François-Joachim de Pierre de Bernis |
La matière n'a pu se donner la pensée ; Maxime que je trouve en mon âme tracée : Est-ce de son repos ou de son mouvement Que partent les rayons de notre entendement ? Son repos est l'effet d'un état léthargique. Inhabile à répondre à la force énergique De l'esprit, qui s'élance au milieu des éclairs, Et qui, dans un clin d'oeil, embrasse l'univers : Est-ce le mouvement devenu plus rapide Par les chocs redoublés d'un tourbillon fluide, Qui pourrait triompher, par ses efforts hardis, De la stupidité de nos sens engourdis ? Quel prodige inouï! quelle métamorphose! L'effet de la matière est plus grand que sa cause ! Le pouvoir de s'étendre et de changer de lieu Enfanterait l'esprit, cette image d'un Dieu ! Mais comment le transport de l'espace à l'espace. Le droit d'avoir deux bouts, un centre, une surface, De fuir, de retourner avec célérité, Donnerait-il au corps cette sublimité ? L'atome, renfermé dans son court atmosphère, Peut-il, comme mon âme, étendre sa carrière, Échapper sans efforts aux chaînes de mes sens, S'ouvrir même les deux par ses regards perçants ? Peut-il dans le passé chercher les faits célèbres, Du profond avenir éclairer les ténèbres, Créer, ressusciter les arts et les talents, Et fixer en un point l'immensité du temps ? Peut-il, pour dire plus, recourbé sur lui-même, Réfléchir, consulter s'il me hait, ou s'il m'aime, Revenir sur ses pas, et, variant toujours, D'un mouvement physique interrompre le cours ? Dans des abstractions, où l'esprit le plus sage S'enfonce avec frayeur et souvent fait naufrage, Pourrait-il démêler jusqu'aux linéaments, Qui nuancent entre eux nos divers sentiments, Diviser des degrés obscurs, métaphysiques. Et suivre des calculs profonds, géométriques ? L'homme de ses plaisirs, comme de ses douleurs. Dans un prisme épuré sépare les couleurs ; Une teinte de plus en fait la différence, Il saisit finement cette faible nuance ; Il perce la nature avec sagacité Et sonde ses replis avec subtilité ; Le compas à la main, il mesure, il divise Jusqu'au point idéal que l'esprit analyse : Mais quel est le compas habile à mesurer Le doute, le remords qui vient me déchirer ? Ajoutons à ces traits ces élans de notre âme. Ces désirs infinis d'un bonheur qui l'enflamme, Ce vide de nos cours, cette ardeur de chercher, Cette soif qui demande un Dieu pour l'étancher : De là ce sentiment, cette intime assurance De voir finir le corps ; et non pas l'espérance. Ce gage précieux de l'immortalité, Cet enfant de nos cours et de la vérité ! L'être simple n'a rien qui puisse le dissoudre : Tout être composé doit se réduire en poudre. Il faudrait que Dieu même anéantît l'esprit ; Pur, il est séparé du germe qui périt ; Dans les êtres vivants la mort est la rupture Du pivot qui soutient leur faible architecture; Qui n'a point de ressorts l'un dans l'autre enchâssés Ne craint point de les voir rompus et dispersés : L'âme est inaltérable ; et, grand Dieu ! ta justice Demande qu'elle vive, ou pour punir le vice Des tributs des mortels et d'honneurs entouré, Ou pour aider le juste indigent, ignoré, Qui, fui par les grandeurs, les méprise en silence, Et borne à la vertu toute son opulence. Ainsi s'annonce à nous l'éternel Créateur, De l'esprit et des corps sage modérateur. Des êtres dispersés la terre est la semence : Tout change, dit Lucrèce, ainsi que tout commence, Plus la fatale mort ensanglante ses mains, Plus les tombeaux féconds reproduisent d'humains ; Ainsi tout est sorti du sein de la nature. Et tout ce qui périt devient sa nourriture : Lucrèce, ouvre les yeux, vois l'immense grandeur Du gouffre dont tu veux sonder la profondeur. Vois ce globe étonnant dont tu n'es qu'un atome, Ces astres où se perd l'orgueil de l'astronome; Et toi-même, égaré dans l'abîme des cieux, Tremble d'avoir proscrit leur maître impérieux : Ah ! si des passions la voix séditieuse N'eût armé contre lui ta muse ambitieuse ; Si l'orgueil, cet opprobre et ce fils des talents. N'eût guidé dans l'erreur tes pas encor tremblants, Tu n'eusses point osé, dans des écrits impies, Vomir contre le ciel le poison des harpies; Au rang des animaux abaisser les mortels, À la face des Dieux foudroyer les autels ; Et pour combler enfin ta vanité profonde, Te nommer l'architecte et le moteur du monde. |
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François-Joachim de Pierre de Bernis (1715 - 1794) |
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Portrait de François-Joachim de Pierre de Bernis | |||||||||