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Georges Haldas

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GEORGES HALDAS OU LE REGARD RAPPROCHÉ


Poésie / Poémes d'Georges Haldas





par Jean Romain



Dans le petit jour qui vient de surprendre Genève, Georges Haldas sort de chez lui. Il referme la porte, traverse la place publique qui longe le Boulevard des Philosophes, tôt animé. Déjà, sur le haut, le gros engin orange lave consciencieusement le pavé, environné d'un bourdonnement assourdissant, les balayeurs s'activent, le pavé est humide. Promenade journalière cent fois recommencée qui, par sa répétition, retire au temps son pouvoir accusateur. Le boulevard s'abouche à la plaine de Plainpalais, à présent au cour de la ville : c'est ici que s'établissent à périodes régulières les fêtes foraines, les cirques, les marchés aux puces, aux fleurs ou aux légumes, ici encore que convergent les pas de tous les badauds. Lorsqu'on y pénètre, une sorte de barrière olfactive vous alêrte : on entre dans un espace ouvert et l'on sent bien gu'il s'agit de poésie. Dans l'air frais, un goutte de venin a circulé, légère, à peine perceptible ; cette goutte qui très vite s'accroche aux choses et aux gens et que seul un regard rompu à se défier du passage du temps parvient à détacher, voilà qu'elle se glisse partout à présent, sur ce coin de mur un peu plus jaune que les autres, dans le froissement de cette manchette de journal qui se balance au vent, dans l'encadrement du ciel bas, dans le tremblement de cet arbre, dans le geste de ce passant soudain porteur de quelque chose qui le dépasse.



Poète de la réalité tangible, poète incarné pour qui la chair, l'écorce, la fontaine, la racine ne sont jamais de la contingence, Georges Haldas ne cesse d'accorder son attention à tout ce qui l'entoure ; il est chez lui dans le fini des choses, il veille au milieu du monde, entendez qu'il pénètre dans l'intimité des êtres pour en saisir l'être même, qu'il surprend l'éternité vivante dans les plis du temps, qu'il chemine avec les autres pour en faire apparaître l'alterné foncière et fraternelle. Visage des autres, nombreux, pour lesquels, sur le trottoir de la ville, naît la compassion. Rien n'est inutile, rien n'est à jeter, tout concourt à une signification rapidement souveraine. Alors au milieu de cette plaine genevoise, dans le matin calme qui rend plus fragiles les couleurs, les sons et les parfums, dans la lumière pâle où le temps semble hésiter, Haldas marche au milieu de la vie dans ce qu'elle a de plus saisissant et de plus prometteur. Dans ce qu'elle a de moins tapageur aussi.



L'aube, le matin, le début, la source, la graine, l'enfance, le point du jour, le merle, autant de synonymes qui disent l'instant, cette infime inflexion de l'être qui, dans sa fulgurance, dépossède parce qu'elle jette brusquement hors du temps ; l'instant n'est pas une durée saisie dans sa réduction ni une coupure opérée dans le flux continu du temps pour l'arrêter (ce que ferait d'une certaine façon la photographie dans son ambition instantanéE) ; non, il est une absence du temps, ou plutôt un au-delà du temps, en définitive ce d'où le temps provient et ce vers quoi le temps s'en va. Ce qui fait qu'il y a du temps qui passe. Or la relation à l'instant est un non-savoir et qui cependant n'est pas absence de relation. C'est pourquoi l'instant s'apparente originellement au silence : lové au cour de la parole, le silence ; au battant de la vie, la mort ; au milieu du fini, l'infini. La poésie d'Haldas est une métaphysique instantanée, elle veut dire l'être avec des mots tout en sachant qu'elle est au service de quelque chose qui la dépasse, de quelque chose dont l'essence même est le dépassement.



C'est donc pris dans le flux de la temporalité de ce qui l'entoure, enraciné dans la vie qui se presse à ses sens, l'oil au ras du sol, à fleur d'éléments, le verre des lunettes à même le papier que le poète veut trouver l'éternité. Non pas l'immortalité, prétention orgueilleuse attachée à un temps indéfiniment prolongé, mais au creux du hic et nunc, l'éternité, l'absence vivante de temps. Le passé, le présent et l'avenir ramassés dans l'instant, qui ne tient pas une durée dans son sein. La mémoire lorsqu'elle entreprend son ouvre de décantation rend le passé présent mais, curieusement, le futur aussi. Pour elle, il n'y a pas deux directions, deux faces, un devant et un derrière, un avant et un après, un jadis et un demain, il n'y a qu'un éternel présent toujours vivace et jeune. On n'oublie rien de ce qu'on n'a pas encore vécu, étrange phénomène dont la poésie a à rendre compte, à témoigner, même si psychologiquement la dissymétrie du passé et du futur est radicale.

