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Jacques Izoard

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LECTURE de Daniel Laroche Docteur en Philosophie et Lettres


Poésie / Poémes d'Jacques Izoard





«SON CRI, COMME UN PIED NU»



Comment qualifier un homme qui, sans être un asocial, résiste avec entêtement aux conformismes les plus envahissants de notre époque? Qui ne fait pas profession de rechercher la solitude, mais passe souvent pour un solitaire? Qui jamais ne s'est posé en chef de file, et pourtant a influencé en profondeur de jeunes écrivains aussi différents que Jean-Pierre Otte, Yves Namur, Gaspard Hons, Francis Dannemark ou Eugène Savitzkaya? Dont les admirations littéraires obéissent à des critères connus de lui seul, puisqu'elles vont de Pablo Neruda à Jean Follain, et de Yannis Ritsos à Lucien Becker, sans oublier tous les surréalistes? Qui n'a jamais cessé de croire à la fonction littéralement vitale de la poésie? En cette fin de siècle marquée par la multiplication des conflits armés et par le despotisme du bonheur-consommation, un tel être pourrait s'appeler, comme tel livre d'Yves Bonnefoy, L'Improbable. Ce livre, justement, est consacré à la poésie. Quant à l'homme, plusieurs témoins dignes de foi disent l'avoir rencontré, sous le nom de Jacques Izoard, et le considérer comme l'un des plus grands poètes actuels de langue française.



Paradoxalement discrète, cette réputation tient à une bonne trentaine de recueils, d'épaisseur variable, au gré desquels se développe une ouvre profondément originale. La vocation de l'auteur, cependant, ne s'est pas affirmée précocement. Elle n'est pas le fruit d'une influence familiale, et moins encore d'une volonté sereinement délibérée. C'est plutôt par un entrelacs de rencontres et de hasards successifs, de découvertes imprévues, que Jacques Delmotte peu à peu fait de la poésie son univers de prédilection. «Et son cri, comme un pied nu, troua l'eau verte du silence»: ce vers d'Aragon, qu'il reçoit un jour pour thème de devoir scolaire, suscite en lui un véritable choc. L'insolite de la comparaison, et en même temps son irrécusable vérité, ouvrent soudain à l'infini sa perplexité imagi-native. Qu'il s'y agisse - déjà - d'un fragment du corps humain laisse à penser: comme Henri Michaux dès sa première plaquette, Izoard adolescent est secrètement fasciné par ce thème, lequel n'est pas sans attaches avec certains jeux qu'il aimait pratiquer enfant, les marionnettes, et surtout la prestidigitation. Le travail de la main, qui plus tard s'exercera dans l'écriture, s'ingénie dans ces arts mineurs à créer la surprise et l'illusion: déjà, la poésie n'est pas loin. Mais entre-temps, c'est le désarroi de l'adolescence, la solitude anxieuse, la recherche désespérée d'une issue à ce qui paraît sans issue...



D'autres impulsions viendront bientôt, de divers côtés. D'abord, des lectures personnelles de plus en plus nombreuses et variées, parmi lesquelles Musset et Aloysius Bertrand cèdent bientôt la place à Lautréamont et aux surréalistes. Mais aussi une longue série d'entretiens avec des écrivains français consacrés: à diverses reprises, journaliste improvisé, Jacques Delmotte se rend à Paris pour questionner des auteurs tels que Paul Gilson, Jules Supervielle, Francis Ponge, Philippe Soupault, André Breton, Pierre Mac Orlan, Louis-Ferdinand Céline, Marcel Jouhandeau, Gabriel Marcel, Jules Romains, Julien Green, d'autres encore. De toutes ces conversations, dont il rend compte dans les revues Lettres 55, Liège-Écoles ou L'Essai, sa connaissance de la création littéraire s'enrichit et s'approfondit de manière incomparable, tandis que mûrit son expérience personnelle de l'écriture.



