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Jean de La Fontaine



Adonis - Poéme


Poéme / Poémes d'Jean de La Fontaine





Je n'ai pas entrepris de chanter dans ces vers
Rome ni ses enfants vainqueurs de l'Univers,
Ni les fameuses tours qu'Hector ne put défendre,
Ni les combats des dieux aux rives du
Scamandre.
Ces sujets sont trop hauts, et je manque de voix :
Je n'ai jamais chanté que l'ombrage des bois,
Flore, Écho, les
Zéphyrs, et leurs molles haleines,
Le vert tapis des prés et l'argent des fontaines.
C'est parmi les forêts qu'a vécu mon héros ;
C'est dans les bois qu'Amour a troublé son repos.
Ma
Muse en sa faveur de myrte s'est parée ;
J'ai voulu célébrer l'amant de
Cythérée,
Adonis, dont la vie eut des termes si courts,
Qui fut pleuré des
Ris, qui fut plaint des
Amours.
Aminte, c'est à vous que j'offre cet ouvrage ;
Mes chansons et mes voux, tout vous doit rendre

hommage :
Trop heureux si j'osais conter à l'Univers
Les tourments infinis que pour vous j'ai soufferts !
Quand vous me permettrez de chanter votre gloire,
Quand vos yeux, renommés par plus d'une victoire,
Me laisseront vanter le pouvoir de leurs traits
Et l'empire d'Amour accru par vos attraits,
Je vous peindrai si belle et si pleine de charmes
Que chacun bénira le sujet de mes larmes.

Voilà l'unique but où tendent mes souhaits.
Cependant recevez le don que je vous fais ;
Ne le dédaignez pas : lisez cette aventure,
Dont, pour vous divertir, j'ai tracé la peinture.



Aux monts
Idaliens un bois délicieux

De ses arbres chenus semble toucher les deux ;

Sous ses ombrages verts loge la
Solitude.

Là, le jeune
Adonis, exempt d'inquiétude,

Loin du bruit des cités s'exerçait à chasser,

Ne croyant pas qu'Amour pût jamais l'y blesser.

A peine son menton d'un mol duvet s'ombrage,

Qu'aux plus fiers animaux il montre son courage.

Ce n'est pas le seul don qu'il ait reçu des deux :

Il semble être formé pour le plaisir des yeux.

Qu'on ne nous vante point le ravisseur d'Hélène,

Ni celui qui jadis aimait une ombre vaine,

Ni tant d'autres héros fameux par leurs appâts :

Tous ont cédé le prix au fils de
Cyniras.

Déjà la
Renommée, en naissant inconnue,

Nymphe qui cache enfin sa tête dans la nue,

Par un charmant récit amusant l'Univers,

Va parler d'Adonis à cent peuples divers,

A ceux qui sont sous l'Ourse, aux voisins de l'Aurore,

Aux filles du
Sarmate, aux pucelles du
More.

Paphos sur ses autels le voit presque élever,

Et le cour de
Vénus ne sait où se sauver.

L'image du héros, qu'elle a toujours présente,

Verse au fond de son âme une ardeur violente :

Elle invoque son fils, elle implore ses traits,

Et tâche d'assembler tout ce qu'elle a d'attraits.

Jamais on ne lui vit un tel dessein de plaire :

Rien ne lui semble bien ; les
Grâces ont beau faire.

Enfin, s'accompagnant des plus discrets
Amours,

Aux monts
Idaliens elle dresse son cours.

Son char, qui trace en l'air de longs traits de lumière,

A bientôt achevé l'amoureuse carrière.

Elle trouve
Adonis près des bords d'un ruisseau ;

Couché sur des gazons, il rêve au bruit de l'eau.

Il ne voit presque pas l'onde qu'il considère :

Mais l'éclat des beaux yeux qu'on adore en
Cythère

L'a bientôt retiré d'un penser si profond.

Cet objet le surprend, l'étonné et le confond ;

Il admire les traits de la fille de l'onde :

Un long tissu de fleurs, ornant sa tresse blonde,

Avait abandonné ses cheveux aux
Zéphyrs ;

Son écharpe, qui vole au gré de leurs soupirs,

Laisse voir les trésors de sa gorge d'albâtre.

Jadis en cet état
Mars en fut idolâtre,

Quand aux champs de l'Olympe on célébra des jeux

Pour les
Titans défaits par son bras valeureux

Rien ne manque à
Vénus, ni les lis, ni les roses,

Ni le mélange exquis des plus aimables choses,

Ni ce charme secret dont l'oil est enchanté,

Ni la grâce plus belle encor que la beauté.

