François Mauriac |
En se cachant des dieux, sur cette humaine trace D'étable, de marais, d'incendie et de miel Que la terre encor chaude impose au pur espace, Une meute sans cri se hâte dans le ciel. Séléné flotte au gré de cette odeur puissante, Elle hait le fumet des bêtes innocentes. Mais préfère à ceux-là que tiennent en éveil Les larmes, les soupirs des communes délices. Ces corps désespérés qui n'ont pas de complices Et que sur les prés noirs a cloués le sommeil. Il a jeté sa peau de mouton et sa gourde, Le bâton d'aulne frais encor poisseux et vert. Son corps offert au ciel comme aux flots d'une mer Est un pâle récif battu par cette eau sourde Et blanche que répand la vierge au flanc ouvert. Les collines, les seins, les jambes ramenées, Séléné les enchaîne à son enchantement. Et même les cheveux au front de son amant Ont l'immobilité des cimes fascinées. « Au cour de cette nuit que j'ai changée en jour, « O grand arbre abattu, chargé de tes fruits lourds, « Laisse moi déceler sous ton écorce dure « Les lieux tendres voués aux secrètes blessures, « Mais ne te trouble pas quand je disparaîtrai : « Tu sais que je demeure invisible à la proue, « Et qu'inclinant le front sur la nacre et le lait, « A l'écume du ciel je livre un bras distrait, « Jusqu'à ce que ma main ait rencontré ta joue. « Une donnante main sans écarter les branches « Embrase en le touchant le duvet de tes bras « Et, très chaste, répand sur ta cuisse et ta hanche « La caresse d'un feu qui ne les brûle pas. « Mais t'épargnant l'éveil des tendres violences. « Et les pleurs du remords, et ses honteux silences, « Des scrupules du cour les inutiles soins, « Je coule, je ruisselle au long des genoux joints, « Cherche une épaule dure où reposer ma joie « Et nourris mon amour de cette inerte proie.» Inerte, le fut-il jamais ? Ce caillou pur Et veiné : ce grand corps tout mouillé de rosée. Cette gorge tendue au tranchant de l'azur. Et sur l'herbe, parmi les figues écrasées. Les boucles que répand sa tète renversée Aux confins de ce front où ta main les endort. Tout te peint le sommeil d'une bête engourdie Ou d'un volcan qu'étreint sa lave refroidie... Mais celle qui le grime et le déguise en mort, Séléné jusqu'à lui jette une échelle d'or Pour qu'il fuie à jamais les terres habitées Et qu'il chemine seul sur les routes lactées. Détournant vers des dieux qu'il avait méconnus Un regard où l'humain ne se reflète plus. Les troupeaux prennent peur de ce mort qui les garde. Berger pétrifié qu'une déesse farde Avec les doigts errants touchés d'un vague feu. Et les chiens en pleurant viennent flairer leur Dieu. Un bouc hésite, approche, et son ombre cornue S'allonge, enténébrant cette poitrine nue : Comme au bord de la mer, il rêve au bord du sang Et cache à Séléné le corps vaste, la face Chérie où les péchés n'ont pas laissé de traces. Elle cherche des yeux son immobile enfant. A-t-il fui ? Séléné l'appelle en gémissant. Mais il n'est pas d'écho dans les muets espaces. Toute planète est sourde et les mondes sont morts Et le nom qu'elle crie expire sur leurs bords. ... Jusqu'au soir où les chiens jappèrent, fous de joie, Tournant au bas du ciel sur la brume des prés. Plus riche que l'odeur de bouse et de marais, Séléné reconnut le parfum de sa proie, Cet encens cher aux dieux, qui monte des lieux bas. Elle ne doutait plus qu'Endymion fût là Tout gluant de pollen, de sève, de poussière... Mais cette chasseresse aux flèches de lumière Eut beau percer le cour feuillu de la forêt. Elle ne voyait pas l'enfant qu'elle flairait L'âme déjà liée aux délices du crime, Elle avance un pied pur sur l'écume des cimes Et, comme pour plonger en de profondes eaux, Livre ses genoux durs et ses jambes unies A l'abîme odorant des feuilles endormies Et sombre, sans troubler le sommeil des oiseaux, Jusque à ces remous des ramures dernières Autour d'Endymion qu'elle avait cru perdu. Soi-même s'exilant de sa propre lumière, Du limpide silence hors d'elle répandu, Séléné confondue avec ses chiennes lasses Tient l'arrêt, elle aussi, devant la blanche masse Qu'un songe pétrifie et que cache à demi Le tissu frémissant des branches les plus basses, Et s'agenouille en pleurs sur le corps endormi. Ce sang et cette boue interrompent ta course, Tu ne peux pas descendre au-dessous de ce lieu. Ni te traîner plus loin d'Arcture et des deux Ourses, Plus loin du noir azur où bat le cour de Dieu, Toi qui, trempée encor d'amour pris à sa source. En recouvrais déjà le fauve Endymion Et qui, pour le toucher d'un plus furtif rayon. Sous le masque changeant des rapides nuées. Malheureuse, cachais ta face exténuée ! |
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François Mauriac (1885 - 1970) |
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Portrait de François Mauriac | |||||||||
Biografie / cronologieBibliographieFrançois Mauriac naît le 11 octobre 1885 dans la maison familiale du 86, rue du Pas-Saint-Georges à Bordeaux, fils de Jean-Paul Mauriac (1850-1887), marchand de bois merrains et propriétaire terrien dans les Landes de Gascogne, et Claire Mauriac née Coiffard, héritière d'une famille du négoce bordelais. Dernier d'une fratrie composée d'une sour aînée (Germaine née en 1878) et de trois frères (Raym |
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