En 1956 (il a vingt anS), Jacques Delmotte soumet ses textes à Georges Linze, qui l'encourage, de même qu'Alexis Curvers et, plus discrètement, Marcel Thiry. Il publie des poèmes dans l'une ou l'autre revue, parallèlement à ses «entretiens». Ce n'est qu'en 1962 pourtant qu'il fait paraître son premier recueil. Ce manteau de pauvreté, signé Izoard en souvenir du col alpestre dont le spectacle superbe et désertique l'avait frappé, dans la sauvagerie de ses roches rougeâtres. Combinant poèmes, récits et réflexions, ce petit livre encore teinté de sensibilité «artiste» laisse pointer quelques-unes des interrogations qui marqueront pour longtemps le trajet de l'auteur. «Je voudrais trouver le point principal de mon corps, là où j'ai mal quand je souffre en silence. Est-ce un arbre qui grandit dans ma tête et qui m'étourdit du murmure incessant de ses feuilles? (...) À vrai dire, je ne me suis jamais remis de ma naissance» ". Les rencontres avec d'autres poètes se multiplient: Hubert Dubois, Christian Hubin, Octavio Paz, Miguel-Angel Asturias... Le jeune écrivain correspond avec Zadkine, lui rend visite en son atelier parisien. En même temps que Francis Édeline, il entre au comité de rédaction du Journal des Poètes, où il publie des entretiens, des notes de lecture, des poèmes; lie connaissance avec Leonor Fini, Robert Variez, Madeleine Biefnot, Norge; découvre en 1972 les premiers textes d'Eugène Savitzkaya qui lui coupent le souffle. Fait important: Izoard voit ses recueils fort appréciés par Alain Bosquet qui ouvre pour le faire publier à Paris, publie des recensions dans Le Monde, lit ses textes au micro de France-Culture et lui ouvre de multiples portes.

Si leur rôle apparaît sans conteste déterminant, les livres et les amitiés ne sont pas seuls à nourrir la sensibilité d'Izoard et son imagination poétique: il y a aussi les paysages dont il est le spectateur quotidien ou éphémère, ad-miratif ou agacé, mais jamais indifférent. Paysages gris ou ensoleillés, décors de villes ou de campagnes, du Nord ou du Midi. Et d'abord celui de Liège, avec ses collines et ses ruelles encaissées, ses quartiers populeux, la Meuse où traînent les péniches, les maisons tassées comme des petites vieilles, la vaste banlieue industrielle. Nulle affection béate dans cet attachement de l'écrivain à sa ville natale, victime comme beaucoup d'autres d'une «modernisation» souvent anarchique, tiraillée entre sa propre mémoire et la tyrannie des besoins nouveaux. Dès son enfance, toutefois, les vacances d'été le mènent en Ardenne (Franchimont, Robertville. Verlaine-sur-Ourthe...) et à la Mer du Nord (Bredene, Coxyde...), qui lui ouvrent des horizons différents. Mais c'est en 1957 que commencent les vrais voyages, en Autriche et en Italie, en Suisse et dans le Midi de la France, images innombrables dont il retient non les clichés touristiques, mais certains traits qui trouvent en lui un écho: la couleur d'un ciel, le tremblé d'un feuillage, les nuances de la pierre. En 1965 particulièrement, grâce à un ami espagnol, il découvre ébloui les régions de Cadix et d'Oviedo, où il retournera plusieurs années consécutivement. «Et depuis 1966, chaque année, l'Espagne, de Gongora à Lorca, à Machado, à Hernandez, l'Andalousie, la maison et les coquilles de Salamanque, les Asturies surtout, et la rivière Nalon... Et les amitiés. Le goût du cidre. Les truites».



Tzoard n'est donc pas un créateur cloîtré dans son cheminement intérieur. Sa soif de l'autre, qu'il s'agisse de textes, d'ouvres d'art, de paysages ou de personnes, paraît insatiable. Certes, toutes ces rencontres ne donneront pas lieu à des relations durables: la profession d'enseignant et les contraintes matérielles s'y opposent, non moins que les itinéraires respectifs des protagonistes. Elles jouent, néanmoins, le rôle d'un viatique et d'une stimulation indispensables, venant combler passagèrement une avidité proche de l'angoisse. On retrouve en partie leur trace dans la revue qu'Izoard lance en 1972. et qu'il animera sept années durant: Odradek. C'est Kafka qui avait forgé ce nom pour désigner une sorte d'animal chimérique. «Odradek est extra-ordinairement mobile et ne se laisse pas attraper»: l'analogie avec la poésie est patente, à laquelle la revue est exclusivement consacrée, avec pour seule loi un éclectisme vigilant. On y trouve une remarquable variété de noms, connus ou moins connus, tels ceux de Jude Stefan, Jean Malrieu, Jean-Pierre Otte, Jacques Roubaud, Pierre Dhainaut, Christian Hubin, Allen Ginsberg, Alain Bosquet, Andrée Chédid, Pierre Dalle Nogare, Jean-Claude Lcgros... Et, pour matérialiser l'entière liberté laissée aux auteurs, chaque contribution est imprimée sur un feuillet volant. À la même époque, Izoard prête son concours à l'Atelier de l'Agneau, petite maison d'édition créée à Liège par Robert Variez et Françoise Favretto, et d'où sortiront plusieurs excellents recueils. Enfin, il n'oublie pas son ouvre personnelle, riche déjà d'une dizaine de titres, dont Aveuglément, Orphée (1967), Voix, vêtements, saccages ( 1971 ), La Patrie empaillée ( 1973).