Telle on vous voit,
Aminte : une glace fidèle

Vous peut de tous ces traits présenter un modèle ;

Et, s'il fallait juger de l'objet le plus doux,

Le son serait douteux entre
Vénus et vous.

Tandis que le héros admire
Cythérée,

Elle rend par ces mots son âme rassurée :

«
Trop aimable mortel, ne crains point mon aspect ;

Que de la part d'Amour rien ne te soit suspect :

En ces lieux écartés c'est lui seul qui m'amène.



Le
Ciel est ma patrie, et
Paphos mon domaine :
Je les quitte pour toi ; vois si tu veux m'aimer. »
Le transport d'Adonis ne se peut exprimer. « Ô dieux ! s'écria-t-il, n'est-ce point quelque songe ?
Puis-je embrasser l'erreur où ce discours me plonge ?
Charmante déité, vous dois-je ajouter foi ?
Quoi !
Vous quittez les cieux, et les quittez pour moi !
Il me serait permis d'aimer une
Immortelle ! -
Amour rend ses sujets tous égaux, lui dit-elle ;
La beauté, dont les traits même aux dieux sont si doux,
Est quelque chose encor de plus divin que nous.
Nous aimons, nous aimons, ainsi que toute chose :
Le pouvoir de mon fils de moi-même dispose :
Tout est né pour aimer. »
Ainsi parle
Vénus ;
Et ses yeux éloquents en disent beaucoup plus.
Ils persuadent mieux que ce qu'a dit sa bouche.
Ses regards, truchements de l'ardeur qui la touche,
Sa beauté souveraine, et les traits de son fils
Ont contraint
Mars d'aimer : que peut faire
Adonis ?
Il aime ; il sent couler un brasier dans ses veines ;
Les plaisirs qu'il attend sont accrus par ses peines :
Il désire, il espère, il craint, il sent un mal
A qui les plus grands biens n'ont rien qui soit égal.
Vénus s'en aperçoit, et feint qu'elle l'ignore :
Tous deux de leur amour semblent douter encore ;
Et, pour s'en assurer, chacun de ces amants
Mille fois en un jour fait les mêmes serments.
Quelles sont les douceurs qu'en ces bois ils goûtèrent ! Ô vous de qui les voix jusqu'aux astres montèrent,
Lorsque par vos chansons tout l'Univers charmé
Vous ouït célébrer ce couple bien-aimé,
Grands et nobles esprits, chantres incomparables,



Mêlez parmi ces sons vos accords admirables. Écho, qui ne tait rien, vous conta ces amours ;
Vous les vîtes gravés au fond des antres sourds
Faites que j'en retrouve au temple de
Mémoire
Les monuments sacrés, sources de votre gloire,
Et que, m'étant formé sur vos savantes mains,
Ces vers puissent passer aux derniers des humains !
Tout ce qui naît de doux en l'amoureux empire,
Quand d'une égale ardeur l'un pour l'autre on soupire
Et que, de la contrainte ayant banni les lois,
On se peut assurer du silence des bois,
Jours devenus moments, moments filés de soie,
Agréables soupirs, pleurs enfants de la joie,
Voux, serments et regards, transports, ravissements,
Mélange dont se fait le bonheur des amants,
Tout par ce couple heureux fut lors mis en usage.
Tantôt ils choisissaient l'épaisseur d'un ombrage :
Là, sous des chênes vieux où leurs chiffres gravés
Se sont avec les troncs accrus et conservés,
Mollement étendus ils consumaient les heures,
Sans avoir pour témoins en ces sombres demeures
Que les chantres des bois, pour confidents qu'Amour,
Qui seul guidait leurs pas en cet heureux séjour.
Tantôt sur des tapis d'herbe tendre et sacrée
Adonis s'endormait auprès de
Cythérée,
Dont les yeux, enivrés par des charmes puissants,
Attachaient au héros leurs regards languissants.
Bien souvent ils chantaient les douceurs de leurs

peines ;
Et quelquefois assis sur le bord des fontaines,
Tandis que cent cailloux, luttant à chaque bond,
Suivaient les longs replis du cristal vagabond,

