme ? Au second, l'amour s'envola. * Nous serons, si tu veux, jolie, De beaux souvenirs chatoyants. Tintinnabulant la folie Entre ses faveurs ondoyants ! Nous dirons, plus tard, d'un sourire : On était jeune, il faisait beau ! Et le ciel sera là qui mire. Au fleuve éclatant, son flambeau ; Midi tassera l'ombre opaque Au pied du cyprès écarté : Chacun aura son ombre, et chaque Ombre évoquera, seule, l'été. Le trésor du beau jour s'amasse Au sûr gré de qui sait prévoir ; Laisse choir tes cheveux, en masse Clair-odorante ! laisse choir. Ton beau corps, dans l'herbe étonnée D'éteindre son poids tiède et blanc ! Quel dieu des Payens t'a donnée A la Joie ?... ô tes longs cils tremblants... Quelle force m'étreint et nous dresse, Sous le soleil pur, enlacés ? Suis-je ton jeune dieu, prêtresse ? De quel temps effacée ?... Une heure ? Une seule heure heureuse ! L'oubli retissera, sur nous, Ce voile où s'est drapé, Peureuse, Ton émoi de mes bras autour de tes genoux Déjà, il parle en les mots que je cueille, Fleur à fleur, comme un bouquet de choix. Sur ta lèvre, qu'elle le veuille Ou non, et dans la frêle voix Qui coule, et porte, parfumées, Des corolles... et sur tes mains... Il en façonne, bien-aimée, Le Souvenir, le Lendemain. Je suis le tresseur de couronne, Sois ma cueilleuse d'aujourd'hui ; A chaque fleur qu'elle me donne, Ta main, pour un baiser qu'elle a fui, Reçoit un autre et s'y résigne : Ne faut-il pas tout accepter D'un tresseur de couronne, indigne Qu'on s'irrite de ses gaîtés ? Plus une fleur ? ô ma cueilleuse, Je sais un Jardin de soleil, Je sais une Fleur merveilleuse : On ne la cueille qu'au réveil. Je suis l'amant des heures claires Dont l'oubli, comme le soleil, S'incorpore aux joyeux mystères D'un lendemain toujours pareil ; Tu ne sauras rien de mon rire. Sinon qu'on doit rire en s'aimant ; Et, qu'il t'échaie une heure pire, Ou qu'il te vienne un autre amant, Tu ne te souviendras, m'amie, Ni de moi, ni de ma journée, Plus que d'un rêve d'endormie. Plus que du jour où tu es née. Que dire encore, voici l'heure ? Si l'on ne disait plus rien ? Ta bouche, où ma lèvre l'effleure, S'arque d'un tel trait ancien ! Ta main, que la mienne a pressée Est si fine, et douce à plaisir ; Ta gorge ferme, haut dressée, Bat au rythme divin du désir ; Ton oreille est petite ; une ombre Modèle ta joue et défend Son pâle éclat triste qui tombe Vers mes yeux triomphants. Quelle cour ambiguë on s'est faite, Gardienne de l'antique cité ; Je vins, le cour, le corps en fête : Que n'aurais-je ressuscité ? Si mon amour fut ton égide, Ton désir haussa ta fierté ; Fille d'Amathonte et de Cnide, Je fus une heure de ta beauté ; Mais quel désaccord nous fit maîtres De l'heure vive aux beaux bras nus ? Nous ne saurions nous reconnaître, Nous ne nous sommes pas connus. |
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Francis Vielé-Griffin (1864 - 1937) |
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Portrait de Francis Vielé-Griffin | |||||||||
Biographie / chronologie1863 - Le 26 mai, naissance à Norfolk en Virginie, d'Egbert Ludovicus Vielé, « Bertie », quatrième enfani de Térésa Griffin et du Général Egbcrt Vielé, gouverneur militaire de la Virginie pendant la Guerre de Sécession. Bibliographie / OuvresORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE |
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