Jean Tardieu |
Toi qui n'es rien ni personne toi je t'appelle sans te nommer car tu n'es pas le dieu ni le masque scellé sur les choses, mais les choses elles-mêmes et davantage encore : leur cendre, leur fumée. Toi qui es tout, qui n'es plus, qui n'es pas : peut-être seulement l'ombre de l'homme qui grandit sur la paroi de la montagne le soir. Toi qui te dérobes et fuis d'arbre en arbre sous le portique interminable d'une aurore condamnée d'avance. Toi que j'appelle en vain au combat de la parole à travers d'innombrables murmures je tends l'oreille et ne distingue rien. Toi qui gardes le silence toujours et moi qui parle encore avant de devenir sourd et aveugle immobile muet (ce qui est dit : la mort), Je vais hors de moi-même en tâtonnant cherchant ce qui peut me répondre, « toi », peut-être simplement le souffle de ma bouche formant ce mot. Toi je te connais je te redoute tu es la pierre et l'asphalte les arbres menacés les bêtes condamnées les hommes torturés. Tu es le jour et la nuit le grondement d'avions invisibles pluie et brume les cités satellites perspectives démentes les gazomètres les tas d'ordures les ruines les cimetières les solitudes glacées je ne sais où. Tu grognes dans les rumeurs épaisses des autos des camions des gares dans le hurlement des sirènes l'alerte du travail les bombes pour les familles. Tu es un amas de couleurs où le rouge se perd devient grisaille tu es le monceau des instants accumulés dans l'innommable, la boue et la poussière, Tu ne ressembles à personne mais tout compose ta figure. Tout : le piétinement des armées la masse immense de la douleur tout ce qui pour naître et renaître s'accouple à l'agonie, même les prés délicieux les forêts frissonnantes la folie du soleil l'éphémère clarté le roulement du tonnerre les torrents, tout cela ne fail qu'un seul être qui m'engloutit ; je vais du même pas que les fourmis sur le sable. Toi je te vois je t'entends je souffre de ton poids sur mes épaules tu es tout : le visible, l'invisible. connaissance inconnue et sans nom. Faut-il parler aux murs ? Aux vivants qui n'écoutent pas ? À qui m'adresserai'je sinon à un sourd comme moi ? Tu es ce que je sais, que j'ai su et oublié, que je connais pourtant mieux que moi-même, de ce côté où je cherche la voie le vide où tout recommence. |
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Jean Tardieu (1903 - 1995) |
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Portrait de Jean Tardieu | |||||||||
Biographie / OuvresNé en 1903 à Samt-Gerrnain-de-Joux (Jura), d'un père peintre (Victor Tardieu. 1870-1937) et dune mère musicienne. Étude.a Paris : Ivcée Condorcet. puis Sorbonne. Suit, dès 1923. les > Entretiens d'été » de Pontigny, où ses premiers écrits poétiques sont remarqués par Paul Desjardins, André Gide, Roger Martin du Gard. Premiers poèmes publiés par Jean Paulhan. en 1927. dans La Nouvelle Revue |
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