«
Voyez, disait
Vénus, ces ruisseaux et leur course ;
Ainsi jamais le temps ne remonte à sa source :
Vainement pour les dieux il fuit d'un pas léger ;
Mais vous autres mortels le devez ménager,
Consacrant à l'Amour la saison la plus belle. »
Souvent, pour divertir leur ardeur mutuelle,
Ils dansaient aux chansons, de
Nymphes entourés.
Combien de fois la lune a leurs pas éclairés,
Et, couvrant de ses rais l'émail d'une prairie,
Les a vus à l'envi fouler l'herbe fleurie !
Combien de fois le jour a vu les antres creux
Complices des larcins de ce couple amoureux !
Mais n'entreprenons pas d'ôter le voile sombre
De ces plaisirs amis du silence et de l'ombre.
Il est temps de passer au funeste moment
Où la triste
Vénus doit quitter son amant.
Du bruit de ses amours
Paphos est alarmée ;
On dit qu'au fond d'un bois la déesse charmée,
Inutile aux mortels, et sans soin de leurs voux,
Renonce au culte vain de ses temples fameux.
Pour dissiper ce bruHt, la reine de
Cythère
Veut quitter pour un temps ce séjour solitaire.
Que ce cruel dessein lui donne de douleurs !
Un jour que son amant la voyait toute en pleurs, «
Déesse, lui dit-il, qui causez mes alarmes,
Quel ennui si profond vous oblige à ces larmes ?
Vous aurais-je offensée, ou ne m'aimez-vous plus ? -
Ah ! dit-elle, quittez ces soupçons superflus ;
Adonis tâcherait en vain de me déplaire :
Ces pleurs naissent d'amour, et non pas de colère ;
D'un déplaisir secret mon cour se sent atteint :
Il faut que je vous quitte, et le
Son m'y contraint ;

Il le faut.
Vous pleurez !
Du moins, en mon absence,
Conservez-moi toujours un cour plein de constance ;
Ne pensez qu'à moi seule et, qu'un indigne choix
Ne vous attache point aux
Nymphes de ces bois.
Leurs fers après les miens ont pour vous de la honte.
Surtout, de votre sang il me faut rendre compte.
Ne chassez point aux ours, aux sangliers, aux lions,
Gardez-vous d'irriter tous ces monstres félons :
Laissez les animaux qui, fiers et pleins de rage,
Ne cherchent leur salut qu'en montrant leur courage ;
Les daims et les chevreuils, en fuyant devant vous,
Donneront à vos sens des plaisirs bien plus doux.
Je vous aime, et ma crainte a d'assez justes causes ;
Il sied bien en amour de craindre toutes choses :
Que deviendrais-je, hélas ! si le sort rigoureux
Me privait pour jamais de l'objet des mes voux ? »
Là, se fondant en pleurs, on voit croître ses charmes :
Adonis lui répond seulement par des larmes.
Elle ne peut partir de ces aimables lieux ;
Cent humides baisers achèvent ses adieux. 0 vous, tristes plaisirs où leur âme se noie,
Vains et derniers efforts d'une imparfaite joie,
Moments pour qui le sort rend leurs voux superflus,
Délicieux moments, vous ne reviendrez plus !
Adonis voit un char descendre de la nue :
Cythérée y montant disparaît à sa vue.
C'est en vain que des yeux il la suit dans les airs :
Rien ne s'offre à ses sens que l'horreur des déserts.
Les vents, sourds à ses cris, renforcent leur haleine.
Tout ce qu'il vient de voir lui semble une ombre

vaine ;
Il appelle
Vénus, fait retentir les bois,

Et n'entend qu'un écho qui répond à sa voix.

C'est lors que, repassant dans sa triste mémoire

Ce que naguère il eut de plaisirs et de gloire,

Il tâche à rappeler ce bonheur sans pareil :

Semblable à ces amants trompés par le sommeil,

Qui rappellent en vain pendant la nuit obscure

Le souvenir confus d'une douce imposture.

Tel
Adonis repense à l'heur qu'il a perdu ;

Il le conte aux forêts, et n'est point entendu :

Tout ce qui l'environne est privé de tendresse ;

Et, soit que des douleurs la nuit enchanteresse

Plonge les malheureux au suc de ses pavots,

Soit que l'astre du jour ramène leurs travaux,

Adonis sans relâche aux plaintes s'abandonne ;

De sanglots redoublés sa demeure résonne.

Cet amant toujours pleure, et toujours les
Zéphyrs

En volant vers
Paphos sont chargés de soupirs.

