Jacques Izoard |
Midi dormant. Trembleur, voici les écoutilles, les bâts, la rivière au long cou dont je touche l'embellie, la pierre-fendre ou le lit. Voici repos carré, bonne entente. Rêvons de muscles ou de leviers, de jardins tués, de grenouilles, d'attelles, de piliers du cour. Pâle, ô parle ou fais parler ceux qui nous caressent, excitateur savant des tempes, grand chemin que la foudre mord, malmène, détruit. Blanche, la secousse assaille le bref délire, le doigt creux, le sommeil soudain, la camarde. Blanc d'ouf. Luge. Bon caillot léger du coude. L'épicier dort dans l'oil d'un borgne à court d'haleine. L'épervier pille le cour d'un dormeur qui nage. Et les doigts touchent l'obscur pays des sabots wallons, le miroir exsangue, la châtaigne. Femme au lever des bras : la main descend près du visage. Nous nous parlons. Cheveux. Noyaux. Jardins qui tombent. Âne très blanc de ton corps, qui est un corps de femme, un corps qui vint ici, qui n'est que salive, et sueur, et eau. Pouce au doigt sans engeance. Grand parc de poudre aux yeux. Jubilation du sommeil entre les jambes. Cheville de verre: longue sarbacane où vit le maigre voleur de sable qui dort dans mes cheveux. J'appelle à l'aide: roule ta bosse, tambour; petites femmes sans chaussures, fermez les yeux du mort. La marche est légère : je donne à mes doigts le feu des cerises. Le savon, dans la cruche, pierre de patience, douceur d'eau douce, a le ventre moins rond qu'une fille rieuse. Une échelle de voleur sort du puits sans vacarme. La langue est dans la langue un mot qu'on ne dit plus : la main touche la main la plus blanche ou la plus gelée. Tu vis dans le fourreau d'une chambre étroite. Et le frère et le voleur savent les objets que tu veux : le poing tout près du cour, l'aiguille dans la paille, l'étui moussu du feu, le gouvernail contre la jambe. Les jambes dans l'herbe, serrent les jambes et les jambes. Je volais ta langue, tes doigts et tes toupies, voleur couvert de froid dans le village du dimanche, dans la chambre du tambour. Tu mords la laine ou le feu, tu aimes ce que tu aimes : l'animal cousu, la pierre trouvée, le doux venin de l'oil, le givre allongé de l'arbre. À respirer l'ail. Toupie crie crécelle. À respirer la craie. Le cri déchire l'oil. À respirer la menthe. Doux feu l'endort. À respirer ma propre haleine. ... et me dit que j'arrache poutres et balivernes. Et que je cesse d'être domicile de sable ou serre sans chaleur. C'était écrit quelque part : c'était ce peu de peau qu'on cherche et qu'on caresse. On respire l'odeur des maisons qu'on détruit. Le bon chemin dort dans la loutre. (Est-ce un animal ?) Le venin rond, le pouce affûtent le fil de l'oil. J'embrasse la crosse d'une arme vaine dont je trouve le nom sous l'écorce peinte de tel arbre debout. Je dirai septembre de sangliers dont on meurt ; glacis des châtaignes dans chaque poing, chaque doigt, chaque phalange. Et nos villages traversés d'enfants. Nos oursins gonflés de jaunes d'oufs. Mais rien n'est gelé dans l'oil: la petite pupille rétrécit. Le levain dort dans l'avoine à coudre. On enveloppe de laine chaque regard qui vit sa propre vie. Déjà, l'on dit déjà; l'on refait le mouvement du bras gauche qu'on croyait perdu. Vents et marées sont vents et marées. Sous l'escalier, le front de taille étouffe les mineurs allongés, qui ont dans le front cent lampes de papier bleu. Nous voici montant vers la colline, calvaire, cal, carcan sans soleil. Avec des enfants creux et légers. Vingt élèves dorment la tête dans le foin, les membres immobiles, les yeux sous les paupières comme de minuscules collines cachant des mines d'or. Et les nerfs sont dans la jambe. Et les doigts serrent les caresses: fourrages, prunes, oillets, pierres sans odeur, grains fructueux, tout se tait. (Les grands enfants n'ont qu'un poing endormi !) Je n'ai jamais connu la moindre chose: ni les chemins pointus ni les étangs trouvés ni les langues arrachées. Voici que vient le paysan patient sur les épaules d'un promeneur de laine. On crie dans la bouche. On vit dans le bras gauche. Les ongles sont des faux. Les onguents apparaissent à travers la peau: sang toujours plus rouge qu'on ne croit, fouillis de fibrilles, lait qui fait le sourd bonheur du sein. Et l'on voyage comme un passeur d'eau. On coupe le papier. On écrit le poème. Ici