Le temps de la poésie est vertical ; celui de la prose horizontal. L'état de poésie, pour Georges Haldas, est l'intuition directe de cette verticalité qu'il a très jeune ressentie avec force et qui constitue le point lumineux de son ouvre entière. Mais comment en témoigner ? Par la poésie justement, par l'écriture poétique qui veut saisir, en deçà de la fragmentation, l'unicité d'origine. Il serait bien sûr erroné d'y voir un appel mystique ou ascétique associé à un mépris du terrestre car l'art n'a pas mission de salut ; il s'agit plutôt de l'expression d'une impatience charnelle. Impatience de la jeunesse qui veut tout dire d'un coup, d'un mot, d'une formule ! Impatience certes, mais souveraine, féconde, salvatrice ! Combien auront-ils été ceux-là qui ont commencé par la poésie pour ensuite rejoindre la prose ? Cent ? Mille ? Ceux-là qui « panent pour partir » car la poésie est cette origine qu'ils veulent retrouver, combien auront-ils été ? Non pas que la poésie leur soit parue impuissante, mais au contraire, trop brûlante, voulant d'un coup accéder au sommet, elle fait fi à sa manière de la dimension du temps et le plus souvent des personnages.



Georges Haldas a traversé la plaine de Plainpalais, il a croisé le regard des humbles qui inspiraient Baudelaire et Villon, ceux pour qui la vie n'est plus qu'une précarité désenchantée, il s'est ensuite enfoncé dans les rues parallèles, a longé un autre boulevard et a poussé la porte de Chez Saïd. Le café est rempli mais il a sa table, sa chaise. Il est chez lui ici. Jamais la maison n'est sereine. Voilà le patron, voilà les personnages, modestes, douloureux et fiers, déjà hospitaliers qui imposent un rythme. En entrant, à peine le seuil franchi, il a changé de temps et c'est là qu'il se retrouve le plus.



La poésie est là aussi. Là surtout. Là d'abord. Au cour de la blessure, de la rumeur humaine où, crucifié, apparaît dans sa nudité le visage du Christ. Elle est au cour de Chronos parce qu'il est juste de dire que la permanence temporelle dont l'instant poétique se croit doué provient de la mémoire qu'il a de lui-même. Poésie et mémoire : les deux directions essentielles de la condition humaine. Venu de la poésie instantanée, Haldas en est arrivé à la chronique : accepter la croix du temps sur laquelle s'inscrit l'humanisme écartelé mais qui ouvre sur un paradis retrouvé, peut-être. Dire la chute de l'instant dans le temps, dire la détérioration sans aucune fascination morbide, dire la vraie vie qui se cache au fond des troquets, dire les hommes sans le masque de la distance. Non pas les connaître - toute connaissance est superficielle et insatisfaisante -, non les portraiturer ni les analyser, mais les dire. Et puis, soudain alors, devant le caractère inépuisable de l'autre, la désespérance ! Il ne s'agit pas de desespoir, mais de désespérance qui ouvre sur l'évidence de la transcendance.



Deux séries distinctes de chroniques constituent aujourd'hui les axes de son ouvre : d'une part les longues rencontres avec les hommes, les personnes (il y en a des centaines chez Haldas, à peine croquées ou minutieusement dessinéeS) où réflexion, imagination et mémoire s'entrelacent en une tresse variée et longue aux accents douloureux souvent dans cette prose qui sent le vide à côté d'elle comme une menace et comme un salut. Il est à l'écoute de ce monde agité, robotisé, rempli de mouvements et violemment inhumain, et qui sous son regard révèle la faiblesse pourtant si riche. Si le cour n'est pas ouvert, le regard en pâlit. Quelque chose en retrait semblait attendre ce regard rapproché. Au travers de ces écrits, Haldas s'en va à la recherche des instants perdus. Perdus ? Pas vraiment puisque la mémoire les ressuscite comme ces « minutes heureuses » si baudelairiennes.

D'autre part, les Carnets, plus fragmentaires, plus heurtés aussi, où s'inscrit jour après jour « l'or du temps ». Remarques, notes rapides, projets, hésitations, réflexions, impressions, regrets, humeurs, ces Carnets portent en sous-titre générique « L'Etat de Poésie » et se veulent un lent approfondissement de l'émotion initiale, comme un diamant qui apparaît, facette par facette, et qui finit par refléter toute la vie, minutieux témoin des puissances chtoniennes qui habitent l'écrivain. Georges, Geôrgos, celui qui travaille la terre, qui travaille avec de la terre !



Ici, la parole devient raison d'être et, pour ainsi dire, elle vient doubler l'existence elle-même.



Le présent volume réunit de larges extraits de trois recueils de poèmes. D'abord Sans l'eu ni lieu, de 1968 ; ensuite Un Grain de blé dans l'eau profonde, paru en 1982 et enfin La Blessure essentielle, de 1990.



Sans Feu ni lieu

C'est la tristesse et l'enfermement en soi-même qui donnent le ion à ces poèmes qui sonnent comme une plainte. Recueil de la dépossession et recueil de la désespérance.