La molle oisiveté, la triste solitude,

Poisons dont il nourrit sa noire inquiétude,

Le livrent tout entier au vain ressouvenir

Qui le vient malgré lui sans cesse entretenir.

Enfin, pour divertir l'ennui qui le possède,

On lui dit que la chasse est un puissant remède.

Dans ces lieux pleins de paix, seul avecque l'Amour,

Ce plaisir occupait les héros d'alentour.

Adonis les assemble, et se plaint de l'outrage

Que ces champs ont reçu d'un sanglier plein de rage.

Ce tyran des forêts porte partout l'effroi ;

Il ne peut rien souffrir de sûr autour de soi.

L'avare laboureur se plaint à sa famille

Que sa dent a détruit l'espoir de la faucille :

L'un craint pour ses vergers, l'autre pour ses guérets

Il foule aux pieds les dons de
Flore et de
Cérès :

Monstre énorme et cruel, qui souille les fontaines,

Qui fait bruire les monts, qui désole, les plaines,

Et, sans craindre l'effort des voisins alarmés,

S'apprête à recueillir les grains qu'ils ont semés.

Tâcher de le surprendre est tenter l'impossible.

Il habite en un fort, épais, inaccessible ;

Tel on voit qu'un brigand fameux et redouté

Se cache après ses vols en un antre écarté,

Fait des champs d'alentour de vastes cimetières,

Ravage impunément des provinces entières,

Laisse gronder les lois, se rit de leur courroux,

Et ne craint point la mort, qu'il porte au sein de tous :

L'épaisseur des forêts le dérobe aux supplices.

C'est ainsi que le monstre a ces bois pour complices ;

Mais le moment fatal est enfin arrivé,

Où, malgré sa fureur, en son sang abreuvé,

Des dégâts qu'il a faits il va payer l'usure.

Hélas ! qu'il vendra cher sa mortelle blessure !

Un matin que l'Aurore au teint frais et riant

A peine avait ouvert les portes d'Orient,

La jeunesse voisine autour du bois s'assemble :

Jamais tant de héros ne s'étaient vus ensemble.

Anténor le premier sort des bras du sommeil,

Et vient au rendez-vous attendre le soleil ;

La déesse des bois n'est point si matinale :

Cent fois il a surpris l'amante de
Céphale,

Et sa plaintive épouse a maudit mille fois

Les veneurs et les chiens, le gibier et les bois.

Il est bientôt suivi du satrape
Alcamène,

Dont le long attirail couvre toute la plaine.

C'est en vain que ses gens se sont chargés de rets :
Leur nombre est assez grand pour ceindre les forêts.
On y voit arriver
Bronte au cour indomptable,
Et le vieillard
Capys, chasseur infatigable,
Qui, depuis son jeune âge ayant aimé les bois,
Rend et chiens et veneurs attentifs à sa voix.
Si le jeune
Adonis l'eût aussi voulu croire,
Il n'aurait pas si tôt traversé l'onde noire.
Comment l'aurait-il cru, puisqu'en vain ses amours
L'avaient sollicité d'avoir soin de ses jours ?
Par le beau
Callion la troupe est augmentée.
Gilippe vient après, fils du riche
Acantée.
Le premier, pour tous biens, n'a que les dons du

corps ;
L'autre, pour tous appâts, possède des trésors.
Tous deux aiment
Chloris, et
Chloris n'aime qu'elle :
Ils sont pourtant parés des faveurs de la belle.
Phlègre accourt, et
Mimas,
Palmyre aux blonds

cheveux,
Le robuste
Crantor aux bras durs et nerveux.
Le
Lycien
Télame,
Agénor de
Carie,
Le vaillant
Triptolème, honneur de la
Syrie,
Paphe expert à lutter,
Mopse à lancer le dard,
Lycaste,
Palémon,
Glauque,
Hilus,
Amilcar ;
Cent autres que je tais, troupe épaisse et confuse :
Mais peut-on oublier la charmante
Aréthuse,
Aréthuse au teint vif, aux yeux doux et perçants,
Qui pour le blond
Palmire a des feux innocents ?
On ne l'instruisit point à manier la laine ;
Courir dans les forêts, suivre un cerf dans la plaine,
Ce sont tous ses plaisirs : heureuse si son cour
Eût pu se garantir d'amour comme de peur !