En ces années 70, le nom d'Izoard commence à circuler dans les milieux littéraires, en Belgique et ailleurs. Son écriture et son univers poétiques, peu à peu, se sont affirmés dans leur pleine originalité. La Patrie empaillée, particulièrement, éveille dans la presse des échos élogieux. «Un des recueils les plus étonnants de cette saison, restera incontestablement comme un livre où la poésie la plus dense se met au service d'une curieuse équation». «De plus en plus, Jacques Izoard s'affirme comme un des meilleurs poètes de sa génération. L'aisance et l'habileté deviennent dans ce recueil des éléments essentiels de création du poème»1. L'inlassable activité d'izoard en faveur de la création littéraire, d'autre part, en fait un acteur et un témoin d'importance, qu'on invite volontiers dans des débats et des forums de toutes sortes. Rencontres de poètes francophones organisées par la Fondation d'Hautvillers, Colloque de Cerisy-la-Salle sur la figure de Don Juan, «Poetry International» à Rotterdam, Colloque Québec-Belgique: il est si difficile de refuser... Un autre type de manifestation, d'ailleurs, commence à l'occuper: les «lectures» publiques. Initialement, il s'agissait seulement de conférences données dans des bibliothèques, et progressivement illustrées de récitations. Or, il s'avère que, dits à voix haute dans les circonstances appropriées, les poèmes (rE)prennent une vie et un relief qu'ils semblaient avoir perdus. Izoard entreprend alors d'organiser de telles séances, en divers lieux de Liège: à la librairie «Le Quai», au Musée Tchantchès, au théâtre de marionnettes «Al Botroùle», plus tard au Cirque Divers. Très rare à l'époque, ce genre de soirée fait rapidement tache d'huile, et donnera naissance notamment à des «nuits de la poésie».



Avec la maturité vient le temps de la consécration. En 1979, Izoard reçoit à Paris le Prix de Poésie de l'Académie Mallarmé pour son volume Vêtu, dévêtu, libre, assurément l'une de ses ouvres les plus riches et les plus accomplies à ce jour - et à laquelle la presse fait fête, comme en témoignent les articles de critiques aussi divers que Pierre Geslin, Gaspard Hons, Jacques De Decker, Yves Lebon, Luc Bérimont, Gérard Guillot ou René Tavernier. Il collabore à de nombreuses revues de poésie, telles Action poétique. Le Pont de l'Épée, Liberté, 25, Sud... Participe sans relâche à des colloques, des rencontres, des festivals. Est nommé Secrétaire des Biennales Internationales de Poésie, qu'il a contribué à déplacer de Knokke à Liège. Publie de nouveaux textes dans ce registre sobre et discontinu qui lui est propre, et qu'il ne cesse d'affiner tout en exploitant ses possibilités les plus imperceptibles. Par sa fidélité à lui-même et à son propre travail, par son rejet de toute espèce de carriérisme ou de compromission honorifique, par son attachement sans faille à la cause de la poésie, Izoard s'est acquis aujourd'hui, involontairement, une stature hors du commun.

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Jacques Izoard
(1936 - 2008)
 
  Jacques Izoard - Portrait  
 
Portrait de Jacques Izoard

Biographie

Le 29 mai 1936
naissance de Jacques Delmotte à Liège, dans le quartier populaire de Sainte-Marguerite. Son père est instituteur, sa mère professeur de dessin. Il aura une sour (Francine, née en 1940) et un frère (Jean-Pierre, né en 1945). Ancêtres rhénans, dont on se transmet en famille de lointaines citations.

RepÈres bibliographiques

OUVRES DE JACQUES IZOARD

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