Eteignez cette lampe qui dérange ma nuit



Le monde se dérobe sous le pas feutré du temps et c'est la sensation d'un glissement progressif et inéluctable qui révèle au poète le sentiment de l'exil. Il n'est nul besoin de s'éloigner de la terre où on a grandi pour ressentir l'exil : ce n'est pas le Moi qui s'en va, c'est le monde qui s'amenuise et qui finit par ne plus répondre à l'attente. Exilé à la surface des choses et des êtres ; exilé à la surface de l'amour aussi. Désormais le chemin sera un chemin qui descend :



Attendre le silence et descendre les marches

Une à une les marches une forêt de marches



Il n'est pas de terme, de répit à ce chemin qui s'enfonce, pas de repos, pas d'abri, seulement un requiem sans fin modulé sur quelques notes, toujours les mêmes. Ici ou là, des frères solitaires de la désespérance qui peuplent de façon illusoire la solitude humaine.



Et la nuit recommence à briller dans la nuit

Un Grain de blé dans l'eau profonde



La nuit révèle une présence.

Tout commence par des noces, qui vont unir le poète à ce « toi » dont il est question durant tout le recueil, ce « toi » à qui et de qui il parle. Mais qui est-elle cette deuxième personne singulièrement familière ? Voyez comme elle traverse l'épaisseur de cette eau profonde.



La mer parlait de loi

Je parlais à la mer



Elle est la femme, peut-être même la féminité, celle à laquelle on accède d'abord grâce à un intermédiaire, ici la mer. Plus loin ce sera la mort (tombeaU) ou encore le sommeil, parfois la fontaine qui donnera accès au « toi ». La pluie aussi joue ce rôle d'intermédiaire, V averse qui noie les différences et rapproche les êtres dans leur bonté foncière. Pour la rejoindre, le poète doit donc traverser un espace ou un temps, il doit percer l'apparence, cette apparence qui se lève comme un obstacle. Il est grain de blé qui recherche son origine :



Toute moisson remonte

à son point de départ



Mais progressivement, c'est-à-dire à mesure que la parole croît, l'obstacle disparaît, l'eau féconde, tout à l'heure opaque, se fait l'agent de l'union, transparence ; le blé a grandi, il a germé, il a pris, dans le sens d'une pâte qui prend, et, miracle de la croissance :



C'est la même eau profonde où on vit toi et moi



La douleur de vivre demeure, mais partagée comme à la communion le Christ partagea le pain de ses mains fraternelles. Alors le poète remercie et son chant de douleur devient gratitude. Par elle, la plénitude.



La Blessure essentielle

Finies les eaux profondes



Le prix du travail d'Haldas réside dans le fait que son instant poétique correspond à l'instant éthique. Tu dois ! On imagine mal cet impératif catégorique dans sa version discursive. I.a morale est instantanée, elle n'est pas le fruit d'une analyse philosophique de l'être mais le surgissement soudain d'un devoir-être dont le poète se fait le témoin attentif. Seulement si la voix de l'instant dit que je dois faire quelque chose, elle ne dit pas, par contre, ce que je dois faire. Elle me laisse seul, muet, au milieu du pont comme un exilé :



Solitaire cet homme qui traverse le pont

El s'arrête au milieu

Eloigné des deux rives



Vient alors, triste et désespéré comme une sombre mélopée, le temps de la Tulipe Noire, durant lequel rien ni personne ne répond. Et le divertissement pascalien semble la seule lumière car le silence effraie comme une blessure béante. Or le temps n'est pas distraction ; il faut se laisser imprégner par lui pour se soustraire au néant et pénétrer le plus loin possible dans le soliloque introspectif qu'est la poésie d'Haldas, ("est dans l'exercice quotidien de Chronos qu'on le saisit : le Noir, certes, mais la Tulipe aussi, fleur de la désespérance, mais fleur malgré tout. Un autre poète avait dit que sur le Mal poussaient des Fleurs.



On ne croit plus a rien

Déjà on touche au port inconnu des marins



Ainsi peu à peu, à force de minutie, devant le vide du tombeau, la blessure du temps et le mutisme de l'instant, une lueur renaît, celle même de la résurrection :



Ainsi nous revivons dans un nouveau printemps



Cette résurrection qui ne se donne pas comme une promesse future mais qui se cache dans une temporalité qui n'est plus désormais rebelle, cette résurrection voilà que, doucement chantée, elle surgit dans un temps retrouvé par le rythme obsédant de l'hexamètre :



Merci de pouvoir dire à la source merci.

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Georges Haldas
(1917 - 2010)
 
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Portrait de Georges Haldas

Ouvres

La poésie est la première parole. Mythes, épopées, oracles, voix des mystères et des mystiques, puis de l'amour, de l'indignation, de la révolte, de l'espoir ou de l'humour, de la vie quotidienne et de la solitude. Introuvables ou retraduites, classiques ou contemporaines, familières ou méconnues, ce sont ces voix innombrables que la collection Orphée souhaite faire entendre parce que plus que jam

Biographie

Georges Haldas né le 14 août 1917 à Genève (de père grec et de mère suisse) est un écrivain, poète et traducteur suisse francophone.

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