On la voit arriver sur un cheval superbe,
Dont à peine les pas sont imprimés sur l'herbe ;
D'une charge si belle il semble glorieux.
Et, comme elle,
Adonis attire tous les yeux ;
D'une fatale ardeur déjà son front s'allume ;
Il marche avec un air plus fier que de coutume.
Tel
Apollon marchait quand l'énorme
Python
L'obligea de quitter l'ombre de l'Hélicon.
Par l'ordre de
Capys la troupe se partage.
De tant de gens épars le nombreux équipage,
Leurs cris, l'aboi des chiens, les cors mêlés de voix,
Annoncent l'épouvante aux hôtes de ces bois.
Le ciel en retentit, les échos se confondent,
De leurs palais voûtés tous ensemble ils répondent.
Les cerfs, au moindre bruit à se sauver si prompts,
Les timides troupeaux des daims aux larges fronts,
Sont contraints de quitter leurs demeures secrètes :
Le bois n'a plus pour eux d'assez sombres retraites.
On court dans les sentiers, on traverse les forts ;
Chacun, pour les percer, redouble ses efforts.
Au fond du bois croupit une eau dormante et sale :
Là, le monstre se plaît aux vapeurs qu'elle exhale ;
Il s'y vautre sans cesse, et chérit un séjour
Jusqu'alors ignoré des mortels et du jour.
On ne l'en peut chasser : du souci de sa vie
Bien plus à sa valeur qu'à sa fuite il se fie.
Les cors ont beau sonner, l'air a beau retentir,
Rien ne saurait encor l'obliger à partir.
Cependant les destins hâtent sa dernière heure.
Dryope la première évente sa demeure :
Les autres chiens, par elle aussitôt avertis,
Répondent à sa voix, frappent l'air de leurs cris,

Entraînent les chasseurs, abandonnent leur quête ;

Toute la meute accourt, et vient lancer la bête,

S'anime en la voyant, redouble son ardeur ;

Mais le fier animal n'a point encor de peur.

Le coursier d'Adonis, né sur les bords du
Xanthe,

Ne peut plus retenir son ardeur violente :

Une jument d'Ida l'engendra d'un des
Vents ;

Les forêts l'ont nourri pendant ses premiers ans.

Il ne craint point des monts les puissantes barrières,

Ni l'aspect étonnant des profondes rivières,

Ni le penchant affreux des rocs et des vallons ;

D'haleine en le suivant manquent les
Aquilons.

Adonis le retient pour mieux suivre la chasse.

Enfin le monstre est joint par deux chiens dont la race

Vient du vite
Lélaps, qui fut l'unique prix

Des larmes dont
Céphale apaisa sa
Procris :

Ces deux chiens sont
Mélampe et l'ardente
Sylvage.

Leur sort fut différent, mais non pas leur courage :

Par l'homicide dent
Mélampe est mis à mort ;

Sylvage au poil de tigre attendait même sort,

Lorsque l'un des chasseurs se présente à la bête,

Sur lui tourne aussitôt l'effort de la tempête :

Il connaît, mais trop tard, qu'il s'est trop avancé ;

Son visage pâlit, son sang devient glacé ;

L'image du trépas en ses yeux est empreinte :

Sur le teint des mourants la mort n'est pas mieux

peinte.
Sa peur est pourtant vaine, et, sans être blessé,
Du monstre qui le heurte il se sent terrassé.
Nisus, ayant cherché son salut sur un arbre,
Rit de voir ce chasseur plus froid que n'est un marbre.
Mais lui-même a sujet de trembler à son tour :

Le sanglier coupe l'arbre ; et les lieux d'alentour
Résonnent du fracas dont sa chute est suivie :
Nisus encor en l'air fait des voux pour sa vie.
Conterai-je en détail tant de puissants efforts,
Des chiens et des chasseurs les différentes morts,
Leurs exploits avec eux cachés sous l'ombre noire ?
Seules vous les savez, ô filles de
Mémoire :
Venez donc m'inspirer, et, conduisant ma voix,
Faites-moi dignement célébrer ces exploits.
Deux lices d'Anténor,
Lycoris et
Niphale,
Veulent qu'aux yeux de tous leur ardeur se signale.
Le vieux
Capys lui-même eut soin de les dresser :
Au sanglier l'une et l'autre est prête à se lancer.
Un mâtin les devance, et se jette en leur place ;
C'est
Phlégon, qui souvent aux loups donne la chasse ;
Armé d'un fort collier qu'on a semé de clous,
A l'oreille du monstre il s'attache en courroux :
Mais il sent aussitôt le redoutable ivoire ;
Ses flancs sont décousus ; et, pour comble de gloire,
Il combat en mourant, et ne veut point lâcher
L'endroit où sur le monstre il vient de s'attacher.
Cependant le sanglier passe à d'autres trophées :
Combien voit-on sous lui de trames étouffées !
Combien en coupe-t-il !
Que d'hommes terrassés !
Que de chiens abattus, mourants, morts, et blessés !
Chevaux, arbres, chasseurs, tout éprouve sa rage.
Tel passe un tourbillon, messager de l'orage ;
Telle descend la foudre, et d'un soudain fracas
Brise, brûle, détruit, met les rochers à bas.
Crantor d'un bras nerveux lance un dard à la bête :
Elle en frémit de rage, écume, et tourne tête,
Et son poil hérissé semble de toutes parts