montèrent cagoules et essieux. Arbres surplombent et le nom de pierreuse évoque tombereaux d'oursins, de cailloux lisses. Haleine très lente de quelques alpinistes. Soutènement du cour, dont l'aorte bat. Carré de soleil de quatre mètres sur trois, qui annonce l'ère de ce qui est, de ce qui vit autour de nous. Pâle escalier où coule à coulée claire un soleil d'octobre. Le raidillon déguerpit vers les terrils anciens, où vivent les cours noirs des mineurs, à la bonne franquette du charbon. Le tissu nerveux, l'eau-de-vie fêtent la campagne et les monts quant à moi, je marche et marche, et serre osselets ou marrons, billes. Dès que l'odeur blanche envahit les tilleuls, je dors avec des femmes. Je nourris mon sommeil de jambes ou de lèvres. Un chat mange la main d'un dormeur endormi. Mont de l'épaule, écart bleu de l'oil à l'oil, chemin d'une seule veine qui fait le tour du corps... La carcasse te protège des pics, des aiguilles; ma maison très petite est dans ma bouche, y entre qui veut, vêtu, dévêtu, libre d'aller et de venir avec des doigts ou des corolles La tempe du sabot dort dans le poing de l'oil. Quelle cruche alléchée fait sourde panse? Qui tue le sommeil dont le bon grain nous comble ? Affût pur des oiseaux que la main libère. Je tourne en rond dans l'oil d'un voyeur du dimanche. Union des fées et des sabots Épave, écharde, étrave... Basse amitié des morses, passe d'armes et de ciguës. Je vole ta langue, ma double voix déchire mon frère le plus pur. Ceci explique l'hiver, la maisonnée: pots de tabac, maillets, voix de bébés, noisettes. L'escalier de laine offre aux visiteurs barres de cuivre, tapis de cent ans. Le bon tonneau cache les vêtements du mort Ville de mille chambres: les grands chameaux, le brouillard l'enjambent, la dissimulent. Cafés bleus du Carré. Bon tabac doré de Meuse. Pêle-mêle ou mêle-pêle, enfants pâles et pierreux : voici les teinturiers de bon teint, de grand teint, de petit teint, les tisserands tissant l'escalier de laine. Ville de mille aiguilles sous la peau, la pluie. Coupe la main du lecteur: Judas, dans la laine, tisse le tissu. Je vécus dix heures dans la peau d'un autre. Peux-tu bouger la langue dans la bouche du voisin ? Les intrus ont l'air d'être sourds et aveugles. Kick starter de la machine. Moto pâle, moto pâle. Le venin de la vitesse, le bon venin du nord, te mord ou te dorlote, te pétrifie, te coud d'acier. Est-ce le chahut des tubes qui casse en mille tessons le fracas des mitrailles? Roulons vers Vottem. Baisons lèvres et pneus. Le feu parle, hurle, parlehurle. Feu qui moud n'a pas d'os, meurt dès qu'on sommeille ou qu'on dit bleu. Feu fourré qu'on trouve, qu'on achève de sucer. Feu-sexe où l'on brandit le dard, le doigt sans anneau. L'herbe étouffe l'herbe. Y font bombance les noix, les carabes du dimanche, les bogues, les chats. Pourpoints en boule y ont leur logement, leurs nuits sans mailles. Déjà, filles en feu cassent le sarcasme de ce qu'on ébrèche. L'animal bleufeu rôde et glapit : chanson sans chanson; siffle qui peut dans les doigts que j'aime. Dans le bras, voici le feu qui monte, qui monte, qui fait la bête. Une seule haleine d'orme est une leçon d'écriture. Pourquoi les bourgs ont-ils gardé les femmes fileusesde laine? Mon grand loup, déjà, quitte la meute et s'en va, traverse ma paume. La longue échine, à l'abattoir. attire les pleureuses. Touche en même temps l'ongle et la langue. Audace de celui qui veut que la lampe allumée soit toujours avalée. Nous perdions les dés sous la table. Et le jour tombait. Mendiants frappaient aux portes : un peu de lait, s'il vous plaît, un peu de farine et de miel... Mais nous cachions dans nos armoires nos escarres, nos moignons, nos pieds bots. |
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Jacques Izoard (1936 - 2008) |
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Portrait de Jacques Izoard | |||||||||
BiographieLe 29 mai 1936 naissance de Jacques Delmotte à Liège, dans le quartier populaire de Sainte-Marguerite. Son père est instituteur, sa mère professeur de dessin. Il aura une sour (Francine, née en 1940) et un frère (Jean-Pierre, né en 1945). Ancêtres rhénans, dont on se transmet en famille de lointaines citations. RepÈres bibliographiquesOUVRES DE JACQUES IZOARD |
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