Présenter au chasseur une forêt de dards.

Il n'en a point pourtant le cour touché de crainte ;

Par deux fois du sanglier il évite l'atteinte ;

Deux fois le monstre passe, et ne brise en passant

Que l'épieu dont
Crantor se couvre en cet instant.

Il revient au chasseur ; la fuite est inutile :

Crantor aux environs n'aperçoit point d'asile.

En vain du coup fatal il veut se détourner ;

Ne pouvant que mourir, il meurt sans s'étonner.

Pour punir son vainqueur toute la troupe approche ;

L'un lui présente un dard, l'autre un trait lui décoche :

Le fer ou se rebouche, ou ne fait qu'entamer

Sa peau, que d'un poil dur le
Ciel voulut armer.

Il se lance aux épieux, il prévient leur atteinte ;

Plus le péril est grand, moins il montre de crainte :

C'est ainsi qu'un guerrier pressé de toutes parts

Ne songe qu'à périr au milieu des hasards :

De soldats entassés son bras jonche la terre ;

Il semble qu'en lui seul se termine la guerre ;

Certain de succomber, il fait pourtant effort,

Non pour ne point mourir, mais pour venger sa mort.

Tel et plus valeureux le monstre se présente.

Plus le nombre s'accroît, plus sa fureur s'augmente ;

L'un a les flancs ouverts, l'autre les reins rompus ;

Il mâche et foule aux pieds ceux qui sont abattus.

La troupe des chasseurs en devient moins hardie ;

L'ardeur qu'ils témoignaient est bientôt refroidie.

Palmire toutefois s'avance malgré tous :

Ce n'est pas du sanglier que son cour craint les coups ;

Aréthuse lui fut jadis plus redoutable ;

Jadis sourde à ses voux, mais alors favorable,

Elle voit son amant poussé d'un beau désir,

Et le voit avec crainte autant qu'avec plaisir.

«
Quoi ! mes bras, lui dit-il, sont conduits par les

vôtres,
Et vous me verriez fuir aussi bien que les autres !
Non, non ; pour redouter le monstre et son effort,
Vos yeux m'ont trop appris à mépriser la mort. »
Il dit, et ce fut tout : l'effet suit la parole ;
Il ne va pas au monstre, il y court, il y vole,
Tourne de tous côtés, esquive en l'approchant,
Hausse le bras vengeur, et d'un glaive tranchant
S'efforce de punir le monstre de ses crimes.
Sa dent allait d'un coup s'immoler deux victimes :
L'une eût senti le mal que l'autre en eût reçu,
Si son cruel espoir n'eût point été déçu.
Entre
Palmire et lui l'Amazone se lance :
Palmire craint pour elle, et court à sa défense.
Le sanglier ne sait plus sur qui d'eux se venger ;
Toutefois à
Palmire il porte un coup léger,
Léger pour le héros, profond pour son amante.
On l'emporte ; elle suit, inquiète et tremblante.
Le coup est sans danger ; cependant les esprits,
En foule avec le sang de leurs prisons sortis,
Laissent faire à
Palmire un effort inutile.
Il devient aussitôt pâle, froid, immobile ;
Sa raison n'agit plus, son oil se sent voiler :
Heureux s'il pouvait voir les pleurs qu'il fait couler !
La moitié des chasseurs, à le plaindre employée,
Suit la triste
Aréthuse en ses larmes noyée.
Non loin de cet endroit un ruisseau fait son cours ;
Adonis s'y repose après mille détours.
Les
Nymphes, de qui l'oil voit les choses futures,
L'avaient fait égarer en des routes obscures.

Le son des cors se perd par un charme inconnu ;

C'est en vain que leur bruit à ses sens est venu.

Ne sachant où porter sa course vagabonde,

Il s'arrête en passant au cristal de cette onde.

Mais les
Nymphes ont beau s'opposer aux destins,

Contre un ordre fatal tous leurs charmes sont vains.

Adonis en ce heu voit apporter
Palmire ;

Ce spectacle l'émeut, et redouble son ire :

A tarder plus longtemps on ne peut l'obliger :

Il regarde la gloire et non pas le danger.

Il part, se fait guider, rencontre le carnage.

Cependant le sanglier s'était fait un passage,

Et, courant vers son fort, il se lançait parfois

Aux chiens, qui dans le ciel poussaient de vains abois.

On ne l'ose approcher ; tous les traits qu'on lui

lance, Étant poussés de loin, perdent leur violence.
Le héros seul s'avance, et craint peu son courroux.
Mais
Capys, l'arrêtant, s'écrie : «
Où courez-vous ?
Quelle bouillante ardeur au péril vous engage ?
Il est besoin de ruse, et non pas de courage.
N'avancez pas, fuyez ; il vient à vous, ô dieux ! »
Adonis, sans répondre, au ciel lève les yeux. «
Déesse, ce dit-il, qu'adore ma pensée,
Si je cours au péril, n'en sois point offensée ;
Guide plutôt mon bras, redouble son effort ;
Fais que ce trait lancé donne au monstre la mort.
A ces mots dans les airs le trait se fait entendre :
A l'endroit où le monstre a la peau la plus tendre :
Il en reçoit le coup, se sent ouvrir les flancs,
De rage et de douleur frémit, grince les dents,
Rappelle sa fureur, et court à la vengeance.

Plein d'ardeur et léger,
Adonis le devance.
On craint pour le héros ; mais il sait éviter
Les coups qu'à cet abord la dent lui veut porter.
Tout ce que peut l'adresse étant jointe au courage,
Ce que pour se venger tente l'aveugle rage,
Se fit lors remarquer par les chasseurs épars.
Tous ensemble au sanglier voudraient lancer leurs

dards,
Mais peut-être
Adonis en recevrait l'atteinte.
Du cruel animal ayant chassé la crainte,
En foule ils courent tous droit aux fiers assaillants.
Courez, courez, chasseurs un peu trop tard vaillants ;
Détournez de vos noms un éternel reproche :
Vos efforts sont trop lents, déjà le coup approche ;
Que n'en ai-je oublié les funestes moments !
Pourquoi n'ont pas péri ces tristes monuments ?
Faut-il qu'à nos neveux j'en raconte l'histoire !
Enfin de ces forêts l'ornement et la gloire,
Le plus beau des mortels, l'amour de tous les yeux,
Par le vouloir du sort ensanglante ces lieux.
Le cruel animal s'enferre dans ses armes,
Et d'un coup aussitôt il détruit mille charmes.
Ses derniers attentats ne sont pas impunis ;
Il sent son cour percé de l'épieu d'Adonis,
Et, lui poussant au flanc sa défense cruelle,
Meurt, et porte en mourant une atteinte mortelle.
D'un sang impur et noir il purge l'Univers ;
Ses yeux d'un somme dur sont pressés et couverts,
Il demeure plongé dans la nuit la plus noire ;
Et le vainqueur à peine a connu sa victoire,
Joui de la vengeance et goûté ses transports,
Qu'il sent un froid démon s'emparer de son corps.

De ses yeux si brillants la lumière est éteinte ;
On ne voit plus l'éclat dont sa bouche était peinte,
On n'en voit que les traits ; et l'aveugle trépas
Parcourt tous les endroits où régnaient tant d'appâts.
Ainsi l'honneur des prés, les fleurs, présent de
Flore,
Filles du blond
Soleil et des pleurs de l'Aurore,
Si la faux les atteint, perdent en un moment
De leurs vives couleurs le plus rare ornement.
La troupe des chasseurs, au héros accourue,
Par des cris redoublés lui fait ouvrir la vue :
D cherche encore un coup la lumière des deux,
Il pousse un long soupir, il referme les yeux,
Et le dernier moment qui retient sa belle âme
S'emploie au souvenir de l'objet qui l'enflamme.
On fait pour l'arrêter des efforts superflus :
Elle s'envole aux airs, le corps ne la sent plus.
Prêtez-moi des soupirs, ô
Vents qui sur vos ailes
Portâtes à
Vénus de si tristes nouvelles.
Elle accourt aussitôt, et, voyant son amant,
Remplit les environs d'un vain gémissement.
Telle sur un ormeau se plaint la tourterelle,
Quand l'adroit giboyeur a, d'une main cruelle,
Fait mourir à ses yeux l'objet de ses amours ;
Elle passe à gémir et les nuits et les jours,
De moment en moment renouvelant sa plainte,
Sans que d'aucun remords la
Parque soit atteinte.
Tout ce bruit, quoique juste, au vent est répandu ;
L'Enfer ne lui rend point le bien qu'elle a perdu :
On ne le peut fléchir ; les cris dont il est cause
Ne font point qu'à nos voux il rende quelque chose.
Vénus l'implore en vain par de tristes accents ;
Son désespoir éclate en regrets impuissants ;



Ses cheveux sont épars, ses yeux noyés de larmes ;
Sous d'humides torrents ils resserrent leurs charmes,
Comme on voit au printemps les beautés du soleil
Cacher sous des vapeurs leur éclat sans pareil.
Après mille sanglots enfin elle s'écrie : «
Mon amour n'a donc pu te faire aimer la vie !
Tu me quittes, cruel !
Au moins ouvre les yeux,
Montre-toi plus sensible à mes tristes adieux ;
Vois de quelles douleurs ton amante est atteinte !
Hélas ! j'ai beau crier : il est sourd à ma plainte.
Une éternelle nuit l'oblige à me quitter ;
Mes pleurs,ni mes soupirs ne peuvent l'arrêter.
Encor si je pouvais le suivre en ces lieux sombres !
Que ne m'est-il permis d'errer parmi les ombres !
Destins, si vous vouliez le voir si tôt périr,
Fallait-il m'obliger à ne jamais mourir ?
Malheureuse
Vénus, que te servent ces larmes ?
Vante-toi maintenant du pouvoir de tes charmes :
Ils n'ont pu du trépas exempter tes amours ;
Tu vois qu'ils n'ont pu même en prolonger les jours.
Je ne demandais pas que la
Parque cruelle
Prît à filer leur trame une peine éternelle ;
Bien loin que mon pouvoir l'empêchât de finir,
Je demande un moment, et ne puis l'obtenir.
Noires divinités du ténébreux empire,
Dont le pouvoir s'étend sur tout ce qui respire,
Rois des peuples légers, souffrez que mon amant
De son triste départ me console un moment.
Vous ne le perdrez point : le trésor que je pleure
Ornera tôt ou tard votre sombre demeure.
Quoi !
Vous me refusez un présent si léger ?
Cruels, souvenez-vous qu'Amour m'en peut venger.



Et vous, antres cachés, favorables retraites,
Où nos cours ont goûté des douceurs si secrètes,
Grottes, qui tant de fois avez vu mon amant
Me raconter des yeux son fidèle tourment,
Lieux amis du repos, demeures solitaires,
Qui d'un trésor si rare étiez dépositaires,
Déserts, rendez-le-moi : deviez-vous avec lui
Nourrir chez vous le monstre auteur de mon ennui ?
Vous ne répondez point.
Adieu donc, ô belle âme ;
Emporte chez les morts ce baiser tout de flamme :
Je ne te verrai plus ; adieu, cher
Adonis ! »
Ainsi
Vénus cessa.
Les rochers, à ses cris,
Quittant leur dureté, répandirent des larmes :
Zéphyre en soupira ; le jour voila ses charmes ;
D'un pas précipité sous les eaux il s'enfuit,
Et laissa dans ces lieux une profonde nuit.

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Jean de La Fontaine
(1621 - 1695)
 
  Jean de La Fontaine - Portrait  
 
Portrait de Jean de La Fontaine

Bibliographie

8 juillet 1621.
Naissance et baptême de Jean de La Fontaine. (Paroisse de Château-Thierry.) Son père est Charles de La Fontaine, conseiller du roi et maître des eaux et forêts, fils de bourgeois champenois. Sa mère est Françoise Pidoux de bonne maison poitevine, veuve remariée.

Biographie / Ouvres

Jean de La Fontaine passe ses premières années à Château-Thierry dans l'hôtel particulier que ses parents, Charles de La Fontaine, Maître des Eaux et Forêts et Capitaine des Chasses du duché de Château-Thierry, et Françoise Pidoux, fille du bailli de Coulommiers, ont acheté en 1617 au moment de leur mariage. Le poète gardera cette maison jusqu'en 1676. Classée monument historique en 1886, la demeu

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